Un matin de 2013, Pascal, alors agent de maintenance, se rend au travail. Dans la même journée, il perd l'usage de ses jambes, après une chute de quatre mètres de haut. Éclairage sur ces vies bouleversées par un accident du travail, à l'occasion de la 21ᵉ journée mondiale de la sécurité et la santé au travail, ce dimanche 28 avril 2024.
"Je suis resté quatre semaines, presque, ou cinq dans le coma. Donc je n'ai aucun souvenir, je ne me souviens de rien. Je me souviens de quand je me suis réveillé là-bas, et puis au départ, bon, c'est un peu dans les nuages, le temps de refaire surface", raconte Pascal, en ce mois d'avril 2024.
Dans sa maison des Deux-Sèvres, cet ancien agent de maintenance tient à montrer les photos de son lieu de travail, où un matin de 2013, son employeur lui a demandé de nettoyer les condenseurs à froid. "Il faisait froid, j'étais descendu boire un café à l'atelier et j'étais remonté. Le responsable de maintenance a fait une démonstration. La première année où je l'ai fait, il fallait par-dessous. Et là, ils ont refait des photos, pour dire qu'il fallait s’allonger dessous et frotter, c’est totalement faux. Il fallait aller dessous", décrit Pascal.
Pendant la manœuvre, il fait une chute de quatre mètres. À l'époque, seulement âgé de 44 ans, il vient d'être victime d'un accident du travail et de perdre l'usage de ses jambes.
Une vie bouleversée
S'ensuit une longue période de rééducation dans un centre niortais, pour apprendre à "se remuscler déjà parce qu'on n’avait plus de muscles et plus de force, et à faire les transferts aussi", entre le fauteuil et le lit par exemple.
Aujourd'hui, c'est toute sa vie, personnelle et professionnelle, qui reste chamboulée. La médecine du travail l'a déclaré en invalidité à 100 %, un statut qui lui donne droit à une indemnisation mensuelle. "Je n'ai pas le choix. C'est pareil, les femmes de ménage, c'est un coût, ce n'est pas donné. Sans faire attention à la fin du mois, il ne faut pas s'écarter", explique-t-il.
Si on baisse les bras, on n'y arrive pas. C'est dur à encaisser, mais faut faire avec.
PascalInvalide, victime d'un accident du travail
Outre l'aspect financier, chaque geste du quotidien a dû être repensé. "À chaque fois que je sors à l'extérieur, il faut quelqu'un. Supposition, un truc tout bête, c'est aller faire ses courses dans les grandes surfaces. On ne peut pas pousser le fauteuil et le caddie, et attraper tous les produits dans les rayons. Et tout redéballer en arrivant à la caisse et recharger dans la voiture et décharger le retour, c'est énorme." Difficile, voire quasi impossible, de se rendre à la banque par exemple, ou de se déplacer sur les trottoirs.
Pascal a aussi dû faire des travaux dans sa maison, "refaire la salle de bains, modifier les angles du couloir pour pouvoir passer. Parce que dans la maison, les couloirs, ce n'est pas très large."
La responsabilité des employeurs en question
Son accident serait, selon lui, dû à de mauvaises conditions de sécurité. "Alors, oui, je leur en veux. Parce qu'il y a des drames qu'on pourrait éviter. Moi, ça m'est arrivé sur les condenseurs, mais ça peut très bien arriver sur d'autres postes de travail, même à l'intérieur, rien qu'au conditionnement", déplore-t-il.
On n’est que des numéros là-dedans, dans les grosses entreprises.
PascalVictime d'un accident du travail
Un manque de considération de la part de son ancien employeur l'a profondément blessé : "On n’est que des numéros là-dedans dans les grosses entreprises. Quand tout va bien, ça va bien, quand ça ne va plus, ça ne va plus."
Selon la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités, dans un rapport publié en 2023, 66 697 accidents du travail ont eu lieu en Nouvelle-Aquitaine en 2019.
"Et depuis 2019, on constate une augmentation, car le Covid avait mis à l’arrêt. Il y a beaucoup d’accidents dans les métiers précaires, chez les intérimaires, les CDD, le bâtiment", décrit Laurent Brillaud, juriste et secrétaire général de la FNATH 79 (Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés).
Mais problème, selon lui : "Il y a beaucoup plus d’accidents du travail que ça, à cause d'une sous-déclaration d’accidents du travail et des maladies, pour payer moins de cotisations. Il y a aussi des accidents non reconnus par les caisses, où la matérialité des faits n'est pas avérée par exemple."
La FNATH des Deux-Sèvres, riche de 4 000 adhérents, accompagne les victimes d'accidents du travail et leur famille pour les aider à obtenir une indemnisation au civil. "Chaque année, nous accompagnons entre 350 et 400 dossiers par an avec 80 % de réussite", détaille Laurent Brillaud. "Tous ne vont pas en justice, devant le pôle social du tribunal judiciaire. Nous les aidons à évaluer les différents préjudices, et à obtenir une indemnisation correcte au titre de la loi."
Une législation peu favorable à l'indemnisation des victimes
Les accidents du travail, tout comme les maladies professionnelles, sont régis par une loi de 1898. Depuis, il n'y a eu aucune évolution législative, même si les choses commencent à bouger du côté judiciaire. "Les victimes du travail sont les seules victimes de dommages corporels, même en cas de faute inexcusable de l'employeur, à être indemnisées forfaitairement, au contraire d’autres accidents de circulation avec un tiers responsable, qui ont, elles, une indemnisation totale", reprend le juriste. "Par exemple, si un patient est contaminé par l'hépatite C à l'hôpital, tout sera pris en charge, la souffrance, l'esthétique, l'aménagement de la voiture et de la maison. Pour une infirmière, dans le même cas, la rente sera beaucoup plus basse."
La condamnation des employeurs est pour la FNATH un argument supplémentaire pour obtenir une indemnisation. "S’il y a une condamnation pénale, c’est beaucoup plus facile sur le plan civil de faire reconnaître une faute", complète Laurent Brillaud. "Et plus tôt on a le dossier, c'est mieux. Si quelqu'un vient nous voir deux ans après, c'est compliqué de trouver des preuves, des photos, des témoignages."