"Je me pensais plus forte que l'alcool" : des groupes de parole pour aider les proches d’alcooliques à se reconstruire

Alors que le Dry January pousse chacun à s'interroger sur son rapport à l'alcool, de nombreux Français et Françaises vivent quotidiennement les ravages que peut entraîner cette consommation. Les proches de personnes alcoolodépendantes figurent parmi les dommages collatéraux de l'alcoolisme.

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Dans la petite salle 201 de la maison des associations de Niort, elles sont trois ce jeudi soir. Christine*, Marcelle* et Juliette. Trois fois par mois, elles se retrouvent pour parler d'un sujet central dans leur vie : l'alcoolisme d'un de leurs proches. Pour la première, c'est son fils, la deuxième, sa fille, et pour la dernière, un ex-conjoint violent.

Toutes trois ont un jour poussé la porte d'une réunion d'Al-Anon, association créée à l'initiative des épouses des deux fondateurs des Alcooliques Anonymes, en 1951. Dix ans plus tard, ces groupes de parole ont fait leur apparition en France et permettent aux proches de personnes alcoolodépendantes d'échanger, de partager leurs expériences et de se soutenir. 

Un déclic nécessaire

À Juliette, il a fallu des années pour prendre conscience de la maladie de son compagnon, de sa gravité, et encore des mois pour comprendre qu'elle avait elle-même besoin d'aide. "Oui, on peut être dans le déni en se prenant des coups dans la tronche alors que l'autre est alcoolisé", souffle-t-elle. "J'ai eu un parcours du combattant de pas mal de femmes battues, allant régulièrement aux urgences, dans les commissariats." C'est dans ces espaces qu'elle découvre pour la première fois les affiches d'associations comme Al-Anon, sans jamais sauter le pas, sidérée par les violences qu'elle venait de subir ou inquiète que l'homme qui partageait sa vie ne découvre ses démarches.

Je me suis détruite, oubliée, effacée, je suis descendue dans l'enfer de mon fils

Christine

Membre niortaise d'Al-Anon

En 2021, tout change. C'est son fils qui appelle les gendarmes alors que son conjoint l'a encore frappée. Elle porte plainte et le gendarme qui recueille son témoignage lui soumet un questionnaire dont la dernière question interroge : "Qu'allez-vous faire pour vous maintenant ?"

Elle annonce, comme une promesse à elle-même, qu'elle va se rendre à une réunion d'Al-Anon. "Le gendarme ne savait même pas ce que c'était alors que l'affiche était juste derrière lui", sourit-elle. "Ça a été noté dans le questionnaire et le fait de dire ça, ça a été comme un engagement, je savais que ça faisait partie de mon rétablissement."

Une réunion presque comme les autres

Pour Christine, Marcelle et Juliette, le rendez-vous du jeudi soir est désormais une tradition. Chaque séance commence par un texte d'introduction, hérité des Alcooliques anonymes (AA), et se termine de la même manière, avec les mots bien connus des personnes dépendantes : "Accordez-moi le courage de changer les choses que je peux changer, la sérénité d'accepter celles que je ne peux changer et la sagesse d'en connaître la différence". Aux États-Unis où est née l'association, il s'agit d'une prière, mais en France et dans le groupe de Niort, la religion n'a pas sa place et sonne davantage comme un mantra.

Entre ces deux temps dictés par Al-Anon, les trois femmes se racontent, parlent de leurs derniers échanges avec leurs proches alcooliques, des rendez-vous importants. Christine n'a pas vu son fils à Noël, elle a coupé les ponts. Marcelle, pour sa part, a reçu sa fille pour les fêtes et se réjouit, car tout s'est bien passé. Juliette, de son côté, est anxieuse parce que plusieurs échéances judiciaires l'attendent après sa séparation.

Elles abordent ensuite un moment important de la réunion : une discussion autour de l'une des douze étapes comprises dans la méthode des Alcooliques anonymes, un parcours à suivre pour se sevrer, ou se reconstruire.

Je n'avais pas conscience de la place qu'avait l'alcool dans ma vie, même avec les violences.

Juliette

Membre niortaise d'Al-Anon

Ce soir-là, c'est la première qui est explorée : "Nous avons admis que nous étions impuissants devant l'alcool - que nous avions perdu la maîtrise de notre vie."

Reprendre le dessus

L'impuissance devant l'alcool, la perte de maîtrise sur leur vie, ces trois femmes ont connu ces sentiments, chacune à sa manière. À partir de ces quelques mots, elles se livrent, et toutes s'écoutent. "En réunion, on ne coupe pas la parole, on demande à la prendre, et on ne rebondit pas sur ce qui vient d'être dit", précise Christine.

"Je me pensais plus forte que l'alcool", explique-t-elle, en racontant l'errance qu'elle a connue avec son fils, dépendant de l'alcool et de la drogue. "Pendant une quinzaine d'années, j'ai cru que j'allais pouvoir le sortir de là, je me suis détruite, oubliée, effacée, je suis descendue dans l'enfer de mon fils en délaissant mes autres enfants."

C'est une maladie du cerveau, pas un problème de volonté

Professeur Nemat Jaafari

Chef du pôle addictologie du centre hospitalier Laborit

Marcelle, elle, raconte la prise de conscience de l'alcoolisme de sa fille : "Je me suis trouvée tétanisée face à elle, sans pouvoir lui parler", souffle-t-elle. Aujourd'hui, elle est à fleur de peau. "Je fais face devant tout le monde, mais intérieurement, c'est bizarre."

Juliette reconnaît que c'est précisément d'admettre son impuissance et sa perte de contrôle qui l'ont menée à l'association : "Je n'avais pas conscience de la place qu'avait l'alcool dans ma vie, même avec les violences. Pour moi, Al-Anon a été le moyen de déposer toute la culpabilité de ne pas pouvoir contrôler la consommation d'alcool de mon agresseur."

Les proches, premières victimes

Dans les Deux-Sèvres, l'association Entraid'Addict organise, elle aussi, des réunions, tant pour les personnes dépendantes que pour leurs familles et amis. Monique Bouhier en est membre, et elle souligne l'importance d'aider l'entourage dans un parcours de sevrage : "L'entourage est malade, parce qu'il subit ce qu'il vit auprès des personnes dépendantes. Il surveille les bouteilles, les cachets, il est codépendant", explique-t-elle. "Toute la famille est bancale parce que, quand une personne est dans l'addiction, la vie n'est plus la même, il y a des tensions, des violences verbales et physiques, une désocialisation."

"C'est une maladie du cerveau, pas un problème de volonté", alerte le professeur Jaafari, chef du pôle addictologie du centre hospitalier Laborit, "cela crée un dysfonctionnement familial avec plusieurs cas de figure, du silence, des violences, le recours à la justice... La famille souffre parce qu'elle voit que le patient est en train de se dégrader, et il faut souvent un événement traumatique pour arrêter l'alcool, mais ce traumatisme peut coûter cher."

En effet, poursuit-il, "l'alcool est le seul produit dont l'impact sur la famille est plus élevé que sur le consommateur." Il rappelle une étude parue en 2010 au Royaume-Uni sur les conséquences des drogues sur la vie des consommateurs et de leur entourage.

Comme le montre ce graphique issu de l'étude, l'alcool (première colonne à gauche sur le graphique) est la drogue qui a le plus d'impact sur le consommateur (en bleu) et son entourage (en rouge). Par ailleurs, c'est la seule drogue qui a davantage de répercussions négatives sur la vie des proches que sur celle de celui qui boit.  

Groupes de parole, une thérapie entre pairs

Culpabilité, colère, honte, autant de sentiments qui se bousculent dans l'entourage des personnes alcoolodépendantes. Aujourd'hui, si l'alcoolisme est reconnu comme une maladie, il reste un grand tabou, notamment pour les proches de celles et ceux qui en souffrent. 

C'est dans ce cadre que les groupes d'entraide entre pairs sont particulièrement utiles. Il en existe de nombreux en France, qui offrent un espace de discussion sécurisé et surtout sans jugement. Al-Anon, en plus de ses réunions, propose des rendez-vous en visioconférence pour tous les profils, conjoints, parents, enfants de personnes alcooliques, et même un cercle plus encadré pour les adolescents. 

"Lorsqu'on a vécu une situation considérée comme honteuse, le fait d'en parler avec d'autres qui ont vécu la même situation permet de se rendre compte qu'il est normal d'avoir honte dans une situation anormale", explique le professeur Jaafari.

L'alcool est le seul produit dont l'impact sur la famille est plus élevé que sur le consommateur.

Professeur Nemat Jaafari

Chef du pôle addictologie du centre hospitalier Laborit

"Quand vous êtes en réunion, que Monsieur X parle de l'alcoolisme de sa femme, la femme de Monsieur Y ça lui parle parce que son mari aussi est alcoolique", poursuit l'addictologue. "Cela permet de mettre des mots sur une situation, des mots que n'ont pas forcément les soignants." Il rappelle qu'au début des années 2000, il a commencé à faire venir des associations dans le service d'addictologie pour échanger avec ses patients, et a rapidement constaté des effets positifs. "Qui mieux qu'un ancien combattant peut expliquer le combat ? Qui mieux qu'un ancien patient pour parler d'un problème avec un autre patient ? Il faut que la parole se libère", conclut-il.

Des réunions partout en France

Il existe aujourd'hui plus de 130 groupes Al-Anon en France, répertoriés sur le site internet de l'association. Six d'entre eux se trouvent en Poitou-Charentes, et organisent régulièrement des réunions :

  • Charente

"Groupe d'Angoulême", C.A.J., Place Henri Chamarre - 16 000 Angoulême. Réunion les jeudis de 20h à 21h30. Contact : 07 73 33 68 32 ou alanon.angouleme@gmail.com

  • Charente-Maritime

"À la vie", Maison des associations Bongraine, 99 rue Nicolas Gargot - 17 000 La Rochelle. Réunion les lundis de 19h30 à 21h. Contact : 06 30 45 01 84 ou alanon.larochelle@gmail.com

"Cordouan", Maison des associations, 61 bis rue Paul Doumer - 17 200 Royan. Réunion les jeudis de 20h à 21h30. Contact : 06 84 79 02 21 ou alanon.royan@outlook.fr

"Mercredi partage", Maison des associations (salle Jean Renoir), 31 rue Cormier - 17 100 Saintes. Réunion les mercredis de 19hh15 à 20h30. Contact : alanon.saintes17@gmail.com

  • Deux-Sèvres

"L'essentiel D'abord", Maison des associations (salle 201), 12 rue Joseph Cugnot - 79 000 Niort. Réunions les deuxièmes jeudis du mois de 18h30 à 19h45. Contact : 07 67 28 55 14 ou alanon.niort@gmail.com

  • Vienne 

"Écouter pour apprendre", 6 rue du Doyenné - 86 000 Poitiers. Réunion les jeudis de 20h à 22h. Contact : 06 71 66 72 73

 * Leurs prénoms ont été changés.

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