Alors que le département des deux-Sèvres est sévérement touché par la pandémie, 29 cas de Covid ont été découverts dans l'Ehpad de Secondigny, près de Parthenay. L'établissement fait face à un manque de personnel.
"Aujourd’hui, on peut confirmer que c’est toujours sous contrôle. Il n’y a pas de soucis là-dessus" ; en apparté, Eric Devaux préfère positiver. Le directeur de l'Ehpad La Vergne et Manga de Secondigny gère pourtant un établissement en crise. 29 cas de Covid ont été détectés ces derniers jours et le personnel soignant est aussi touché. "On essaye d’anticiper malgré tout en activant le recours aux intérimaires et tout ce qu’il y a autour du cadre associatif ", explique-t-il calmement, "on essaye de se donner un peu d’avance parce qu’on sait que les trois semaines qui vont arriver vont certainement être beaucoup plus dures".
Ancien kinésithérapeute, il a un profil que d'aucun jugerait atypique pour un responsable d'établissement pour personnes âgées dépendantes. Dans son discours, on comprend très vite que l'humain est au coeur de son métier.
"Malheureusement, on a un décès à déplorer d’une personne qui était déjà dans un état de santé précaire", continue-t-il, "les familles, on continue à les informer au jour le jour. On a nos bulletins de situation qui permettent de donner des informations. Bon maintenant on commence à essayer de faire face à cette anxiété qui monte pour leurs proches, mais ça, c’est normal".
"On vient avec du stress le matin."
"Pour être honnête, c'est dur" ; dans les couloirs, Anaïs et ses collègues s'activent car l'heure du déjeuner arrive. "On fait ce qu’on peut, on est tous mobilisés mais le personnel est en souffrance parce qu’il est aussi touché", explique l'infirmière coordinatrice, "mais on essaye d’être au maximum auprès des résidents qui ont besoin de nous. On est entre huit et dix arrêts de travail. On essaye de se réorganiser, on fait au jour le jour, mais c’est de plus en plus dur".
Valérie Equipé aussi ne cache pas une fatigue certaine. Assistante aux ressources humaines, comme tout le monde, elle vient en renfort dès que possible, malgré les risques encourus.
"On vient avec du stress le matin, on vient sans savoir qui sera présent et qui ne sera pas présent. On gère au quotidien. On n’a pas le choix. Tout le monde met la main à la pâte, tous les services participent à la distribution des repas. Il y a de l’entraide. Sans ça, ça serait plus difficile. Ce n’est pas facile à vivre. Faut le vivre pour le croire. Même quand on rentre chez nous, c’est avec l’angoisse de ramener le virus chez nous".
Quotidiennement, on assure le bien-être des résidents autant que possible. On a plus de problème en manque de personnel qu’en gestion des résidents. Les résidents vont plus ou moins bien, ce n’est pas ce qui nous inquiète le plus. C’est plutôt qu’on manque de bras, les personnels tombent rapidement et c’est ce qui nous pose problème. En temps normal on tourne à 14 soignants par jour pour 86 résidents. Aujourd’hui, on arrive péniblement à 8 soignants par jour. On a fait un renfort la nuit, à raison de trois soignants par nuit mais là on n’est plus en capacité d’assurer trois soignants par nuit. Ce n’est plus possible.
"Il faut qu'on innove dans l'accompagnement de nos aînés."
Eric Devaux sait évidemment qu'il n'est pas le seul à faire face à une telle situation critique dans la profession depuis bientôt un an. Pour lui, cette pandémie est un révélateur de symptomes bien connus dans le secteur de la dépendance. "Le problème, il est incrusté depuis bien plus longtemps que ça. Les métiers du soin avec un grand S ont été désavoués et mal valorisés, et pas uniquement financièrement. On est encore sur des schémas qui datent depuis trop longtemps dans lesquels nos personnels, notamment ceux qui sortent des écoles, ne se reconnaissent pas forcément."
Alors, en bon professionnel de santé, il préfère anticiper et se réjouit de pouvoir accueillir depuis un an des jeunes en apprentissage. Il sait qu'à l'avenir, le secteur devra être bien plus attractif et surtout réussir à fidéliser ces nouveaux collaborateurs.
"Il faut élargir le panorama, faire appel davantage à ces apprentissages dits de terrain qui vont nous permettre de créer des viviers. (…) Il faut mieux les faire connaitre ; ce n’est pas des voies de garage pour des jeunes qui ne savent pas quoi faire, loin de là. (…) C’est des métiers fatiguants et usants. (…) On ne peut pas imaginer partir d’ici et laisser au vestiaire les problèmes. Ca n’existe pas parce qu’on est dans l’humain. On ne vient pas dans ces métiers-là par hasard".
Alors bien sûr, il y a l'urgence du présent. Il faut à tout prix contenir le virus dans l'Ehpad. Bien sûr, on tournera sûrement bientôt définitivement la page de cette crise sanitaire inédite et mortifère. Mais, à Secondigny, le directeur pense aussi à l'avenir et espère qu'une prise de conscience collective permettra demain de mieux accompagner nos anciens."
Il faut qu’on innove dans l’accompagnement de nos aînés. C’est : "vers quoi va-t-on dans l’avenir ?" . On sait qu’il va y avoir une recrudescence de maladies neurodégénératives. Il faut parler des aidants à domicile qui n’en peuvent plus, du maintien à domicile et dans quelles conditions. En fait, il ya toute une réflexion de fond, en partant de la base.
Pour l'heure, aucun cas d'hospitalisation lié au Covid n'a été déploré dans l'Ehpad de Secondigny. Eric Devaux et l'ensemble de ses collaborateurs tiennent bon, pour l'instant.
Reportage d'Anne-Marie Baillargé, Romain Burot et Philippe Ritaine