Blum et ses premières ministres

Elles ne sont ni électrices, ni éligibles et pourtant elles vont devenir ministres du gouvernement du Front Populaire en 1936 grâce à Léon Blum qui a tenu une promesse faite six ans plus tôt. Un film documentaire retrace leur histoire et leur participation au gouvernement de la France.

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1936. Les femmes ne peuvent pas travailler sans l'accord de leur mari ou de leur père. Elles ne peuvent pas plus ouvrir un compte en banque en leur nom propre, et n'ont toujours pas l'autorisation d'avoir un passeport pour voyager si leur tutelle masculine n'a pas validé cette possibilité. C'est dans ce paysage social et politique que Léon Blum, après la victoire de la coalition du Front Populaire, va former un gouvernement qui comptera pour la première fois dans l'histoire de la France, trois femmes. Elles seront sous-secrétaires d'Etat, mais on les appelle ministres comme le veut l'usage. Cette innovation marque l'entrée officielle des femmes en politique dans la IIIe République.

Pour comprendre ce changement majeur, il faut replonger au coeur des années 30 

Les années 30 : un contexte historique et social singulier 

Des années 30, on retient souvent les congés payés, les quarante heures de travail par semaine et les conventions collectives. En réalité, la société française est en pleine mutation : les changements sont très nombreux et s'accompagnent de combats militants. Lors des mouvements sociaux, à côté des hommes, on voit des femmes, pancartes revendicatives en étendard.

Le Front Populaire intègre les nouveaux acteurs du changement que sont les ouvriers, la jeunesse et les femmes. 

A la fin de la première guerre mondiale, chacun reconnait le rôle des femmes qui ont gagné des galons en remplaçant les hommes partis au combat, dans les fermes ou les usines. Certaines ont occupé des postes de direction. Quelques-unes peuvent désormais passer le baccalauréat, les mêmes veulent désormais se battre pour leurs droits politiques. Les syndicats voient arriver des ouvrières dans des réunions jusqu'alors très masculines.

Et ailleurs ? Ailleurs, comme aux Etats-Unis ou en Angleterre, on est habitué aux députées et ministres au féminin depuis longtemps. Alors en France l'idée que les femmes obtiennent le suffrage universel chemine : Léon Blum n'ira pas jusque là. 

Léon Blum incarne le profil d'un homme très ouvert aux questions sociales dans les années 30. Au début du 20e siècle, en 1907, il a écrit un ouvrage qui a fait grand bruit : Du Mariage. Il y plaide la liberté sexuelle des femmes avant le mariage, non pas pour réduire la portée de cet acte officiel mais au contraire, et malgré certaines interprétations de l'époque, pour le renforcer. Blum est libéral sur ce sujet. Il faut dire que Thérèse, d'abord sa maîtresse puis sa femme, est très moderne et le pousse à prendre conscience de la cause des femmes. Il assume ses idées mais il est l'un des seuls hommes politiques à faire face à une société encore très traditonnelle. 

Tout cela prend place dans la modernité que représente le Front Populaire.

En 1930, Léon Blum est invité à un banquet militant, et devant un parterre féminin à l'écoute, il promet que si les socialistes arrivent au pouvoir, il nommera des femmes ministres. Six ans plus tard, il tient promesse. Au départ, sur un bout de papier il jette quelques noms pour former son gouvernement. Il a simplement noté : Madame X. S'il veut faire entrer les femmes en politique par le haut, il veut aussi et surtout s'appuyer sur des profils reconnus par tous.

Découvrez ci-dessous un extrait du film documentaire réalisé par Maud Guillaumin (Production : Midralagar)

Extrait du film documentaire : Blum et ses premières ministres ©Midralgar2020

 

Pour lui, les trois femmes nommées représentent des valeurs fondamentales de la gauche. Elles sont issues de l'école de la République, elles défendent des valeurs démocratiques depuis toujours et elles se battent pour la justice sociale. 

Trois femmes, trois personnalités, trois ministres 

Irène, Cécile et Suzanne vont donc devenir des noms au sommet de l'Etat. Elles ne se connaissent pas, et sont issues de milieux différents. Léon Blum a dû entreprendre un travail de conviction avant qu'elles n'acceptent leur porte-feuille ministériel. Aucune ne se sent légitime, toutes les trois trouvent que c'est là "une drôle d'idée". C'est sans compter sur la force de persuasion du président du Conseil et leur idée du devoir envers les causes défendues.  Ainsi trois femmes deviennent pour la première fois ministres.

- Irène Joliot-Curie : sous-secrétaire d'Etat à la recherche scientifique 

Elle est Prix Nobel de Chimie et évolue dans le monde de l'intelligencia parisienne. Elle ne connait que les laboratoires et les expériences. On la dit rigide et rationelle. Au-delà de ses compétences, son nom est à lui seul une carte de visite, un sésame :elle est la fille de Pierre et Marie Curie, elle aussi Prix Nobel de Chimie. Le monde politique est loin d'être son quotidien même si sa proximité avec le Parti Communiste ne fait pas de doute. C'est un atout pour Blum qui se doit de satisfaire les deux membres de sa coalition : le PCF et le Parti Radical. 

Pour Irène Joliot-Curie, c'est avant tout le travail et l'indépendance des femmes qu'il faut chercher à défendre. Un autre point commun avec sa mère. Un credo : une femme peut avoir les mêmes responsabilités qu'un homme.

Elle négocie avec Blum de ne rester que quelques mois au gouvernement car elle est très affectée par la tuberculose. Elle consent cependant à devenir ministre et à lancer, et ce n'est pas rien, le tout premier ministère de la recherche scientifique en France. Elle y restera trois mois. 

- Cécile Brunschvicg :  sous-secrétaire d'Etat à l'Education Nationale 

Elle possède un tempérament affirmé. Née dans une famille bougeoise d'origine juive, elle s'est illustrée dans les milieux de l'action sociale et du militantisme politique. Fille d'industriels très riches, elle est une femme de tête qui s'est construite toute seule intellectuellement. Elle obtient son brevet passé en cachette de son père. 

Epouse de l'universitaire philosophe Léon Brunschvicg, elle prône l'égalité entre les hommes et les femmes en s'investissant dans des mouvements politiques. Son objectif est de faire bouger les lignes, c'est l'une des raisons de son inscription au Parti Radical, le plus antiféministe de tous. Elle ne sera pas épargnée, souvent associée à ses deux collègues, par la presse d'extrême-droite et antisémite. Des caricatures les représentent de manière très désavantageuses. Des articles disent tout le mal qu'une partie de la société pense de leurs nominations : pas éligibles, pas électrices mais ministres ! pour certains, c'est inacceptable. 

Cécile Brunschvicg aime la confrontation des idées et reçoit dans le bureau de son hôtel particulier parisien. Tous les jours, avocates, journalistes (les premières) s'y succèdent ; grâce aux relations de son mari, elles côtoient de nombreux hommes politiques. 

Son engagement va plus loin. Elle est à la tête du journal destiné à un lectorat féminin : La Française, et présidente de l'Union française pour le suffrage des femmes. Les droits des femmes, l'amélioration des conditions de vie des travailleuses, son engagement en faveur du droit de vote pour tous... autant d'éléments qui font que Blum lui confie le ministère de l'Education Nationale. 

- Suzanne Lacore : sous-secrétaire d'Etat chargée de la protection de l'enfance 

Suzanne Lacore est une militante. Léon Blum est président du conseil mais aussi dirigeant de la SFIO. Le militantisme lui parle. 

En 1936, cette institutrice de 61 ans est déjà à la retraite. Elle n'a quasiment jamais quitté le Périgord. On lui reconnait une culture générale importante et l'envie de transmettre à ses élèves des valeurs. Elle est l'une des rares socialistes de sa région, alors elle participe à presque toutes les réunions. Elle s'y rend à bicyclette, peu importe le nombre de kilomètres à parcourir dans son département de la Dordogne. Peu importe aussi le regard que certains posent sur cette femme qui ne doit de compte à personne car elle est célibataire. Ce n'est pas le cas des deux autres "ministresses" comme certains les appellent à l'époque et qui sont pourtant considérées comme mineures car mariées. Toutes leurs décisions doivent recevoir l'aval de leur mari. 

Pour cette enseignante, seul le collectif compte. Blum l'a déjà vue à plusieurs reprises et il a lu ses articles rédigés dans Le populaire du Centre par exemple. Elle y écrit sur l'éducation et la politisation des femmes, ce qui impressionne Léon Blum. Sa vie durant, elle s'est engagée pour les autres. Elle est une femme de la France rurale, comme beaucoup de ses élèves issus du milieu paysan sans le sous. 

Suzanne Lacore s'éloigne doucement du catholicisme de ses parents pour ne plus avoir comme seule religion que le socialisme. Elles est attachée à la lutte des classes. Cela signifie pour cette future ministre que le combat féministe passe d'abord par la lutte sociale dans son ensemble. Ses valeurs sont celles que souhaite porter le nouveau président du Conseil qui la nomme Secrétaire d'Etat à la santé publique. Elle s'occupera plus particulièrement de la protection de l'enfance et tentera de moderniser profondément le secteur. 

Découvrez un second extrait de Blum et ses premières ministres ci-dessous : 

Suzanne Lacore - l'une des trois ministres entrées au gouvernement du Front Populaire ©Midralgar2020 / Francetv

 

En 1937, ce gouvernement du Front Populaire prend fin, et avec lui la confiance accordée aux trois premières femmes ministres de l'histoire de France. En 1938, Léon Blum revient au pouvoir pour deux mois, en mars et avril, mais il ne fera pas à nouveau appel à des femmes pour être à la tête de ministères qui deux ans plus tôt ont oeuvré pour le bien commun. 

Ces trois femmes sont entrées dans l'histoire, grâce à leurs engagements et un peu malgré elles, puis ont été oubliées.

La réalisatrice Maud Guillaumin et la productrice Martine Vidalenc (Marmitafilms) réparent cet oubli dans ce film documentaire Blum et ses premières ministres.

 

 

Blum et ses premières ministres

A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, ce film documentaire initié et co-produit par France 3 Nouvelle-Aquitaine a été diffusé sur l'antenne nationale de France 3, le lundi 8 Mars à minuit.

#8MarsTousLesJours

Scénario et Réalisation : Maud Guillaumin 

Documentaliste : Hélène Zinck

Production : Midralgar (Marmitafilms) 

En partenariat avec : 

La région Nouvelle-Aquitaine 

Le département de la Dordogne 

Le CNC, la Procirep et l'ANGOA 

Durée :  52 minutes 

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