Dans son passionnant et émouvant livre-enquête sur ses grands-parents juifs pendant la seconde guerre mondiale, Franck Fajnkuchen revient sur le destin d’Huguette Conquet. Cette jeune Périgourdine, secrétaire de la milice de Dordogne, était aussi l’ange-gardien de la famille de l'auteur.
L’incroyable histoire débute quand Bernard Reviriego écrit à Franck Fajnkuchen. Celui qui a déjà beaucoup travaillé sur les réfugiés juifs en Dordogne cherche des informations sur le grand-père de Franck, déporté et un temps réfugié en Périgord.
Bernard Reviriego lui parle de la famille Conquet qui a pris sous son aile, les grands-parents et le père de Franck Fajnkuchen lors de leur arrivée dans le département. L’envie d’en savoir plus a incité Franck Fajnkuchen, ophtalmologue à Paris, à fouiller de son côté les archives pour revivre le parcours de sa famille entre 1940 et 1944 qu'il raconte dans son livre " Yzkor - une famille juive en France entre 1940 et 1944" aux éditions Secrets de Pays.
«Un vrai lien d’amitié»
"La famille de mes grands-parents est originaire de Pologne. Elle s’installe à la fin des années 1920 à Lens, dans le Pas-de-Calais. Quand les Allemands occupent la France en mai 1940, mes grands-parents vivent l’exode et se retrouvent en Dordogne avec trente membres de leur famille dont mon père" nous relate Franck Fajnkuchen.
Leur premier lieu d’hébergement se situe rue Siegfried près du jardin des arènes à Périgueux. Au numéro 8 se trouve la famille Conquet.
La mère de famille se prénomme Mathilde. Elle est veuve. Son mari cheminot est mort peu de temps auparavant de maladie. Elle élève seule ses cinq filles dont l’aînée s’appelle Huguette. «Il se crée entre la mère Conquet et le reste de ma famille un vrai lien d’amitié. Elle va accueillir successivement l’ensemble des membres de ma famille. Huguette devient amie avec un de mes cousins et avec Erna, ma grand-mère." Le plus surprenant, c’est qu’Huguette est secrétaire de la milice de Dordogne.
Huguette, l’ange gardien
Pour aider financièrement sa famille, la jeune femme a été convaincue par un de ses oncles d’accepter un poste de dactylo au «service d’ordre légionnaire » - le S.O.L- rebaptisé Milice en 1943.
"Huguette avait 15 ans quand elle est entrée au SOL. Elle était copine avec bon nombre de résistants qu’elle croisait dans la rue et quand ces derniers lui demandaient ce qu’elle faisait là-bas, elle leur répondait que «les boches» de toute façon allaient perdre et qu’elle avait juste besoin de gagner de l’argent. Un de ses anciens voisins m’avait un jour raconté qu’il l’a voyait passer habiller en milicienne, avec son béret. Elle semblait inconsciente du danger. Elle ne réalisait pas!" indique Bernard Revierego.
«Ce n’était pas une résistante infiltrée, elle n’avait pas d’engagement politique, elle n’était pas une idéologue, elle était là pour subvenir au besoin de sa famille» rajoute Franck Fajnkuchen.
Huguette devient l’ange gardien des Fajnkuchen. "Elle a prévenu régulièrement les membres de ma famille de l’imminence des rafles. Au lendemain de la guerre, ma grand-mère témoigne que s’ils ont échappés aux rafles de l’été 1942 et février 1943, c’est grâce à son intervention" précise Franck.
"Elle s’inscrit dans ce qu’on appelle les zones grises. Au cours de cette période, il y a eu des gens qui ont eu des comportements héroïques, d’autres se sont conduits comme des salauds absolus, la honte de l’humanité, et puis il y a des gens que l’on n’arrive pas à mettre dans une catégorie, qui sont ni dans le noir, ni dans le blanc….ce qu’on appelle les zones grises."
Un coup de main fatal
L’amitié perdure au cours des années et quand il y a des services à rendre, Huguette est toujours là. Le 10 avril 1944, Erna la grand-mère de Franck, résidant alors à Cornille, a besoin de déménager un meuble et fait appel à sa copine. Huguette se présente le lendemain avec une voiture de la milice, une Torpedo Peugeot, et deux de ses camarades armés. "Imaginez cette scène : une juive installée en Dordogne aidée par des miliciens en arme pour bouger un meuble" s’étonne encore aujourd'hui son petit-fils.
Mais ce coup de main est très risqué.
"C’est une période où il y a beaucoup de tensions. Les résistants ont assassiné la femme du chef de la milice de Dordogne Victor Denoix quelques semaines auparavant. Des combats ont lieu en permanence entre eux, alors quand certains résistants voient la voiture transportant Huguette, identifiée comme étant de la milice, et une blonde polonaise qu’ils n’ont pas lieu d’identifier comme juive, ils décident peu après d’enlever ma grand-mère. Manek, mon grand-père, apprenant cela court chez les Conquet pour prévenir Huguette de l’enlèvement de sa femme. Il la met en garde contre la Résistance qui doit l’épier. Là encore un comble: un juif qui prévient une milicienne que la résistance va intervenir!"
Quelques minutes plus tard, des résistants déguisés en Allemand débarquent au domicile des Conquet, ils embarquent Huguette et mon cousin, lui-même résistant, venu exprès pour la protéger. Ils sont emmenés à leur tour dans le maquis de Ligueux où ils sont interrogés. Les maquisards se rendent compte que ma grand-mère est juive, que mon cousin est résistant, ils les libèrent mais gardent Huguette.» La jeune femme est fusillée, on ne retrouvera jamais son corps. Elle n'avait pas dix-huit ans.
Les zones grises
En enquêtant sur sa famille pendant la guerre, Franck Fajnkuchen n’a pu être qu’ému de ce destin particulier: "Il ne faut pas faire basculer les barrières du bien et du mal, il y a des gens qui ont la lucidité et les valeurs humaines qui d’emblée les ont fait pencher pour la résistance et d’autre par idéologie, opportunité ou intérêt ont fait le choix du pire. Ses territoires du bien et du mal, il faut les respecter, car c’est ce qui fait de nous des êtres humains qui a un moment avons le libre arbitre de ce que nous faisons ou ne faisons pas. Après il y a des éléments comme la jeunesse…qui font qu’un moment on peut se retrouver dans ces zones grises…mais bon la responsabilité d’un être humain, c’est de faire des choix. Donc, je ne veux pas dédouaner, je considère que c’est un cas personnel, intéressant par son côté singulier. Cette histoire n’a pas une valeur d’exemplarité au sens de dire attention, il y a du bien dans le mal et du mal dans le bien.
«Ce que dit Franck est très juste, mais ce sont des propos qu’on ne pouvait pas tenir il y a 30 ou 40 ans, c’est pour cette raison que le corps de la jeune femme n’a jamais été retrouvé. Beaucoup savaient, mais il y a eu une omerta pour ne pas casser la légende dorée de la Résistance, ce que je comprends et respecte. Il ne faut pas se saisir d’un tel dossier pour salir la résistance. Ce cas singulier doit rester singulier.» précise Bernard Reviriego.
Huguette Conquet réhabilitée
En 1959, le tribunal de Bordeaux réhabilite Huguette Conquet. Les magistrats ont jugé que son exécution a été hâtive et qu’elle ne tenait pas compte de l’aide apportée à un certain nombre de juifs.
Quant aux grands-parents de Franck Fajnkuchen, ils quittent la Dordogne peu après l'arrestation d'Erna et Huguette. Ils trouvent refuge à Lyon où, après le débarquement allié, le niveau de persécution ne cesse d’augmenter. Son grand-père est arrêté, le 17 juillet 1944 par les membres du parti populaire français. Il est interné à la prison de Montluc. Il fait partie du dernier convoi de déporté organisé par Klaus Barbie. Il meurt à Auschwitz.
"Yzkor-Une famille juive en France entre 1940 et 1944" aux éditions Secrets de Pays - Préface Elisabeth Badinter et Postface Bernard Reviriego. En hébreu, Yzkor signifie "qu’Il se souvienne" et désigne la prière du souvenir en mémoire des morts.