Faute de pouvoir dialoguer avec son père qu'elle accuse de l'avoir agressée à l'adolescence, Dawa Salfati a décidé de porter l'affaire en justice. Le procès, qui s'ouvre ce 19 novembre à Agen sera public, à la demande de la victime.
"Si quelqu'un me l'avait demandé vraiment, quand j'étais petite, vraiment, pour de vrai, peut-être que j'aurais réussi à le dire." Dawa Salfati est une jeune femme pleine de talent. Chanteuse, auteure, compositrice et photographe, l'artiste vit en Dordogne après avoir quitté la maison familiale d'Agen, à ses 17 ans. En chants, musique et images, elle a construit un monde intimiste et sensible, exposé ses failles et ses forces, ses revendications féministes aussi.
Derrière ce travail abouti, Dawa Salfati portait aussi un lourd secret qu'elle a décidé de dévoiler, pour se libérer. Il y a huit ans, elle a porté plainte contre son père pour viols incestueux sur mineure. Elle l'accuse de l'avoir violée de ses 12 à 17 ans.
Pour que la honte change de camp
Le procès aura lieu les 19 et 20 novembre à Agen. Dawa a souhaité qu'il se déroule en audience publique. Elle a vécu trop longtemps dans le secret, et souhaite maintenant tout exposer au grand jour "pour que la honte change de camp" et pour libérer sa parole. "À la base, je voulais juste parler avec mon père. Je voulais régler ça entre nous", expose-t-elle..
Je voulais qu'on se dise : ok papa, tu m'as violée, est-ce qu'on peut en parler, est-ce que tu peux t'excuser...
Dawa Salfati
"C'est ok, tu m'as violée, mais parlons en"
"J'ai réussi à parler au moment où j'ai revu mon père, quand j'avais 19 ans. Je l'ai pris entre quatre yeux, et je lui ai dit, bon, Papa, maintenant, il faut qu'on parle. Tu peux me dire. C'est ok, tu m'as violée, mais parlons-en", se souvient-elle. La réaction de son père a alors été constitutive dans la démarche de la jeune artiste.
"A ce moment donné, il m'a dit : mais non, en fait, c'était de l'amour Dawa, reviens. Là, j'ai compris qu'il n'y avait aucun dialogue possible", poursuit Dawa.
"Le cheminement vers la plainte a commencé par là, au moment où mon père m'a dit : bah non, en fait, je ne t'ai pas violée", résume la jeune femme. Dawa ose alors raconter les faits, à sa mère tout d'abord, mais aussi son entourage plus éloigné, chose qu'elle n'avait jamais osé faire jusqu'alors. "Mon père me disait : si tu parles, je vais tous vous tuer". Une prise de parole douloureuse et difficile à recevoir pour ses proches.
Souvent les mères ne voient rien, et quand la victime parle, les mères sont dans le déni, parce que c'est impossible.
Dawa Salfati
Un long processus
Huit ans après avoir lancé cette plainte, Dawa s'apprête enfin à affronter ce moment. "J'ai mis du temps à me dire : ce n'est pas ma faute ce qui m'est arrivé. Ça, c'est très long comme processus. Et maintenant, je me sens prête à être dans la justice, à ne pas me sentir victime uniquement et à me sentir [une] personne, à me sentir adulte face à mon père".
C'est tellement énorme comme situation que je me sens presque détachée... Peut-être parce que je suis encore dans le déni de ce que j'ai vécu, dans ce besoin toujours de se dissocier, en fait, quand on est victime.
Dawa Salfati
Entourage bienveillant
Dans cette épreuve, la jeune femme est consciente d'être dans une situation malgré tout privilégiée. "J'ai beaucoup de chance, parce que je vais être très soutenue et entourée. J'ai beaucoup d'amis qui sont là pour moi, qui vont venir au procès, beaucoup de gens que je ne connais pas qui seront là. J'ai beaucoup de bienveillance et ça, du coup, ça me donne une énorme force. Je me sens, encore une fois, ultra-chanceuse parce que tout le monde n'a pas cette chance".
Au-delà de sa propre situation, Dawa aimerait que sa démarche ouvre la voie à d'autres victimes silencieuses. Pour cela, elle s'est investie dans l'association "Libérons la parole 24", antenne locale de l'association nationale qui lutte contre la pédocriminalité.