Catastrophe naturelle sécheresse : "oubliée" depuis dix ans, la commune attaque l'État en justice

Comme dans toutes les communes de Dordogne, les maisons de Chancelade ont beaucoup souffert des aléas climatiques ces dernières années. Mais depuis dix ans, aucune reconnaissance de catastrophe naturelle n'est venue en aide aux habitants. La municipalité attaque donc l'État.

Un rapport du Sénat du 15 février 2023 établit que le risque "retrait-gonflement des argiles" (RGA) concerne 48% du territoire et potentiellement plus de la moitié des logements individuels français.

Ces cinq dernières années, les dommages causés aux maisons par les épisodes de sécheresse représentaient 70% des coûts liés aux catastrophes naturelles. 

302 dossiers en souffrance

Chancelade, près de Périgueux, connaît bien le phénomène. Pascal Serre, le maire, n'arrête pas d'être sollicité par des administrés dont les maisons se fissurent. Les courriers et les photos des dégâts s'accumulent sur son bureau après chaque épisode de sécheresse. Surtout depuis 2012, se souvient l'équipe municipale. 302 dossiers déposés, parfois issus des mêmes propriétaires après la constatation de nouveaux dégâts. Et chaque année, il y en a de plus en plus. "Lorsqu'ils viennent en mairie avec leur dossier de catastrophe naturelle, il est très difficile pour nous de les laisser repartir sans qu'ils aient le sentiment d'être accompagnés", déplore l'édile. "Il y a des photos que j'ai vues, il y a des fissures qui sont béantes, ce n'est pas une malfaçon de la construction, c'est bien un problème de terrain, donc lié au climat, donc soumis aux critères actuels."

Défaillance de l'État ?

Là où la mairie est bloquée, c'est que depuis dix ans, malgré ses demandes, l'État n'a pas reconnu pas l'état de catastrophe naturelle dans la commune. "Alors que toutes les communes environnantes sont classées", souligne Pascal Serre. Reconnaissance qui conditionne une prise en charge par les assurances.

Consulté, le cabinet juridique de la ville a expliqué à la mairie que les critères de sélection pour déterminer l'état de catastrophe naturelle dataient d'une trentaine d'années. "Il me semble que depuis trente ans, on parle beaucoup de dérèglement climatique et je suis étonné qu'on ait toujours les mêmes critères", soulève le maire. C'est pourquoi le conseil municipal a décidé de porter un recours devant le Tribunal Administratif.

Cette procédure vise avant tout à souligner ce problème et à ce que l'État corrige et réadapte ses critères climatiques en fonction de la situation actuelle.

Pascal Serre, maire de Chancelade

Faire avancer les choses

Rien de personnel là-dedans. Monsieur le Maire ne tient pas à tirer la couverture à sa commune, il souhaite plutôt faire progresser les choses pour le bien commun. "La justice est une manière de dialoguer. Ce n'est pas un coup de gueule, c'est un coup de semonce pour qu'au terme de la jurisprudence qui sortira de ce jugement, l'État puisse prendre en considération cet élément." 

C'est pas parce qu'on va en justice qu'on a raison. On demande à la justice de trancher.

Pascal Serre, maire de Chancelade

L’initiative vise aussi à entamer cette action en justice au nom de la collectivité pour éviter aux particuliers d'engager, à titre individuel, un combat coûteux contre l'État. Combat qu'ils auraient peu de chance de gagner.

Problème généralisé

D'autres communes pourraient être tentées d'emboîter le pas, car le phénomène s'amplifie : à elle seule, la sécheresse de 2022 a coûté 3,5 milliards d’euros. Ces cinq dernières années, elle représentait 70 % des coûts liés aux catastrophes naturelles. Et les projections jusqu'en 2050 montrent que le phénomène devrait tripler par rapport aux décennies précédentes. On imagine sans peine que de nombreuses communes peuvent se sentir lésées face à des choix de l'État plus ou moins lisibles. 

"Cat-Nat", assurance des assureurs

Le régime de catastrophe naturelle a été institué en France dans les années 80 pour faire jouer la solidarité nationale face aux calamités qui frappent le territoire. Il s'agit d'une "super-assurance" nationale à laquelle souscrivent les compagnies d'assurances.

Sa mise en action découle donc, comme pour un contrat d'assurance classique, de la reconnaissance de l'assureur d'un dégât avéré pour cause d'incendies, d'inondations, de cyclones ou de sécheresses. Dans ce dernier cas, l'État se base sur une évaluation mathématique qui prend en compte l'humidité, la nature argileuse des sols, le caractère exceptionnel et la récurrence du phénomène. 

Pot de terre fissuré contre pot de fer budgétaire

Au regard de l'évolution climatique, de l'amplification des épisodes de sécheresse et des contraintes budgétaires, il y a peu de chance que l'État assouplisse ces critères de reconnaissance. Peu de chance surtout qu'il laisse Chancelade ouvrir une brèche dans laquelle risquent de s'engouffrer des milliers de communes. "Je ne suis pas naïf au point d'imaginer qu'on aura gain de cause", conclut, un brin fataliste, Pascal Serre. "Mais on pose un jalon."

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