La Dordogne, une rivière longtemps hantée par un étrange animal : aujourd’hui encore, le Coulobre occupe bien des esprits. Il fait partie des contes et légendes du Périgord.
Nul besoin d’aller très loin pour réveiller les peurs et avoir des frissons. En Dordogne, il est un conte qui se raconte au fil du temps et au fil de l’eau. Le Coulobre, un animal maléfique qui terrorisait tout un secteur, celui de Lalinde. C’est ici, dans ce petit village surplombant la rivière que vivait " Lo Coulobre", la couleuvre en gascon. Un horrible animal, à la taille démesurée, si grand disait-on, que l’on pouvait voir sa queue dépasser la falaise lorsqu’il allait se rassasier dans la rivière.
Un récit séculaire
Cette légende, les habitants la transmettent et la partagent depuis un millénaire. Thierry Parsat est de ceux-là. "Elle est ancrée en moi depuis fort longtemps. C’est ma grand-mère qui m'a raconté cette histoire".
Ce jour-là, bien installé sur une gabarre, le conteur n’a pas son pareil pour nous rappeler à quelle bête infâme, nous avons à faire. "C’est un dragon avec un corps de lion et un corps de serpent. Il a des pattes puissantes avec des griffes". L’enfant du pays se délecte à narrer ces anecdotes, d'autant plus qu'elles ne laissent jamais indifférents ceux qui les écoutent.
Il faut le voir expliquer en joignant le geste à la parole comment "lo Coulobre" a donné des sueurs froides aux gens du pays. Il en "frissonne", encore confie-t-il avec amusement.
Sur le dos, il a des ailes de chauve-souris volantes, griffues. Il a une tête immense avec des cornes, qui vient te chercher le soir quand tu ne veux pas dormir !
Thierry ParsatConteur
L'homme ne compte pas son temps. La description est précise. "Sa gueule est hérissée de dents et quand il l'ouvre, il crache tous les feux de l'enfer ! "
"Les jours de brume, on y pense davantage"
Alors que l’embarcation poursuit son voyage, le batelier écoute avec attention. Lui aussi, connaît l’histoire par cœur. Elle a toujours imprégné la région.
"Oui, on y pense ! Moi, personnellement, je ne l'ai jamais vu !", sourit-il malicieusement. Jonathan Jame a beau être un adulte, son métier lui rappelle que c’est ici, par le passé, entre Lalinde et Couze, dans les eaux tumultueuses et troubles de la Dordogne, que la légende a pris racine. Un passage redouté des bateliers, tant la rivière se transformait en rapides. Bon nombre d’embarcations y ont sombré. "Les jours de brume, les jours où la Dordogne est agitée, on 'y pense davantage ! On en parle aux gens aussi pour les mettre dans l'ambiance !"
Ici, le conte fait partie du décor. Il est partout. Sur le blason de la ville, dans des grottes et des lieux-dits. "C’est vraiment quelque chose qui a imprégné le coin et qui est toujours un peu dans la tête ! ".
Christian Bourrier est passionné d'Histoire. Et celle-ci n’a aucun secret pour lui. Nous le suivons sur un sentier. Le chemin escarpé nous entraîne sur la falaise de Couze-et-Saint-Front, au lieu-dit Gratusse. Il nous montre une cavité, le fameux trou du Coulobre.
Un observatoire, une tanière, depuis lequel la bête sanguinaire voyait les bateaux passer avant de les happer puis de se repaître de ses victimes.
D’après les anciens, il se cachait là et c’est ici qu’il mangeait ses victimes, qu’il les dévorait.
Christian BourrierPassionné d'histoire
"Les bateaux étaient naufragés ici ! Ça s'appelle aussi les Malpas c’est-à-dire les mauvais passages ! ". Le dragon se serait régalé de centaines de pauvres marins et de lavandières.
Des habitants libérés par Saint Front
Et puis un jour, les habitants lassés par cet ogre sans foi ni loi, ont fait appel à un sauveur. Un dénommé Front, à Périgueux, poursuit Christian Bourrier. Devenu Saint Front, ils le prièrent de le chasser de leur contrée. La légende raconte que c’est lui, le prédicateur des campagnes, qui allait en venir à bout, en le combattant avec sa crosse. D’autres versions le voient partir à sa poursuite en bateau et lui jeter un sort muni d’une croix.
De son passage reste une chapelle érigée au XIIᵉ siècle au-dessus de la ville. Aujourd'hui encore, l'ombre du Coulobre plane sur la rivière Dordogne. Il a même donné son nom à une confrérie. Une poignée de passionnés, soucieux de faire vivre cette histoire.
"Quand les anciens nous racontaient ça, c'était formidable se souvient l’un d’eux. Patrick Brun en est certain, cette histoire doit vivre et être racontée : il faut continuer à la garder, à la faire perdurer".
Une légende séculaire, qui reste transmise de génération en génération. Le monstre de la Dordogne a beau avoir été englouti par la rivière, il revient régulièrement à la surface pour nourrir un peu plus encore l’histoire du Périgord.