Éducation nationale : des profs de musique élèvent la voix pour faire entendre le malaise général

Ils sont éreintés par des conditions de travail continuellement dégradées. En Dordogne, les professeurs d'Éducation musicale et chant choral adressent une lettre ouverte à leur inspecteur. Le reflet du mal-être de toute une profession.

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Sept pages serrées, lourdes d’arguments, d’explications et de doléances, sur les difficultés croissantes vécues par le corps enseignant. Ce mardi, plus de la moitié des professeurs d'éducation musicale et chant choral (EMCC) des collèges et lycées de Dordogne ont adressé une lettre ouverte à Jean-Marie Caniard, leur Inspecteur pédagogique régional (IPR) afin qu’il la relaie au rectorat et au ministère. Lettre également transmise à leurs collègues d'Aquitaine.

L'idée, ce n'est pas de prendre la place des syndicats, mais de dire : " écoutez-nous, nous sommes sur le terrain. Écoutez ce qui se passe, ce que nous avons à dire !"

Grégory Benzekry, enseignant à Mussidan

Un couac de trop

"La goutte d'eau, ça a été la réorganisation du système de formation pour les enseignants", explique Grégory Benzekry. Depuis trente ans, les professeurs de musique de Dordogne organisent sur leur temps de travail des rencontres chorales qui réunissent chaque année une trentaine d'établissements, près de 1000 élèves et un orchestre. Le nouveau système leur imposerait désormais d'organiser cela sur leur temps libre, en prenant sur les vacances ou les week-ends. C'est ce tour de vis de trop, après de nombreuses frustrations, qui les a poussés à sortir de leur réserve.

Initiative personnelle

La démarche se veut « ni politique, ni syndicale », mais simplement destinée à faire entendre le témoignage des professionnels enseignants du terrain pour alerter sur «  la détérioration de leurs conditions de travail, de la formation continue et de la reconnaissance ministérielle pour leur métier et leurs missions quotidiennes  ». Une détérioration accentuée par «  des décisions prises par les ministères de l’Éducation nationale successifs, sans aucune réelle concertation  » qui finit par avoir raison de leur volonté à s’impliquer sans compter.

Un professeur devant chaque élève ?

Suit une longue liste d’arguments, à commencer par les manques d’effectif. Alors que le Gouvernement assurait qu’il y aurait un professeur devant chaque élève, le collectif affirme que dans plus de la moitié des établissements du second degré de Dordogne, toutes matières confondues, il manquait au moins un enseignant lors de la première semaine de cours. Depuis longtemps déjà, les Titulaires sur Zone de Remplacement (TZR) censés assurer le remplacement ponctuel et local de leurs collègues sont tous affectés sur des postes plus ou moins fixes. Même certains remplacements pour congés maternité, pourtant prévisibles, n'auraient pas été anticipés. Sans parler des pénuries de surveillants et Assistants d'Éducation (AED).

À Mussidan, on s'est déjà retrouvé avec 90 élèves dans une seule salle pour un seul surveillant !

Grégory Benzekry, enseignant à Mussidan

Nouveaux dispositifs, culpabilisants et mal acceptés

Le collectif évoque des contraintes pour accepter les nouveaux dispositifs tels que le "pacte enseignant" comportant des missions de remplacement de courte durée au pied levé «  presque irréalisables à mettre en place pour les chefs d’établissement au vu des emplois du temps de chacun  ».

Si ces heures ne sont pas assurées, elles peuvent entraîner en cascade la suppression d'activités de chorales, d’ateliers, de sorties pédagogiques ou de voyages. Autant dire que le prof qui refuse d'effectuer des heures supplémentaires de remplacement risque d'être stigmatisé par ses collègues, ses élèves ou leurs parents. Pas de quoi assurer une ambiance sereine.

Démotivation parallèle

Depuis le COVID, les enseignants boudent les "missions supplémentaires" de professeur principal, formateur, tuteur, professeur relais, ou coordinateur de dispositifs et projets. Quand ils ne démissionnent pas. «  Le nombre de démissions, que ce soit des personnels enseignants titulaires ou contractuels, s’intensifie également ces derniers temps » rappelle la lettre ouverte.  "Vu les conditions, c'est pas étonnant qu'il y ait de moins en moins de gens qui veulent être profs ! ", confirme Grégory Benzekry.

De fait, l'Éducation nationale n'attire plus, des milliers de postes restent non pourvus et sont remplacés par des contractuels, parfois recrutés dans l'urgence. Les conditions d’enseignement plus complexe n'améliorent pas non plus la motivation des élèves qui se sentent de moins en moins concernés. Même si en Dordogne les enseignants avouent ne pas être les plus exposés, certains élèves commencent à décrocher des cours et remettre en cause l’autorité des enseignants «  La liste de nos difficultés s’accroît et le Ministère de l’Éducation nationale ne semble pas en prendre conscience ou ne priorise pas ces questions essentielles pour l’avenir de nos enfants (et le nôtre). »

Salaires insuffisants

Au niveau salarial, face à l’inflation, le collectif dénonce la «  façon éhontée de mettre en avant, pour les grossir artificiellement, les chiffres d’augmentation bruts plutôt qu’une augmentation nette » en soulignant que depuis 1980, le SMIC a augmenté de 66 % alors que le salaire des enseignants a baissé globalement de 15 %. En 1980, le salaire d’un enseignant certifié échelon 1 (niveau Bac +5 minimum) représentait 2,17 fois le SMIC. En 2022, il ne représente plus qu’1,14 fois le SMIC.

Réformes à répétition

Dans leur lettre, les enseignants déplorent que des «  décisions, expérimentations prises sans concertation, entraînent une mise en place très complexe et bringuebalante sur le terrain. Chaque nouveau ministre semble intimement convaincu que sa mission est de trouver la solution miracle, et chaque fois, c'est une nouvelle réforme à demi-appliquée lorsque vient le ou la prochaine ministre.  »

Sondage

À l’appui de ces doléances, le collectif joint un sondage départemental auquel ont répondu une trentaine d'enseignants en Éducation musicale et chant choral, soit plus de 80 % des effectifs. Un échantillon représentatif sur le plan national, affirme le collectif. Tous déclarent avoir des tâches à remplir autres que l'enseignement de leur discipline, à 93 % ils estiment que l'Éducation nationale leur en demande de plus en plus. À 83%, ils ont refusé les remplacements courte durée dans le cadre du Pacte. Ils sont également 93 % à trouver inacceptable de devoir se former professionnellement pendant leurs vacances. La quasi-totalité estime enfin que les élèves deviennent de plus en plus difficiles.

Grève musicale

Fatigués, les profs de musique menacent de refuser les missions supplémentaires qui leur seront proposées et d’arrêter de participer aux rencontres chorales, et ce, en dépit d’un département dans lequel les élèves sont « majoritairement intéressés, agréables, impliqués dans les activités musicales en classe ».

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