Si le loup ne fait aujourd’hui que de discrètes apparitions dans nos départements, il fut un temps où sa population était importante dans la région. Du Moyen-Âge jusqu’au début du XXe siècle, l’animal occupe le territoire. Et, pendant des siècles, il y a même semé la terreur.
C’est une liasse de vieux papiers. Le bord des feuilles part en poussière et les lignes qui la recouvrent sont écrites d’une fine écriture noire. " [Un loup] a attaqué au milieu d’un nombreux troupeau (…) une petite fille de huit ans ". Le récit, multipliant les digressions et les formules alambiquées, est typique du début des années 1800.
L’homme qui l’écrit, le maire de Saint-Médard-de-Mussidan, n’omet rien de l’attaque qui a touché sa commune : le grand frère qui arrive à la rescousse, les bergers dont les cris n’effraient pas la bête, le coup de fusil qui finalement lui fait lâcher prise. Puis il conclut : " Cette petite infortunée, que je viens de quitter, parait mortellement blessée, et il est à craindre que tous les soins que je vais veiller qu’on lui donne ne pourront lui conserver la vie ".
Une bête anthropophage
Les archives de la Dordogne sont une source inépuisable lorsqu’il s’agit de sonder le passé du Périgord. Sans surprise, le loup y a laissé sa trace : non seulement à cause des dégâts qu’il occasionne sur les troupeaux, mais aussi parce que ses attaques sur les humains sont nombreuses.
" Les archives administratives datant de l’Ancien Régime sont principalement conservées aux archives de la Gironde, explique la directrice des archives départementales de la Dordogne, Maïté Etchechoury. Mais nous avons par exemple des registres de sépultures datant du XVIIIe siècle, et certains actes mentionnent des attaques de loups ". Exemple en 1766 sur la paroisse de Vieux-Mareuil, avec ces mots du curé local : " Le 15e février 1766 est décédé de mort violente (…) pour avoir été dévoré par une bête féroce Jean Bertrand, âgé de 22 ans ou environ ".
L’ombre de la Bête du Gévaudan
Il faut dire que l’année 1766 fut marquée terriblement par la présence du loup en Périgord. " Nous sommes contemporains de la Bête du Gévaudan, et le Sarladais, comme les environs de Vieux-Mareuil, sont touchés par de nombreuses attaques attribuées à un loup enragé " explique Maïté Etchechoury.
Autre épisode marquant : celui de l’an 1806. " Ces animaux se sont multipliés dans mon canton d’une manière si effrayante qu’ils ont lundi dernier (…) pris un enfant de 4 ans devant sa porte", écrit le maire de Saint-Médard au sous-préfet de Ribérac.
Ils l’ont à moitié dévoré avant qu’on ait pu parvenir à leur arracher.
Le maire de Saint-Médard-de-MussidanEn 1806
Une prime pour qui en viendra à bout
"La terreur est à son comble dans les contrées que j'habite", écrit un habitant à l'attention du préfet en lui signalant la récurrence des attaques envers les jeunes bergères.
Piégeage, battues… les tentatives d’exterminer le carnivore se multiplient. Au début du XIXe siècle, des primes sont offertes à qui vaincra le loup. 20 francs pour une louve pleine, 15 francs pour un loup, 8 francs pour un louveteau… le montant varie selon les prises et selon les époques. " Elles sont très incitatives", explique la directrice des archives.
Parfois, la prime correspond à un mois de salaire d’un artisan ou d’un ouvrier agricole.
Maïté EtchechouryDirectrice des archives départementales de la Dordogne
Le déclin
Peu à peu, à force de chasses et de piégeage, la population des loups régresse. Au XXe siècle, il n’y a plus trace en Périgord de loup mangeur d’homme. Seuls les troupeaux sont alors attaqués. Les primes sont toujours en place : les archives en gardent la trace. " La dernière que nous possédons, c’est à Sarlande, en 1929 " conclut Maïté Etchechoury. Il se raconte également qu’un soldat permissionnaire aurait tué le dernier loup de Dordogne en 1940, mais aucun document officiel ne l'atteste.
Un lointain souvenir
Depuis presque un siècle, plus aucun loup ne se tapit dans les forêts du Périgord. Récemment, quelques passages, supposés ou avérés, de loups solitaires sont renseignés dans le département. Mais on est loin d’une population installée… et plus loin encore de la terrible bête qui terrorisa jadis le territoire.