En Poitou-Charentes, des services psychiatriques en souffrance

En France, les services psychiatriques sont sous l’eau. Le Poitou-Charentes ne fait pas exception. Entre difficultés de recrutement, manques de moyens et conditions de travail difficiles, la prise en charge de patients, toujours plus nombreux, se complique.

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C’est une spécialité toute particulière de la médecine. Boudée des professionnels de santé, la psychiatrie alimente les fantasmes du plus grand nombre et souvent en mal. "Parents-pauvres" de l’hôpital public, les moyens alloués aux services psychiatriques sont insuffisants. Parallèlement, le besoin de prise en charge augmente, d’autant plus depuis la crise sanitaire et les confinements successifs. En Poitou-Charentes, les personnels d’hôpitaux psychiatriques s’estiment délaissés et tirent la sonnette d’alarme.  

Des services en péril

Une trentaine de lits vont être supprimés au sein du service psychiatrique du Centre hospitalier de Niort en octobre 2021. Bruno Fauconnier, le directeur de l’hôpital préfère le terme de "gel" car il l’assure, cette solution est "temporaire". Mais ce jusqu’à une durée encore "indéterminée", explique-t-il à France Bleu. À Niort, impossible de recruter du personnel au service psychiatrique, même si la volonté était là. Le directeur préfère fermer 30 des 130 lits dédiés plutôt que de mobiliser un personnel déjà très sollicité. Pourtant, selon La Nouvelle République, personne ne voulait de ces fermetures de lits, que ce soit le personnel soignant ou les psychiatres.

Les difficultés de recrutement sont bien réelles. Pour le délégué Force Ouvrière, Christophe Grimault, il n’y avait tout simplement "pas de candidatures". La situation est telle que le directeur du CH de Niort a même tenté de ne pas suspendre les personnels n’étant pas vaccinés avant d’y être obligé. Mais si le manque d’attractivité de la préfecture des Deux-Sèvres est évoqué pour expliquer ces difficultés, la situation des services psychiatriques niortais illustre une problématique nationale.

"C’est une spécialité en crise en France. Des lits et des services ferment partout sur le territoire", constate Alain Fouquet délégué CGT à Thouars. Difficile de lui donner tort. Entre 1990 et 2016, le nombre de lits pour 100 000 habitants a baissé de moitié. Dans ce contexte, chaque campagne de recrutement est largement communiquée par les établissements eux-mêmes. À l’hôpital Henri Laborit de Poitiers, Sébastien Pinault de la CGT préfère relativiser les embauches de son établissement. "Certes, ils arrivent à recruter à Poitiers, mais il y a beaucoup de départs, relève-t-il. Avant les gens restaient, maintenant, ils partent parce qu’ils n’en peuvent plus." De manière générale, les départs à la retraite sont de plus en plus durs à remplacer : la psychiatrie n’attire pas.

Une crise des vocations

Dans les facultés de médecine, très peu d’étudiants choisissent la psychiatrie, ou alors par défaut. Un délaissement lié à la mauvaise image d’une spécialité souffrant encore de nombreux préjugés. "Aujourd’hui, on me dit souvent que je ne suis pas vraiment médecin", raconte au Monde, Matthieu Guillaume qui s’est orienté dans la psychiatrie par choix. Pour attirer, à Niort, le directeur de l’hôpital Bruno Fauconnier a mis en place des bourses pour les étudiants qui choisiraient la psychiatrie. Malgré ce genre d’initiatives, les internes manquent tout de même. Jusqu’en 2012, en moyenne 4 % des postes d’internes étaient non pourvus. En 2019, ce sont 17 % des offres qui n’ont pas trouvé preneur et 11 % en 2020.

Moins il y a de médecins, moins c’est attractif pour les infirmiers et aides-soignants, car ils savent qu’ils vont devoir compenser. C'est une spirale infernale.

Jérôme Raymond, délégué CGT de Charente et infirmier à l'hôpital psychiatrique Camille Claudel d'Angoulême.

Interrogé, le directeur du CH Camille Claudel, Roger Arnaud indique qu’il ne fait pas exception. Recruter de psychiatres devient un vrai combat : "Sur les 30 postes du service, seuls 20 sont pourvus." Il arrive à limiter la casse avec 5 internes de la faculté de Poitiers. Cependant, ces étudiants n’ont pas l’expérience nécessaire pour gérer les situations très particulières qui peuvent survenir dans un service psychiatrique. Face à ce manque, la charge des patients se reporte de plus en plus sur les infirmiers. "Un hôpital qui fonctionne sur les infirmiers ce n’est pas normal", s’alarme Marie-Françoise Raillard déléguée en Charente de l’Unafam, association qui accompagne les familles de patients psychiatriques.

"Pourtant, l’État nous dit qu’il y a assez de médecins formés", rapporte Jérôme Raymond, infirmier à l’Hôpital psychiatrique Camille Claudel d’Angoulême et secrétaire départemental à la CGT. Si on peut en douter, la répartition de ces derniers est quoi qu’il en soit très inégale. "Il y a partout des problèmes de démographie médicale", constate le directeur de l'établissement angoumoisin, Roger Arnaud. Il assure que sur le littoral, plus attrayant, les difficultés de recrutement sont moins importantes. Alors faut-il limiter le nombre de praticiens par territoire comme c’est le cas déjà pour les infirmiers ? Il y aurait alors, selon lui, une fuite vers l’étranger. "Moins il y a de médecins, moins c’est attractif pour les infirmiers et aides-soignants, car ils savent qu’ils vont devoir compenser", soulève le délégué syndical charentais, Jérôme Raymond.

Pour les infirmiers, la pénurie n’est pas de la même ampleur même si, dans une réaction en chaîne, de gros manques subsistent. De plus en plus livrés à eux-mêmes, ils s’épuisent. Les arrêts de travail ne sont pas forcément remplacés et les rappels sur les congés deviennent la norme. "On n’a plus le temps de bien s’occuper de nos patients, on est épuisé. Tout doit se faire rapidement et ça crée une vraie perte de sens de notre travail", se désole Sébastien Pinault à Henri Laborit. Avant de continuer : "La psychiatrie, c’est une vocation. Si on ne sait plus pourquoi on le fait parce qu’on ne peut pas bien s’occuper des patients, ça devient compliqué."

Le moral est au plus bas. Quand, fraîchement diplômés, les infirmiers sont embauchés, ils sont tout de suite lancés dans le grand bain. Sans pour autant être formés à la psychiatrie. Depuis près d’une trentaine d’années, le diplôme d’infirmier diplômé d’État est généraliste. "Avant, il y avait une spécialité psychiatrique car le métier est particulier. La dernière promotion d’infirmiers psychiatrique est sortie en 1994, cela commence à faire", s’exclame l’infirmier thouarsais, Alain Fouquet. C’est ainsi que, trop peu préparé aux difficultés connues dans un service psychiatrique, certains jeunes infirmiers font rapidement machine arrière et s’en vont vers d’autres services.

"L’État nous abandonne"

"Aujourd’hui, les infirmiers ne peuvent plus assurer un suivi comme avant. Quand les patients sont stabilisés, ils ont besoin d’un accompagnement pour justement ne pas retourner à l’hôpital aussitôt", assure la déléguée de l’Unafam de Charente, Marie-Françoise Raillard. Le manque de moyens se fait ressentir. Les soignants ont l’impression que peu à peu, la psychiatrie est délaissée par les pouvoirs publics. Un constat alarmant que faisait, déjà en 2019, un rapport parlementaire décrivant une filière "au bord de l’implosion". À peine deux ans plus tard, la situation est encore pire. La période de Covid-19 a vu de nouveaux maux et de nouvelles populations garnir les rangs de la patientèle des services psychiatriques dont les besoins étaient déjà sous-estimés. "Rien que pour la schizophrénie, 1 personne sur 100 environ est touchée. À l’échelle de la France cela représente la totalité de l’agglomération lyonnaise", prend en exemple Marie-Françoise Raillard.

À Poitiers, Sébastien Pinault y voit une progressive "destruction du service public" afin de basculer vers "l’offre de soins privée" car le déficit de la sécurité sociale est abyssal. "En substance : la santé est un secteur comme un autre et on peut s’y faire de l’argent", résume-t-il cyniquement. Les syndicats interrogés dénoncent la dictature des chiffres et des rendements dans un secteur où l’efficacité des soins est difficilement quantifiable. "La volonté est de réduire au maximum l’hospitalisation, on fait de l’ambulatoire. On traite un symptôme et non une pathologie globale", constate impuissant, Alain Fouquet à Thouars. De son côté, le directeur de Camille Claudel à Angoulême préfère y voir une nouvelle approche "psycho-sociale". "Ce n’est pas une fin en soi de garder les patients à l’hôpital, ça peut créer plus de difficultés de les hospitaliser longtemps", soutient-il. Ce que ne nie pas le personnel, mais de là à réduire drastiquement la prise en charge à l’hôpital, il y a un pas. Deux visions s’opposent.

Que vont devenir ces gens s’il n’y a pas assez de places pour tout le monde ?

Marie-Françoise Raillard, déléguée de l'Unafam en Charente

À Angoulême, l’Unafam travaille en bonne entente avec la direction de l’hôpital Camille Claudel. "Ils ne peuvent pas faire beaucoup plus avec les moyens qu’ils ont", déplore Marie-Françoise Raillard. C’est ce que concède le directeur de l’établissement, Roger Arnaud : "Nous sommes à l’équilibre uniquement parce que je n’arrive pas à embaucher des psychiatres supplémentaires. Sans cela, nous serions dans le rouge !" Face à cette situation, la responsable de l’Unafam est en colère. Elle estime qu’il ne faut plus tarder pour mettre des moyens supplémentaires, sans quoi on s’exposerait au pire. Marie-Françoise Raillard dénonce le "saupoudrage" de l’Agence Régional de Santé (ARS) malgré des moyens limités. "On fait remonter tous les soucis du terrain sans arrêt et nous n’avons pas de réponse", soupire-t-elle. Nous n’avons pas eu plus de chances. Malgré nos sollicitations, l’ARS Nouvelle-Aquitaine n’a pu nous répondre sur le sujet, faute de "temps".

Mais selon le directeur de Camille Claudel, Roger Arnaud, s’il y a des différences dans les enveloppes budgétaires en fonction des territoires, la Nouvelle-Aquitaine et la Charente ne sont pas spécialement sous dotés. La difficulté serait bien d’ordre nationale. Du côté des syndicats et des représentants des patients, on pointe un choix politique. "On sait très bien qu’en investissant dans la prévention, on gagnerait beaucoup plus d’argent", pointe l'infirmier pictavien, Sébastien Pinault.

Oubliée du Ségur de la santé, la psychiatrie ne peut que constater une demande de prise en charge qui ne cesse de croître et des files d’attentes qui s’allongent pour une prise en charge. "Les familles sont livrées à elles-mêmes et cela va créer de plus en plus de situations dramatiques", alerte Marie-Françoise Raillard. La déléguée charentaise de l’Unafam craint le pire : "Que vont devenir ces gens s’il n’y a pas assez de places pour tout le monde ?" Une question qui sera sûrement abordée du 27 au 28 septembre 2021 à l’occasion des Assises de la Santé mentale. Plus qu’un énième constat alarmant, c’est tout le secteur psychiatrique qui attend des annonces fortes de la part d’Emmanuel Macron lors de ce rendez-vous.

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