En Limousin comme partout en France, la formation professionnelle et l'apprentissage ont fait les frais de la crise sanitaire. Comment les stagiaires, les apprentis et les organismes de formation ont-ils fait face dans notre région ? Éléments de réponse.
« Suivre une formation de serveur en restauration à distance, admettez que l'affaire est cocasse, sourit Clément Fattaz, stagiaire à l'AFPA de Brive. Mais heureusement on a pu reprendre la formation en présentiel depuis début juin. On a un restaurant d'application au sein de l'AFPA, et le Covid nous a forcés à nous adapter pour continuer de servir tout en respectant les distances de sécurité, on se lave les mains régulièrement entre les services, et ça rassure les clients ». Les clients dont parle Clément, sont les internes à l'AFPA, donc « il fallait redoubler de vigilance pour ne pas manipuler les verres d'apéritif, et même pour débarrasser il y avait un protocole particulier ».
L'impact de la crise sanitaire sur les métiers de bouche n'est plus à démontrer, il suffit de le voir pour le croire. Le plaisir de se faire couper sa viande tendre par un serveur dans un restaurant gastronomique est pourtant une chose banale. Un rituel important pour ce jeune stagiaire mais « le virus nous pousse à repenser notre manière de travailler, notre rapport au client.
C'est un challenge en même temps de subir cette crise, ça nous oblige à trouver de nouvelles façons de faire » se rassure le stagiaire. « J'ai un profil un peu particulier car j'ai déjà cinq ans d'expérience en restauration, et ici à l'AFPA je suis en train de valider des connaissances et j'en apprends des nouvelles. On a une excellente formatrice, qui met beaucoup d'énergie à nous motiver. On a un très bon groupe. On travaille en confiance pour faire face au Covid et ça rassure. »
Pour sa collègue en revanche, se former en cette période de crise sanitaire est un vrai casse-tête
« Pour moi, raconte Emmanuelle Pirra (45 ans), ça a été une double peine. Je suis alsacienne, je me suis installée en Corrèze depuis près d'un an pour suivre une formation d'assistante de direction. Avec le confinement j'ai vécu deux mois de stress, mais heureusement on a une bonne formatrice qui a tout fait pour nous mettre à l'aise. L'AFPA a très vite mis en place une plate forme numérique pour qu'on puisse continuer de nous former à distance. Mais il faut avouer que seule face à l'ordinateur, c'est pas drôle. » Pour elle et ses camarades, la formation continue encore aujourd'hui en distanciel.
« On est deux groupes, il n'y a que le mardi que l'on est en présentiel, le matin et l'après-midi. Après je suis quelqu'un de plutôt organisé, puisque j'ai eu une vie d'auto-entrepreneur avant. Mais plus ça va moins je m'apaise, je subis le contrecoup du confinement je crois. C'est maintenant que je fais des crises d'angoisse » s'attriste Emmanuelle Pirra.
Est-ce l'approche de l'examen final prévu entre le 20 et le 24 juillet prochain ? « Je ne sais pas, évacue-t-elle, on attend les convocations ». Le moteur d'Emmanuelle Pirra ? « Je veux à tout prix avoir mon bac+2, et quand je pense à ça, ça va mieux ». Elle veut devenir assistante de direction et durant ces huit mois, confie-t-elle, comme pour se convaincre « on a intérêt d'être posé si on veut conseiller et assister un directeur d'une boîte importante un jour. On est sur la dernière ligne droite, et je suis confiante pour les examens à venir. » D'ailleurs, « j'ai déjà validé les examens en cours de formation. En ayant réussi ces trois modules, les notes sont considérées comme acquises et donc même si on se rate à la fin, les examinateurs peuvent apprécier ces notes-là et nous repêcher, donc je ne suis pas trop inquiète ».
Clément (30 ans) est dans le même état d'esprit. Il doit passer son diplôme de serveur en restauration le 22 juin et « je suis prêt et je crois en mes chances, complète le jeune briviste, je reste en Corrèze cette saison et je suis assuré de trouver du boulot. »
Aides régionales
A la région Nouvelle Aquitaine, on assure que « la reprise est progressive dans le secteur de la formation depuis le 11 mai. Priorité a été donnée au retour en formation dans les centres des stagiaires proches de la certification (11.000) et de ceux qui n’ont pu poursuivre leur formation à distance.
« La région travaille avec 250 organismes de formations en Nouvelle Aquitaine, des partenaires que nous connaissons bien, et au moment du confinement, c'était vingt mille stagiaires qui se retrouvaient sans stage ni formation. La région a pris des mesures rapides, afin d’accompagner le secteur ainsi que les stagiaires de la formation professionnelle, les élèves et étudiants des formations sanitaires et sociales, la Région a pris plusieurs mesures, assure Catherine Veyssy, vice-présidente en charge de l'apprentissage, de la formation professionnelle et de l'emploi.
« Le maintien de la rémunération des stagiaires y compris en cas de suspension de la formation est assuré. Cette mesure dérogatoire se poursuit sur tout le mois de mai ». Tout l'enjeu pour nous, poursuit la vice-présidente, « c'était de ne laisser personne sans solution. Le risque pour nous, c'était d'avoir du décrochage pour les adultes, on s'est demandé comment maintenir tout le monde dans la formation. »
Il y a eu une mise en place de mille formations sur un total de deux mille qui ont pu se faire à distance. Le problème, c'est qu'il y a des types de formations où la distance n'est pas compatible. Il y a aussi des stagiaires qui n'ont pas d'ordinateurs, donc on a dû s'adapter. Il faut signaler que la région a garanti le maintien de la rémunération des stagiaires pour éviter qu'ils ne décrochent.
Une information que confirme Clément, stagiaire à l'AFPA de Brive : « Je témoigne que plusieurs de mes collègues non corréziens ont pu être logés et aidés par l'AFPA qui mettait notamment à leur disposition des tablettes et des tickets restaurant. » « Dix mille stagiaires ont pu bénéficier d'une rémunération, sur vingt mille pour tout le mois de mars, avril mai, et on va continuer de financer les organismes de formations pour les accompagner », rassure Catherine Veyssy.
Sans compter qu'avec la crise sanitaire, « il y a eu 20% des salariés des organismes de formations qui étaient au chômage, la région a continué de les payer ».
Quid de l'apprentissage ?
Quant à l'apprentissage, il n'est plus sous la tutelle de la région depuis janvier 2020. C'est l’État qui a repris la main. Et dans ce secteur explique Delphine Saiveau, directrice du CFA Le Moulin Rabeau, la crise sanitaire a eu un impact non négligeable sur les entreprises qui accueillent nos apprentis. »
A ce sujet, la vice-présidente de la région est plus directe : « Sur l'apprentissage, les nouvelles ne sont pas très bonnes, les temps sont durs car les employeurs accueillent moins les apprenants. Ils sont nombreux à avoir fait du distanciel, et il y a eu des ruptures de contrats. Même s'il faut reconnaître que l'Etat a lancé un plan d'accompagnement ciblé sur les apprentissages ».
Les activités professionnelles qui ont le plus souffert durant cette période, sont la coiffure, l'hôtellerie-restauration où la crise a provoqué une vraie catastrophe. Au CFA du Moulin Rabeau, on a beaucoup pratiqué le distanciel puisque personne ne pouvait venir dans l'établissement durant le confinement. « Le présentiel est revenu tout doucement depuis le 18 mai, on fait beaucoup de formations hybrides, en présentiel et à distance, de façon à ce que tout le monde puisse revenir en présentiel. Avec la difficulté qu'on ne peut pas faire revenir tout le monde en même temps » précise la directrice.
Pour les métiers de bouche, les formations ne se sont jamais vraiment arrêtées. « Elles se poursuivent d'ailleurs chez nous. Les métiers de la coiffure reprennent tout doucement ». Dans le domaine de l'automobile, les formations n'ont pas cessé complètement non plus.
Promotion
« Ce qui fait la force de l'apprentissage, réitère Delphine Saiveau, c'est que le jeune fait partie de l'entreprise une fois l'apprentissage terminé, à condition bien sûr que l'entreprise veuille le garder, et que le jeune veuille rester. Et l'avantage, c'est que durant cette période, l'activité pour nos jeunes ne s'est pas totalement arrêtée. Et quand il y a eu du chômage partiel, nos apprentis étaient traités de la même façons que les autres employés, et donc ils ont pu en bénéficier aussi. Voilà une différence de taille avec la formation professionnelle », se satisfait la chef d'établissement.
Au CFA du Moulin Rabeau, on compte 650 apprentis et ils ont tous une entreprise. C'est une des conditions d'ailleurs pour intégrer le CFA. Même s'il y a une petite dérogation de trois à six mois pour permettre au jeune de retrouver une entreprise avec l'aide du CFA.
L'apprentissage est désormais ouvert de 16 à 30 ans
« On peut regretter le fait que l'apprentissage ne soit pas une voie naturelle empruntée par les jeunes en France, il faut donc faire un travail de sensibilisation, rappelle Delphine Saiveau. Sur l'orientation, regrette-t-elle, on peut craindre une érosion des candidatures, car ni les parents, ni les jeunes ne savent ce qu'on fait ici. Il faut donc communiquer ».
A ce propos, le CFA du Moulin Rabeau lance les Journées Portes Ouvertes virtuelles pour recruter et sensibiliser à l'apprentissage. Pour expliquer comment ça marche, ce que c'est. « Notre CFA dépend de la Chambre des Métiers de la Haute-vienne, et le réseau des Chambres des Métiers lance une campagne avec un format en visio, sur la journée du 24 juin. Un temps d'échange. On va être plusieurs interlocuteurs à répondre aux participants de 14h à 15h ».
La crise laissera-t-elle une trace durable ?
« Le décrochage est un risque, tempère la directrice du CFA, même si pour l'instant on n'a pas eu de rupture de contrat au Moulin Rabeau. C'est vrai qu'il y a eu quelques ruptures suivant les secteurs. En revanche, on n'est pas serein pour la rentrée de septembre, pour savoir si une rencontre va avoir lieu entre l'entreprise et l'apprenti ». Preuve s'il en est que la crise n'a pas fini de faire parler d'elle. La Région a acheté 1,2 million de masques pour les stagiaires de la formation professionnelle, les apprentis et les étudiants/élèves des formations sanitaires et sociales.