Née à Bordeaux il y a 200 ans, Rosa Bonheur fut la plus grande peintre animalière de son temps. Artiste riche et célèbre au XIXe, siècle pourtant compliqué pour les femmes, le musée des Beaux-Arts de Bordeaux et le musée d'Orsay à Paris lui consacre, prochainement, une rétrospective.
Plus connue en son temps que Renoir ou Monet, célèbre outre-manche et aux Etats-Unis, première femme artiste à recevoir la Légion d’honneur des mains de l’impératrice Eugénie, Rosa Bonheur, plus grande peintre animalière et figure de l’avant-garde féministe, est née à Bordeaux il y a 200 ans. Retour sur son parcours.
Le cerf roi de la forêt, œuvre peu connue de Rosa Bonheur
Marie-Rosalie Bonheur voit le jour le 16 mars 1822 au 29 rue Saint Jean-Saint-Seurin (aujourd’hui 55 rue Duranteau) à Bordeaux. Mais c’est au Château de Grimont à Quinsac, situé dans l’Entre-deux-Mers sur la rive droite de la Garonne, qu’elle passe les premières années de sa vie, lors des beaux jours. C’est aussi là qu’elle développe son amour pour la nature et les animaux. Ces thèmes nourriront son œuvre tout au long de sa vie.
Née dans une famille d’artiste, son père Raymond est peintre paysagiste et portraitiste, professeur de dessin, et sa mère, Sophie, est musicienne. À l’âge de 7 ans, la famille quitte la Gironde pour Paris, où Raymond espère percer en tant qu’artiste. Mais c’est la dégringolade : le père en mal de succès entre dans un couvent, laissant son épouse seule avec leurs quatre enfants. Sophie tente de joindre les deux bouts entre ses cachets de musique et les travaux de couture. Mais elle meurt d’épuisement à l’âge de 36 ans. Rosa, l’aînée de la fratrie, n’a alors que 11 ans.
De cette période, la future artiste tire son envie de devenir riche et de ne jamais se marier pour ne dépendre de personne. Ce qu’elle fera.
Rosa Bonheur artiste hors-norme
C’est à 23 ans seulement, en 1845, que Rosa Bonheur connaît la gloire. Elle décroche sa première médaille au Salon de Paris avec "Le Labourage" et "Bélier, brebis et agneaux".
En 1849 elle reçoit une autre médaille et connaît un énorme succès avec son tableau "Le labourage nivernais", une commande de l'Etat Français.
Avec "Le Marché aux chevaux" en 1853, une toile longue de 5 mètres, elle connaît un deuxième triomphe et la reconnaissance internationale. Refusé par sa ville natale qui le trouve trop cher, le tableau est acheté par Ernest Gambart, marchand d’art à Londres en 1854. C’est un succès fou outre-manche. Le marché anglais s’ouvre alors à elle. Quatre ans plus tard, la toile est rachetée pour la somme de 268 500 franc or (1 million d’euros) par un milliardaire américain qui en fera ensuite don au Metropolitan Museum of Art de New-York où il se trouve encore.
À son retour d’Amérique en 1860, Rosa Bonheur s’installe dans un Château au domaine de By à Thomery (Seine-et-Marne). Elle y vécut jusqu’à sa mort à 77 ans, le 25 mai 1899.
Précurseur de la cause animale
Mouvement prisé au XIXe siècle, la peinture animalière est le terrain de jeu de Rosa Bonheur. L’artiste mit au cœur de son travail le monde vivant et s'engagea pour la reconnaissance des animaux dans leur singularité. Passionnée par les animaux, Rosa Bonheur avait réunie, dans sa propriété de By, au sud de Paris, des dizaines d’espèces différentes : des moutons, des chiens, des cerfs et des fauves.
Elle se mesura aux plus grands maîtres du genre animalier et devient même la plus grande. Elle sut créer une œuvre expressive, "d’un grand réalisme et dénuée de sentimentalisme, nourrie des découvertes scientifiques et de l’attention nouvelle portée aux espèces animales des terroirs, remettant en cause la hiérarchie entre les espèces", souligne le Musée des Beaux-arts de Bordeaux qui lance une rétrospective de l’artiste le 18 mai 2022.
Archives de l'INA : interview de 2009 du directeur du musée des Beaux-Arts de l'époque, Olivier Le Bihan
Une femme libre et "puissante"
Première femme artiste à recevoir la Légion d’honneur en 1865 des mains de l’impératrice Eugénie, "star" en son temps, en France et à l'internationale, Rosa Bonheur ne vécut pas une existence dans les normes de son temps. Elle ne se maria pas et n’eut pas d’enfants. Elle organisa sa vie autour de son travail.
Nathalie Micas, amie d'enfance de l'artiste, vécut à ses côtés plus de quarante ans, ainsi que sa "sœur de pinceau", la peintre américaine Anna Klumpke. Cette dernière partagea ses dernières années de vie et c’est à elle qu’elle confia l’héritage de sa postérité.
Cette existence en dehors des normes sociales de l'époque, elle l'imposa grâce à son caractère mais aussi grâce à sa renommée, explique Sandra Buratti-Hasan, directrice adjointe du musée des Beaux-Arts de Bordeaux et commissaire de l'exposition à venir de l'artiste : "Elle est tellement célèbre et reconnue qu’elle fait ce qu’elle veut. Elle a à la fois un caractère très fort et une personnalité puissante."
Elle a été une icône LGBTQ+. La question sur son homosexualité revient souvent. Elle le réfutait à l’époque mais avait-elle le choix ? En tout cas, elle voulait sa liberté. Elle ne voulait pas dépendre des hommes.
Sandra Buratti-HasanDirectrice adjointe du musée des Beaux-Arts de Bordeaux
Une artiste un temps oubliée
Longtemps méconnue dans le paysage artistique français, le personnage de Rosa Bonheur connaît un regain de popularité ces dernières années. Selon Sandra Buratti-Hasan, plusieurs raisons l'explique : "Il y a des changements de mentalité en termes de société qui permet de regarder différemment certains artistes notamment des artistes femmes. On a un rapport à la peinture qui a changé. Rosa Bonheur a été éclipsée, un temps, par les artistes de l’avant-garde dont elle ne faisait pas partie. C'est une peintre figurative et il y a un regain d'intérêt pour cet art aujourd'hui."
L'actualité fait également écho à l'œuvre de Rosa Bonheur.
Le changement climatique, les réflexions écologiques, sont au cœur de nos préoccupations aujourd’hui. Son regard sur la nature, sur le vivant, les animaux, sa façon de les montrer dans leur individualité, cela résonne.
Sandra Buratti-HasanDirectrice adjointe du musée des Beaux-Arts de Bordeaux
Exposition à Bordeaux et à Paris
À l’occasion de ce bicentenaire, en hommage à l'artiste, le musée des Beaux-Arts de Bordeaux lui accorde une rétrospective du 18 mai au 18 septembre 2022. Le musée d’Orsay prendra ensuite la relève à partir du 18 octobre jusqu’au 15 janvier 2023. C’est la première rétrospective consacrée à la peintre depuis celle présentée en 1997 à Bordeaux, Barbizon et New-York.
Archives de l'INA : reportage France 3 sur l'exposition de l'artiste Rosa Bonheur à Bordeaux en 1997
Aux Beaux-Arts de Bordeaux, l’exposition se déroulera entre la Galerie des Beaux-Arts et l'aile nord du musée et rassemblera environ 150 œuvres – peintures, arts graphiques, sculptures, photographies et documents – issues des collections publiques et privées d'Europe et des États-Unis.
À Bordeaux, l’histoire de Rosa Bonheur a laissé des traces. Une rue porte aujourd’hui son nom et une statue de l’artiste, réalisée par Gaston Veuvenot Leroux, se trouve au Jardin public dans la capitale girondine.