Depuis plusieurs années, le secteur des transports en commun peine à recruter des conducteurs. En cause, des conditions de travail difficiles : insécurité croissante, horaires décalées... À Bordeaux, le transporteur Keolis prévoit d'embaucher 200 chauffeurs cette année. Encore faut-il les trouver.
"Sur l'année 2020, il va nous falloir 200 conducteurs de bus et tramways. On a en moyenne 12 embauches par mois. Mais avec les départs à la retraite, cela ne suffit pas", explique Mathieu Obry, secrétaire du syndicat CGT-TBM. La pénurie de main d’œuvre dans le secteur des transports en commun se fait sentir depuis plusieurs années.À Bordeaux, cela se traduit par l'impossibilité d'ouvrir la ligne Bassens-campus, comme l'a expliqué fin août sur France Bleu Christophe Duprat, vice-président de Bordeaux Métropole en charge des transports. "On a le matériel, on a l'argent, on a l'envie, mais il nous manque des chauffeurs."
Fin du service militaire et prix du permis D
En cause, notamment, la fin du service militaire, qui permettait aux conscrits de passer le permis D qui, dans le civil, coûte entre 5 000 et 8 000 euros.
Le syndicaliste explique : "Quelqu’un qui veut faire ce métier est obligé d’investir. Ici, le seul moyen de ne pas dépenser son argent est que Keolis (société qui exploite le réseau Transports Bordeaux Métropole) certifie à Pôle Emploi l’embauche du demandeur pour que sa formation soit payée."
Une aide qui n’arrive pas à compenser les difficultés inhérentes au métier. En premier lieu, une insécurité galopante. Entre 2017 et 2018, sur la métropole, le nombre d’agressions subies par les conducteurs est "officiellement" passé de 86 à 111 (soit une augmentation de 30 %). Chez les contrôleurs, la hausse des violences est encore plus nette et a atteint 71 %.
" Quant aux jets de projectiles ou aux visées lasers, ils sont passés de 141 à 188 l’année dernière. Récemment, deux salariés ont été licenciés parce qu’ils s’étaient fait brûler la rétine. Il suffit d’une seule fois pour que le chauffeur ait des séquelles physiques à vie et se voit retirer son permis. "
"De la chair à canon "
Mais pour le syndicaliste, le cœur du problème est l’impunité accordée à l’usager."Pour vous donner un exemple, un jour, au volant de mon bus, j’ai eu une altercation avec un homme qui m’a juré qu’il allait écrire à ma direction et me faire virer. Et effectivement, il a écrit. La direction ne m’a pas inquiété, car je n’avais rien à me reprocher, mais lui a cependant envoyé une lettre pour présenter ses excuses au nom de l’entreprise. Que croyez-vous que cette personne fera la prochaine fois qu’elle remontera dans un bus ? On a l’impression d’être de la chair à canon."
La préfecture : "un miroir aux alouettes"
En mai dernier, après une énième violence subie par un collègue, les employés du réseau TBM excédés se sont mis en grève."La réunion avec la préfecture a été un miroir aux alouettes. Mettre en place un simple observatoire des transports urbains…. Tout le monde a été déçu. Comptabiliser les agressions, c’est superficiel. Le nombre de crachats ou d’insultes que les collègues laissent passer a augmenté lui aussi. On attendait que l’effectif de la brigade des transports soit revu à la hausse, quelque chose de concret."
Du côté de la direction, deux nouveaux postes au PC Sécurité ont été créés. La création d’une deuxième unité de sécurité mobile a également été actée, mais cependant retardée par des difficultés de recrutement en interne. Les agents de maîtrise, déjà surchargés, "n’ont pas forcément envie de prendre nouvelles responsabilités à un poste difficile, alors que la paye ne suit pas."
Le manque d'attrait
Car le revenu est aussi un sujet sensible. "Même s’il y a des gens qui galèrent plus que nous", tempère Mathieu Obry. Si Christophe Duprat a affirmé qu'il n'y avait " pas de problème de salaire", Bordeaux est cependant l’une des villes de France où le coût de la vie est le plus élevé. "Or, en terme de paye, on est juste dans la moyenne nationale des réseaux français", analyse Mathieu Obry.À cela, s’ajoute les horaires décalés. Travailler six week-ends sur dix s’avère peu attractif pour de jeunes parents qui souhaitent concilier vie professionnelle et vie familiale. "En plus, quand on bosse le samedi et le dimanche, on est sur des semaines de six jours de travail d’affilés. La fatigue arrive vite, surtout depuis que les temps de parcours ont été revu à la baisse. Le stress pour tenir les timing à augmenter."
Enfin, si les jeunes ne sont pas attirés par le métier, les moins jeunes sont usés par celui-ci. Les gestes répétés au quotidien entraînent des douleurs au dos, aux épaules, jusqu’à interdire à certains employés ne serait-ce que de tourner le volant. Sur les 19 licenciements ayant eu lieu depuis janvier, "Les deux tiers ont pour motif une inaptitude."
Pour toutes ces raisons, le taux d’absentéisme chez les conducteurs de TBM se maintient depuis plusieurs années aux alentours de 10 %, avec des pics à 14 %. Pour le syndicaliste, de nouvelles mesures concrètes "pour la sécurité et de la considération de la part de la direction seraient un premier pas vers une résolution de ces problèmes."
Mathieu Obry, le secrétaire du syndicat CGT-TBM, nous décrit la difficulté du métier et ses répercussions sur le recrutement ►