Leur vaccination a débuté le 6 janvier. En fin de semaine prochaine, 40% auront reçu au moins une dose. Certains refusent toujours, alors que le gouvernement envisage, en dernier recours, de rendre le vaccin obligatoire pour le personnel soignant.
Des soignants assis dans un couloir, blouse sur le dos, tels des patients. Dans ce centre de vaccination provisoire de l'hôpital Pellegrin de Bordeau, c’est le calme qui domine. On est loin de la cohue observée certains jours. D’un côté, les Français autorisés à venir se faire vacciner et sont parvenus à obtenir un rendez-vous. Ils recevront le vaccin de Pfizer. De l'autre, les personnels du CHU. Pour eux, ce sera AstraZeneca. « On fait en fonction des doses qui sont livrées », explique la médecine du travail par la voie de Catherine Verdun-Esquer. Le 6 janvier lorsque la campagne de vaccination avait débuté, le vaccin de Pfizer leur était administré. Depuis le 7 février, c'est le vaccin d'AstraZeneca qui a pris le relais.
Le personnel en « première ligne » a été vacciné en premier. Aujourd’hui, c’est l’ensemble du personnel, soignant ou non, qui est invité à se rendre dans ce bureau qui leur est dédié. A ce jour, 5000 personnels du CHU ont reçu au moins une dose.
Une question « de responsabilité »
"Vous êtes éligible au vaccin bien sûr" , annonce le docteur Gilles à une femme, ingénieur hospitalier, n’ayant pas 50 ans. « Donc on va vous faire le vaccin AstraZeneca, dont vous avez entendu les avantages et les inconvénients ?», demande-t-il. Elle opine. Quelques secondes plus tard, Samantha Roques recevra sa première dose du vaccin. "C’est toujours un prorata bénéfice-risque. Et là je pense qu’on gagne plus à se faire vacciner (…). Après je pense que c’est de la responsabilité de chacun et un engagement de chacun aussi".
Je ne suis pas pour l’obligation, je pense que c’est une liberté, mais il faut être responsable aussi.
Pendant qu’elle laisse passer quinze minutes dans une salle d’attente avant de reprendre le travail, un collègue prend la relève. Interne à la maternité de Pellegrin, il a contracté la Covid-19 il y a deux mois. Une seule dose du vaccin lui sera donc injectée. « Il n’y a pas de polio en France parce qu’on est vacciné », rappelle Gilles Fabère, médecin généraliste à la retraite venu prêter main forte bénévolement dans ce centre de vaccination. « Il n’y a plus d’hépatite B, on nous a tous vaccinés. Et il y a des morts par Covid-19, le jour où on saura protéger, et on sait protéger puisque ces vaccins existent, et bien il n’y aura plus de mort ».
Certains professionnels toujours réticents
Difficile de savoir combien ils sont précisément. Parmi ceux qui ne sont pas encore vaccinés, combien sont dans l’attente d’un rendez-vous ? Combien ont fait le choix de ne pas se faire vacciner ? Cécile Mata fait partie de cette dernière catégorie. La jeune femme a 39 ans et ne présente pas de facteur de risque. Manipulatrice en radiologie à l'hôpital Pellegrin, elle est aussi membre CGT du bureau syndical. "J’ai choisi d’attendre volontairement d’avoir le choix du vaccin et qu’on ne m’impose pas un type de vaccin" dit-elle.
Les études le prouvent, tous les vaccins ne sont pas égaux, c’est un fait. Ils n’ont pas le même processus pour immuniser et au-delà de ça, on ne sait pas encore combien de temps ils immunisent non plus.
Le service santé travail du CHU de Bordeaux a eu beau communiquer le plus possible sur la vaccination via des webconférences, il reste des récalcitrants. « Il y a eu des questions sur les vaccins », concède Catherine Verdun-Esquer. « Il a fallu rappeler leur mode de fonctionnement. Après avec l’arrivée d’AstraZeneca, il y a eu beaucoup de questions autour de son efficacité et de sa tolérance.
Donc là, on actualise toutes les données avec la littérature qui nous montre les remontées de terrain et finalement son efficacité est tout à fait bonne.
"Sur la tolérance, certes, on ne peut pas le cacher, il y a des syndromes grippaux qui nous ont un peu surpris au départ", relate Catherine Verdun-Esquer. Sur les questions d’intensité, pas de gravité, notamment chez les jeunes professionnels. On a donc fait en sorte de ne pas vacciner toute une équipe le même jour. Donc ça, c’est expliqué, et une fois qu’ils sont informés, on a une adhésion qui va en s’améliorant ».
Rendre la vaccination obligatoire en dernier recours ?
Si la médecine du travail se veut pédagogue et optimiste, elle considère l’obligation de vaccination comme une option. « Si on reprend les recommandations de 2016 du Haut Conseil de Santé Publique (…) qui avait essayé de réfléchir à quels critères pourraient rendre le vaccin obligatoire chez les personnels de santé notamment ceux en contact avec des patients, ils évoquaient une maladie grave et transmissible pour laquelle on a un vaccin efficace avec une balance bénéfice / risque tout à fait bonne. Donc je pense qu’on n’est pas très loin de ces critères pour la Covid-19 », conclut Catherine Verdun-Esquer. Une décision qui passerait très mal auprès de certains personnels hospitaliers. Mais le gouvrenement y réfléchit. Olivier Véran n'exclut pas de rendre la vaccination obligatoire pour les soignants. en dernier recours.
Covid-19: Olivier Véran n'exclut pas de rendre la vaccination obligatoire pour les soignants pic.twitter.com/hYIQe4wUmT
— BFMTV (@BFMTV) March 5, 2021
« Je pense qu’il faut nous laisser notre libre arbitre », répète la militante syndicale CGT Cécile Mata. « Je pense que la population et le gouvernement, je l’espère du moins, savent que depuis le début ils peuvent compter sur nous. Jusqu’à présent, la question ne se posait pas pour les soignants car il n’y avait pas assez de vaccins. On est dans une deuxième phase maintenant où on veut presque nous imposer le vaccin. C’est quelque chose qui est assez déroutant pour toute la population en général, mais pour les soignants encore plus.
Là, on est en train de nous stigmatiser pour un choix qui est personnel, comme tout le reste de la population, parce que nous sommes des soignants, parce qu’il faut montrer l’exemple.
"Je pense que depuis un an, l’exemple, on l’a montré", poursuit la jeune femme. On était là. On est toujours là. On l’a été sans matériel, en allant au front un peu comme de la chaire à canon, et maintenant encore une fois on nous stigmatise ».
La médecine du travail est consciente de ce malaise. Catherine Verdun-Esquer voit bien que certains personnels se sentent pointés du doigt. "Ils entendent beaucoup dans les medias et du public, une non compréhension qu’ils ne veuillent pas être vaccinés, qu’ils seraient des « irresponsables. Je pense que certains ça les blesse."
Ils ont besoin d’un temps de réflexion éventuel, et cela peut se comprendre.
"Il y a des choses qui peuvent être mal vécues sur le terrain sur tout ce qu’on peut dire de ces soignants qui ne veulent pas se faire vacciner et qui exposent les patients", poursuit Catherine Verdun-Esquer du service santé travail. "Je pense qu’ils sont tous tout à fait conscients des risques de leur métier et de leur devoir. Il y aura peut-être une obligation vaccinale, si le virus reste présent, endémique, ça sera tout à fait logique. Mais à mon sens, c’est encore un petit peu tôt », conclu-t-elle.
"Un peu tôt", pour une raison simple. Le CHU de Bordeaux ne dispose pas à ce jour de suffisamment de doses pour vacciner tout son personnel. Cécile Mata, elle, attend de nouvelles études sur les différents vaccins sur le marché. Elle se donne jusqu’à septembre pour prendre sa décision. Sauf si, d’ici là, le vaccin de chez Pfizer lui est proposé. Alors, elle passera le pas.