Deux ans après l'explosion d'une grenade GLI-F4 qui lui a arraché la main, Frédéric Roy n'a cessé de se battre. Pour retrouver son emploi, mais aussi pour porter son affaire devant la justice. Il a déposé en décembre une deuxième plainte contre X, la première ayant été classée sans suite.
"Je veux continuer à avancer. Ça m'a bien ralenti, mais je ne veux pas que ça m'arrête". Frédéric Roy le martèle : il veut reprendre une vie "la plus normale possible".
"Ça", comme le dit ce trentenaire girondin, c'est une amputation de la main droite. Conséquence de l'explosion d'une grenade GLI-F4, lancée par des forces de l'ordre le 1er décembre 2018. Ce samedi-là, remonté contre la hausse des prix du carburant, Frédéric Roy avait quitté son rond-point de Saint-André de Cubzac, au nord de la capitale girondine, pour participer à une de ses premières manifestations : l'acte 3 des Gilets jaunes à Bordeaux, émaillé par des violences place Pey Berland.
Depuis, Frédéric ne s'est effectivement jamais arrêté. Depuis son domicile de Gauriac, dans le Blayais, il élève ses deux enfants en garde partagée. Et rêve de reprendre son emploi de lamaneur, en charge de l'amarrage et de l'appareillage des bateaux, dans la société qui l'emploie depuis bientôt treize ans.
Avant d'être lamaneur, je travaillais en tant que marin-pêcheur sur l'estuaire. Je suis tout le temps sur l'eau, qu'il fasse beau, qu'il pleuve, qu'il vente… Je veux rester dans le milieu maritime.
Entraînement intensif
Frédéric n'a pas fait qu'émettre des souhaits, il s'est donné les moyens pour parvenir à ses fins. "Je me suis entraîné à grimper sur une échelle de corde le long de ma maison, je suis monté sur le toit parce qu'il fallait un peu de hauteur pour simuler les quais. J'avais un grand seau de colle d'une capacité de 20 litres, que j'ai rempli de pierres et j'ai tiré des charges de 25 à 30 kilos ", énumère-t-il.
Test d'aptitude
Des efforts qui vont se révéler payants : au prix d'un important effort physique, Frédéric, qui était droitier, trouve une technique pour tracter de la main gauche, tout en s'aidant de son avant-bras droit… Lorsqu'il obtient de pouvoir passer un test d'aptitude, il réussit à amarrer les bateaux qu'on lui présente. Il a même récupéré son poste à mi-temps thérapeutique, en travaillant en doublon avec un autre employé, pour une durée de trois mois. Mais sur le long terme, il bloque sur une question administrative.
"C'est compliqué pour des travailleurs handicapés dans la marine", reconnaît-il, craignant d'être écarté, non pas sur ses aptitudes, mais au nom d'un règlement trop figé. Frédéric attend désormais qu'une commission médicale se penche sur son cas: "Je compte beaucoup sur l'humanité des médecins qui vont statuer, J'aimerais vraiment briser les codes de la marine dans ce registre, et je crois bien que si je le fais, je serai le premier".
Plainte contre X
D'ici là, un autre combat l'attend, sur le plan judiciaire cette fois. En décembre 2020, le père de famille a, une nouvelle fois, porté plainte contre X. La première avait été classée sans suite. "L'Inspection générale de la police nationale (IGPN) était venue me voir sur mon lit d'hôpital, se souvient Frédéric. Ils m'ont auditionné puis annoncé qu'ils portaient plainte contre moi".
Ils m'ont accusé d'avoir voulu prendre la grenade pour la lancer sur eux. Ils m'ont aussi présenté une photo de moi, avec une balle de Flash Ball. Je l'avais ramassée pour la montrer à mes enfants. On m'a reproché de l'avoir volée, et d'avoir voulu la lancer sur les forces de l'ordre…
"Je n'ai pas eu le temps de la toucher, elle a explosé"
Deux ans après les faits, Frédéric n'a pas changé de version. Il explique être tombé au sol, poussé par la foule, avant de voir une grenade tomber près de lui. "Je pensais que c'était une simple lacrymo, j'ai tendu la main pour me protéger. Je n'ai même pas eu le temps de la toucher qu'elle a explosé." La grenade en question était une GLI-F4, une lacrymogène au caractère explosif, mise en cause dans plusieurs mutilations de manifestants et retirée de l'arsenal des forces de l'ordre depuis.
Cagnotte de soutien
Frédéric et ses proches cherchent, depuis plusieurs mois, des vidéos prises ce 1er décembre 2018, place Pey Berland, attestant de sa version et pouvant appuyer sa plainte. "J'en veux à ceux qui ont donné les ordres, mais aussi à celui qui a lancé cette grenade. Nous étions des milliers à Pey Berland. Il n'a pas visé, il a jeté ça au milieu de la foule. Je pense qu'ils voulaient mutiler trois ou quatre manifestants, pour l'exemple", estime-t-il, non sans amertume.
Une cagnotte a été lancée afin de lui permettre de financer les frais de consignation. 1 000 euros qu'il doit réunir avant le 9 mai, sous peine de voir sa plainte jugée irrecevable.
J'ai encore parfois des moments plus difficiles que d'autres. Je m'isole, je me demande pourquoi je suis allé manifester ce jour-là, pourquoi c'est tombé sur moi. J'ai des douleurs "fantômes", des sensations vraiment très désagréables.
"J'espère qu'eux aussi s'en sortent bien"
En dépit de ses moments de blues, Frédéric essaie "de ne plus trop penser à ces quelques secondes où j'ai vu mes gosses, mon boulot, ma vie", et préfère aller de l'avant.
"Je savais que j'avais un mental solide. D'ailleurs, dès le début, quand j'étais à l'hôpital, mes proches m'avaient dit qu'ils étaient sûrs que je ne me laisserais pas aller. Et au final, je m'adapte mieux que je ne le pensais", reconnaît-il, avant d'avoir une pensée pour les cinq autres gilets jaunes français ayant eux aussi perdu leur main en manifestation. "J'espère qu'eux aussi s'en sortent aussi bien que moi".
La cagnotte pour venir en aide à Frédéric Roy est en ligne ici