Bordeaux : une maison des livreurs ouvre ses portes aux coursiers à vélo

Située en plein centre-ville, une nouvelle structure va désormais pouvoir accueillir les livreurs à vélos qui quotidiennement sillonnent la ville pour livrer des repas. Une halte officielle pour se reposer et être aidés dans leurs leurs démarches.

Tout commence par un constat :  entre les heures de repas, les livreurs à vélo errent ou se regroupent en bande, en attendant le prochain coup de feu. Ce qu’ils appellent le shift, ce temps de latence entre deux services, est une réelle difficulté quotidienne. Car la plupart des des 6000 livreurs de l'agglomération vivent loin et dans des conditions très précaires. Il leur fallait un lieu pour mettre pied à terre. 

Une réponse au dédain des plateformes logistiques.

Ce constat est fait par Arthur Hay, livreur qui prend les devants et monte le syndicat CGT des livreurs à vélo afin de mieux défendre ses pairs au moment où les scandales des licenciements par textos de livreurs commencent. Pour "montrer qu’une autre voix est possible",  après avoir fait les frais des plateformes connues telles que Deliveroo et Uber eats, il monte une société de livraison, une coopérative, " Les livreurs bordelais". En faisant référence à ses anciens patrons de plateforme il dénonce : "ça paraissait inéluctable que ce soit ce schéma là". 

Dès 2020 il se rapproche du candidat Hurmic et de son équipe de campagne, pour leur parler de la difficulté quotidienne des livreurs et de la nécessité d’avoir une halte. Car "la base, c'est d’aider les livreurs, quoiqu’il arrive". "Il faut que les employeurs respectent le droit du travail" et notamment en matière de salle de repos. 

75% des livreurs travaillent 6 jours sur 7

En parallèle, Médecins du Monde mène ses actions dans le cadre de sa "mission squats" qui a pour but de répertorier les conséquences médicales et psycho sociales de cette vie en marge. Et face au ballet de vélos devant les lieux étudiés par l’association, Médecins du Monde se penche alors un peu sur cette activité. L'association établit un diagnostic alarmant : sur les 6000 livreurs qui travaillent sur l’agglomération (un chiffre qui a été multiplié par 25 entre 2017 et 2021), la majorité réside en habitat précaire. 40% travaille plus de 10 heures par jour et 75% au moins 6 jours par semaine. 

Assez rapidement l’association se rapproche du syndicaliste alors porteur de l’idée d’une maison des livreurs et le projet initial reprend de la vigueur, pour être aujourd'hui réalisé. 

"On fait un métier dangereux qui mérite un peu plus d’être pris au sérieux. "

Les conséquences de ce rythme infernal répertoriées par Médecins du Monde sont multiples sur leur santé. Physiques :  les 2/3 se plaignent de douleurs récurrentes et 63% déclarent avoir déjà eu un accident qui a du nécessiter une prise en charge. "Un nombre important de livreurs a des accidents de la route avec de lourdes répercussions sur la santé", nous raconte Morgan Garcia responsable de la Mission auprès de Médecins du monde. Car " ils n'ont pas d’autre choix que de se rendre aux urgences parce que soit ils ne sont pas déclarés, soit parce que les ressources qu’ils déclarent ne sont pas prises en compte. Beaucoup de personnes sont sans couverture maladie."

" Un des gros problème c’est qu’on est payés à la tâche et il va falloir aller vite, le code de la route c’est même pas une option. "

Arthur Hay

Mais il y aussi les conséquences psychologiques "on a noté une importante souffrance psycho sociale. Ils sont toujours sur la course suivante et dans l’impossibilité de se projeter" , nous explique Morgan Garcia, "même la nuit ils pensent à leurs courses". 

Et puis "ce sont des métiers qui individualisent beaucoup, qui isolent. Il y a très peu de lien et beaucoup de stress", reprend-t-il. 

Un accueil global

Au delà d'un bon café et d'un lieu de repos et de convivialité pour palier l'individualité de la profession, le lieu se veut un endroit ressource. Ainsi pour commencer un accompagnement médical va se mettre en place avec une équipe de bénévoles, médecins, kiné et infirmiers. Les livreurs pourront aussi bénéficier d'un appui pour traiter leurs documents administratifs et notamment leur titre de séjour, grâce à l'appui de la CIMADE. Enfin, pour le côté pratique, un atelier de réparation pour les vélos est également installé.

Une initiative rodée à Paris 

Le lieu sera géré par Coopcycle, qui sera aux manettes pour nommer un coordinateur et ainsi organiser tous les ateliers et le planning des prestataires. A la base fédération de coopérative de livreurs à vélo, Coopcycle est déjà à l'initiative de la création de la "Maison des coursier", ouverte en septembre 2021 à Paris. Circé Liénart, responsable de Coopcycle, forte de son expérience a aidé à monter le dossier bordelais et peut déjà dresser un premier bilan de l'activité parisienne.

"Concrètement, c'est l’aide administrative qui est le plus sollicitée. Le statut d’auto-entrepreneur n’étant pas courant, déclarer ses revenus à la Caf et aux impôts est quelque chose de difficile, et les préfectures ne reconnaissent pas les factures comme preuves d'un travail effectué".

Ainsi, une vingtaine de livreurs se présentent par jour pour ces démarches administratives. 700 ont visité le lieu depuis son ouverture 

Changer le modèle économique, le regard, et la loi

Pour Stéphane Pfeiffer, responsable de l'urbanisme à la ville de Bordeaux, qui a prêté le local et appuyé le projet, l'important est de sensibiliser les gens à la précarité de ces emplois tout en envisageant de mieux réglementer la profession. 

"Moi ça fait très longtemps que je suis la question des livreurs a vélo. C’est un vrai symptôme de la transformation du travail. L’objectif est que la Maison des livreurs soit là pour faire connaitre le statut de ces livreurs. La réalité des conditions de vie de ces livreurs au grand public."         

"Peu de livreurs le font par choix, c’est parce que c’est le seul moyen de trouver des revenus. Dans un second temps, il faudra travailler avec des acteurs de l’emploi. J’ai déjà été contacté par des entreprises de livraison a vélo avec des vrais contrats ".

Stéphane Pfieffer, adjoint à l'urbanisme de la Ville de Bordeaux

La ville pourrait organiser des permanences du CCAS au sein du lieu, et l'adjoint revient à cette priorité de l'emploi. "Ce que j’aimerai, c'est que la mission locale puisse aller travailler avec eux pour l’accompagnement vers l’emploi. L’objectif va être qu’ils puissent faire autre chose de leur vie, mais par choix. Il y a une part importante qui n’a pas de papiers qui engendre qui implique une sous location". 

Mais il y a aussi la question du politique qui se pose. L'adjoint nous parle d'une rencontre qu'il avait eu avec la Première Ministre, alors ministre du Travail "On avait évoqué avec Elisabeth Borne la question des livreurs, est ce que le gouvernement va transformer l’essai ?", s'interroge-t-il en évoquant la Loi Darmanin. 

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