La métropole bordelaise devrait gagner près de deux degrés en trente ans. Faut-il végétaliser les sols, reconstruire des logements plus performants, aménager l'existant ? Politiques publiques et experts lancent des expérimentations, sans forcément partager la même approche.
Cet article a été initialement publié le 11 novembre 2021
Il fera bientôt chaud. Très chaud. Ce n'est un scoop pour personne, la température va monter partout en France. Bordeaux, pourtant relativement préservée par sa proximité avec l'Atlantique, n'échappe pas à la règle : en 2050, l'évolution des températures dans la métropole sera comprise entre +1,1 °C et 2,3 °C.
Météo France s'est penché dans le détail sur ces projections. Et vue de près, la perspective n'est pas plus réjouissante : entre 1976 et 2005, les Bordelais ont connu en moyenne 39 jours par an "anormalement chauds", c'est-à-dire dont la température excède la normale de plus de 5 °C. Ce chiffre devrait atteindre 73 jours dans trente ans. Et encore, ces prévisions n'englobent pas le scénario le plus pessimiste, qui prévoit 89 jours anormalement chauds.
Des arbres en pot, mais encore ?
Alors comment envisager la ville dans cette optique ? L'aménagement, l'architecture prennent-elles en compte ces paramètres ? Comment imaginer vivre dans ces conditions et surtout, empêcher que le pire scénario ne se produise ? A Bordeaux, la question ressurgit à chaque canicule.
Et les réponses politiques font parfois ricaner, comme lorsque les municipalités successives ont mis en place des arbres en pot pour tenter de rafraîchir la très minérale place Pey Berland. (une vingtaine d'arbres y sera définitivement plantée à la fin de l'automne).
Végétalisation
Au-delà de l'anecdote, cette question est "au cœur de l'ensemble de nos politiques", assure Christine Bost, vice-présidente de Bordeaux métropole en charge de l'aménagement urbain et naturel. "Notre métropole a une particularité. Une grande partie de notre territoire est occupé par des espaces de nature. Il faut que nous arrivions à les conserver, voire à les développer", poursuit-elle.
L'élue cite notamment parmi les réalisations de la collectivité, le parc des Jalles, tout récemment créé, qui réunit 6 000 hectares sur dix communes du nord de la métropole, ou encore l'opération Un million d'arbres en dix ans, lancée en novembre 2020.
Il y a une volonté de renforcer la végétalisation, de la réfléchir sur chaque opération d'aménagement en associant tous les acteurs locaux : collectivités, chefs d'entreprise, habitants…
Christine Bost, vice-présidente de Bordeaux métropoleFrance 3 Aquitaine
"Notre réflexion est globale, et porte sur la grande échelle comme la petite, c’est-à-dire celle du logement : lorsque nous avons un projet d'aménagement, on réfléchit à la possibilité de faire des logements traversant, on étudie les matériaux employés, le recours aux énergies renouvelables, la végétalisation, et l'impact de ces constructions", poursuit l'élue.
La question du logement
Car, qui dit aménagement urbain, dit construction de logements : la demande ne tarit pas dans une métropole qui dépasse les 800 000 habitants. Et pour y répondre, l'idée est de privilégier "le qualitatif sur le quantitatif", poursuit Christine Bost : "quand un architecte nous présente un projet, on regarde si l'appartement est bien exposé, comment sont les extérieurs, s'il est possible de prolonger le logement pour offrir des mètres carrés supplémentaires, la gestion des énergies, de l'eau, l'isolation".
Des problématiques que Christophe Hutin, lui-même architecte bordelais, connaît bien. Il a travaillé avec la métropole sur le programme "Habiter, s'épanouir, 50 000 logements par nature", lancé en 2012, dans une dizaine de villes de la métropole : des îlots de logements durables comprenant des appartements et des maisons de villes situées à proximité des transports en commun.
"On a travaillé pendant quatre ans sur ce projet, se souvient l'architecte. On avait proposé une stratégie qui était de dire qu'il fallait construire des nouveaux logements en partant de l'existant. Car on considérait qu'on ne pouvait pas construire de nouveaux quartiers en laissant les autres se dégrader. Ça n'a jamais été suivi", regrette-t-il.
L'exemple de Grand Parc
Sa philosophie, Christophe Hutin a pu la mettre en œuvre sur un autre projet, à Grand Parc. La transformation et l'agrandissement de 530 logements datant des années 60. En collaboration avec deux autres cabinets d'architectes Lacaton & Vassal et Frédéric Druot, il aménage des balcons et des jardins d'hiver, allant jusqu'à doubler la surface des appartements existants, le tout sans déloger les habitants le temps des travaux.
Les extensions vitrées offrent une entrée de lumière ainsi qu'une vue sur Bordeaux. Pour autant, alors que le soleil d'hiver peut réchauffer les appartements, les balcons, les débords et les rideaux en aluminium permettent de limiter l'ensoleillement en été. "Les façades des extensions sont totalement ouvrantes. Ce sont les habitants qui ont la main pour réguler l'ensoleillement, et la ventilation. Car la relation avec le climat est très intime, et elle est propre à chaque occupant", estime Christophe Hutin.
On a réussi à faire des logements qui sont très performants sur le plan énergétique, très grands, très confortables… Cela démontre que le logement existant porte en lui une capacité à se transformer et s'adapter aux enjeux climatiques du futur.
Christophe Hutin, architecteFrance 3 Aquitaine
A l'issue de l'opération, les loyers des occupants n'ont pas augmenté. "Ces travaux ont coûté 50 000 euros par logement. Si on avait dû démolir et reconstruire, cela en aurait coûté 200 000", avance-t-il.
Malgré la transformation de l'essai - le trio d'architectes a été récompensé en 2019 du prestigieux prix Mies van des Rohe 2019 pour cette réalisation- les démolitions se sont poursuivies dans la métropole.
Quartier de la Benauge notamment, ou encore, bientôt à Pessac-Saige, avec la destruction planifiée de trois tours comprenant 475 logements. Un projet jugé "dramatique". "Le bilan carbone de Bordeaux métropole, il est plombé pour les dix prochaines années rien qu'avec ce type d'opérations. On peut mettre tous les panneaux solaires qu'on voudra, on rattrapera jamais le bilan de ces démolitions".
Une analyse entendue du côté de la métropole. "Christophe Hutin a raison, rétorque Christine Bost. Mais aujourd'hui, on fait peu de démolitions. Concernant ce quartier de Pessac-Saige, il est aussi intéressant de discuter avec les habitants. Leurs avis ne sont pas particulièrement tranchés en faveur du maintien", tempère la vice-présidente de la métropole.
"Certains promoteurs ne sont pas fiers de ce qu'ils ont réalisé"
L'élue reste convaincue que les initiatives vont dans le bon sens. "L'idée, c'est de ne pas reproduire les erreurs du passé. Je pense que certains promoteurs ne sont pas fiers aujourd'hui de ce qu'ils ont réalisé il y a dix ans. Aujourd'hui, ils réfléchissent autrement ".
Un "autrement" qui ne semble pas convaincre l'architecte Hutin, remonté contre une standardisation des appartements et une approche technocratique. "Le problème n'est pas propre à Bordeaux métropole. Aujourd'hui, que vous habitiez à Dunkerque, Brest ou Nice, vous avez le même logement. Alors que le climat dans ces villes n'est pas le même, et que logiquement les architectures devraient être différentes !" Une problématique et des débats partis pour durer, bien au delà des frontières de la métropole bordelaise...