La présence de deux nouveaux virus transmis à l'homme par des moustiques a été détectée pendant l'été en Nouvelle-Aquitaine. Spécialiste des moustiques, l'entomologiste Anna-Bella Failloux nous explique les raisons de la multiplication, et de la propagation de ces virus.
MIS A JOUR LE 14 SEPTEMBRE 2023
Virus du Nil, Usutu... les premiers cas humains autochtones de contamination par des moustiques Culex, endémiques dans l'Hexagone, ont fait leur apparition dans le sud-ouest cet été. Une première dans nos contrées : au 11 septembre, huit cas humains autochtones avérés ou probables de virus du Nil et quatre cas de virus Usutu étaient comptabilisés en Gironde. Le bilan épidémiologique régional de santé publique France indique aussi la présence dans le département de 28 cas importés de dengue et 2 cas de Chikungunya du 1er mai au 8 septembre 2023 (respectivement 74 cas et 4 cas dans la Région).
Faut-il s'inquiéter de voir ces virus se généraliser dans l'Hexagone dans les années à venir ? Comment l'expliquer ? Peut-on inverser, sinon ralentir cette tendance ? Décryptage avec la spécialiste des moustiques, Anna-Bella Failloux, qui dirige l’équipe Arbovirus et insectes vecteurs de l'Institut Pasteur.
Comment expliquer l'apparition de ces nouveaux virus dans notre région ?
Notre système de détection est de plus en plus précis et de plus en plus fin, ce qui explique que l'on recense de plus en plus de cas de contamination. Ça ne veut pas dire qu'il y en ait plus. Mais ce qui est sûr, c'est que la modification du climat et des activités humaines est de plus en plus propice à une explosion démographique des moustiques, et donc de la transmission des virus dont ils sont vecteurs.
Quel est le rôle de l'activité humaine dans ce phénomène ?
Tous ces virus, West Nile, Usutu, Dengue, Chikungunya ou Zika, à l'origine, ne circulaient qu'au sein d'un cycle sauvage, et n'étaient transportés que par des moustiques zoophiles, qui ne piquent que les animaux. La déforestation a perturbé le comportement des animaux sauvages, et de ces moustiques, qui ont commencé à piquer l'homme et à lui transmettre ces virus. Et une fois arrivés en ville, ces virus sont ensuite transmis par des moustiques qui ne piquent que l'homme.
En quoi le réchauffement climatique accentue la circulation de ces virus ?
Le moustique est un animal à sang froid, ce qui veut dire qu'il est incapable de réguler sa température intérieure. Si la température extérieure augmente, les virus se multiplient plus vite dans son métabolisme et atteignent ses glandes salivaires et sa salive beaucoup plus rapidement.
Quelle est l'efficacité des opérations de démoustication que l'on voit se développer ?
Ces opérations sont indispensables en cas d'épidémie, pour la contenir. Mais une seule molécule insecticide est autorisée, alors comme pour les antibiotiques chez les humains, les moustiques développent une résistance à cette molécule, il faut donc augmenter les doses pour être efficace et cela a un impact nocif sur l'environnement.
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Existe-t-il d'autres solutions ?
Des équipes de chercheurs ont eu l’idée d’introduire une bactérie dénommée Wolbachia dans les moustiques de type Aedes aegypt (tigre). Cette bactérie se comporte comme un agent pathogène et rend le moustique incapable de transmettre le virus. C'est efficace, mais ce genre de technique a un coût. Il faut monter de véritables usines à moustiques, puis organiser des lâchers massifs de ces moustiques porteurs de la bactérie pour qu'elle se transmette ensuite à leur descendance. C’est un des programmes mené par le consortium international World Mosquito Program.
Peut-on espérer voir disparaître ces transmissions de virus du moustique à l'humain ?
Il existe 3 500 espèces de moustiques dans le monde. Le moustique ne va pas disparaître. La pression démographique humaine ne fait que croître : aujourd'hui il y a huit milliards de personnes qui se déplacent, qui doivent se nourrir, ça a forcément un impact sur les éco-systèmes. On parle aujourd'hui des virus que l'on connaît, mais forcément de nouvelles zoonoses vont apparaître. Avec le changement climatique, des animaux vont migrer vers le nord et à l'avenir, il y aura davantage de maladies infectieuses transmises à l'homme par les animaux.
Comment anticiper ce phénomène ?
Les équipes de recherche travaillent à trouver d'autres molécules insecticides, d'autres bactéries, des vaccins aussi. Il y a une éducation sanitaire à mener aussi : éliminer systématiquement tous les récipients d'eau laissés à l'abandon à l'extérieur qui abritent les larves de moustiques. Pour ma part, je travaille à comprendre comment fonctionne l'immunité du moustique lui-même, qui vit avec ses virus, et comment faire pour qu'il ne les transmette plus.