"J'ai été projeté en l'air, j'ai failli mourir" : un éboueur renversé par une voiture, le ras-le-bol de la profession

Au mois de septembre, un éboueur a été volontairement percuté alors qu’il était en service à Bordeaux. Si ce cas sort de l’ordinaire par son aspect volontaire, les accidents sont très réguliers dans ce métier. Trop même, pour ces professionnels de l’hygiène qui pointent un nombre croissant d’incivilités.

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C’était il y a quelques semaines. Alors qu’il était en service dans la métropole bordelaise, un ripeur, l’autre nom donné aux éboueurs, est écrasé par une ambulance-taxi, qui tentait de doubler la benne. Grièvement blessé à la hanche, il écope de plusieurs jours d’ITT. Un acte en apparence intentionnel qui a poussé l’agent à porter plainte. Une enquête est en cours.

"J'ai été projeté en l'air"

Cette scène, Didier l’a aussi vécue. C’était le 19 juin. Alors que ce ripeur se trouvait avec son équipier en sortie de virage, à Mérignac, un automobiliste percute violemment le camion et l’éboueur. “J’étais de dos sur la chaussée, je finissais de vider la poubelle. Puis plus rien”, indique Didier.

Le reste, ce sont ses collègues qui le lui ont raconté. “La voiture s’est encastrée dans le marchepied et j’ai été projeté en l’air, puis j’ai atterri sur le pare-brise, avant de tomber au sol”, raconte l’éboueur.

J’ai failli mourir ou être handicapé à vie.

Didier,

Eboueur depuis 2008

Encore arrêté près de quatre mois après son accident, Didier sait déjà qu’il ne pourra pas reprendre le travail de suite. “J’ai une côte cassée, un problème aux cervicales, une entorse ligamentaire au pied et une fissure de la malléole”, liste celui qui se décrit aujourd'hui comme “miraculé”. Des blessures physiques auxquelles s’ajoute le traumatisme de l’événement. “Je ne réalise encore pas bien ce qu’il m’est arrivé, mais je suis suivi par une psychologue”, indique Didier.

Endroits dangereux

Aujourd’hui, il refuse de blâmer l’automobiliste. “J’étais de dos, je n’ai pas vu si elle conduisait vite, si elle était au téléphone…”, explique-t-il. Si son cas relève d’un accident involontaire, il reconnaît une augmentation du risque depuis quelques années. “Je suis éboueur depuis 2008, et j’ai vraiment l’impression qu’il y a de plus en plus d’excités au volant.” 

Il y a des endroits où on sait qu’on peut risquer notre vie.

Didier,

Eboueur depuis 2008

Entre ceux qui “freinent à moins de 1,50 m de la benne”, ceux qui “tentent de doubler la benne alors qu’il y a des voitures en face”, les coups de klaxons, le danger et l’énervement des automobilistes sont permanents.
“Une fois, une dame a klaxonné en continu en nous hurlant qu’elle travaillait, comme si ce n’était pas notre cas. Elle a fini par nous dire de tourner à droite pour la laisser passer”,
se remémore Didier, encore sidéré par l’attitude de la conductrice.

Ce constat est partagé par la majorité des éboueurs de la Métropole. “Quand les gens voient un camion dans une rue, ils sont énervés d’avance parce que ça va les mettre en retard”, illustre le président du collectif, Christophe Clerfeuille, ancien éboueur pendant treize ans. Lui, se souvient d'une infirmière pressée qui "tentait de pousser le camion avec son pare-choc". "On a eu vraiment très peur ce jour-là", reconnaît-il.

Des incivilités incompréhensibles pour ces travailleurs, qui assurent tenter de déranger le moins possible la circulation. “On essaie à chaque fois de se garer quand on le peut, malgré la largeur de la benne, on tourne régulièrement pour ne pas bloquer toute une rue”, précise Didier. Pire, pour éviter de déranger sur les heures d'embauche, ils "augmentent le rythme de travail pour ne pas embêter les gens", ajoute le président du Collectif Ripeurs.

Stress quotidien

Dans les différentes antennes de collecte des déchets de la métropole, les éboueurs ne cachent pas leurs craintes. “On est en stress énorme chaque fois qu’on sort”, indique le président d’un collectif national de ripeurs.

La peur au ventre, ils doivent, chaque jour, faire aussi preuve de sang-froid face aux incivilités, en augmentation. “On se fait tout le temps klaxonner, insulter. Les gens sont pressés, mais nous aussi. On ne s’arrête pas pour le plaisir”, lance Frédéric*, un autre ripeur travaillant à Bordeaux Métropole. “C’est le cas partout, mais là, c’est de plus en plus souvent et de plus en plus violent.”

Si la colère vient souvent des automobilistes, les piétons commettent aussi leur lot d’incivilités. “On a vu des gens se moucher le nez et jeter leur mouchoir quand ils passaient à côté de nous, des réflexions, des avis. Certains baissent le regard, comme si on était dégueulasses. On se sent humiliés”, lâche tristement Christophe.

On se dit que chaque jour, il faut faire attention, pour rester en vie.

Frédéric,

Eboueur à Bordeaux Métropole

En hypervigilance, ils doivent aussi composer avec les cyclistes, qui dépassent les camions. “Ils grillent les feux rouges, déboulent sans regarder et on manque d’être percutés ou de les percuter à chaque fois”, indique Frédéric. 

Campagne insuffisante

Si aucun chiffre n’est connu sur l’accidentologie de ce métier, le quotidien reste éloquent. “On parle de cinq éboueurs tués pendant les collectes sur toute la France. Pour les blessés, il suffit d’ouvrir la presse régionale et encore, les accidents matériels sont souvent passés sous silence par les automobilistes qui doivent savoir qu’ils sont en tort”, indique le président du collectif des ripeurs, créé en 2013.

Face aux incivilités croissantes, les éboueurs demandent plus de sensibilisation. “On voit les grosses campagnes de communication pour les patrouilles autoroutières. Il faudrait marquer les esprits de la même manière”, poursuit Christophe Clerfeuille.

À l’intérieur des bennes, des petits messages digitaux ont été mis en place pour rappeler les éboueurs à leur vigilance. Pour ces travailleurs, la sensibilisation doit surtout se faire auprès des usagers. “Il ne faut absolument plus de communication, de publicités pour expliquer les dangers sur la route quand on fait ce métier”, indique Christophe. 

Au mois d’août, Bordeaux Métropole a réalisé une publication inédite sur les réseaux sociaux pour alerter la population sur les dangers autour de ces métiers et les inciter à la prudence. Des panneaux lumineux ont également été installés sur les bennes afin de les rendre plus visibles. Des avancées saluées par les éboueurs, mais jugées encore insuffisantes. “À Quimper par exemple, ils ont fait toute une campagne de publicité sur les abribus, ça, c'est utile, c’est vu par des milliers de personnes”, évoque Christophe.

*Prénom d'emprunt

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