Coronavirus et confinement ? Un contexte qui inspire nos penseurs pour réinventer "l'après"

Moins de contacts, de liberté mais aussi plus de solidarité et de débrouille. La santé aussi plus importante que le profit, nos rapports avec les autres, autant de thèmes qui inspirent notamment sociologues ou philosophes.

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Rien ne sera plus comment avant. C'est ce qu'on aime à penser en appliquant personnellement et professionnellement les nouvelles règles de vie pour lutter contre la propagation du virus.

La liberté, l'autorité, l'engagement, la responsabilité, la mort, la solidarité, le repli sur soi,... On ne sait pas forcément apprécier les choses que l'on a. On s'en rend souvent compte quand on en est privé. Depuis deux jours, nous avons changé nos comportements, ces penseurs, eux aussi confinés, nous livrent leur sentiment.

Marc Sahraoui, sociologue

Il est aussi fondateur à Sainte Foy la grande de l'Association Coeur de bastide, un engagement social et solidaire en monde rural. Cette crise du coronavirus et ce confinement il le vit et l'observe ces derniers jours.

Depuis 48h, on a assisté à beaucoup de choses.
Malheureusement, il y a un risque : celui de la séparation. Certains sont déjà isolés. Ils risquent le repli sur soi et de ne plus avoir ce seul lien avec l'extérieur.

Le repli mais aussi plus de solidarité:

Dans la même journée, j'ai pu observer beaucoup d'initiatives. Des gens qui allaient frapper à la porte de leurs voisins pour voir si tout va bien, d'autres qui regroupaient les commandes pour aller chercher le pain.
En revanche, hier les gens n'ont pas compris, ils ont fermé la Poste. C'est un service public de proximité... Des voisins ont créé une cagnotte pour que cette personne aie un peu d'argent liquide (souvent plus utilisé à la campagne que la carte bleue, NDLR).

Retour vers la famille ?

On a pu voir que les boulangers ont été pris d'assaut... Les gens mangent chez eux, ils font plus la cuisine et consomment plus de pain. On voit qu'ils se tournent vers une alimentation plus traditionnelle, plus saine.
Alors que ces dernières années, on avait vu progresser la prise de repas à l'extérieur, toutes les formes de "snacking"...

Ce retour vers des repas partagés plus traditionnels sont aussi du fait de la fermeture des écoles, du rassemblement et confinement des familles, le fait aussi sans doute d'avoir du temps, pour cuisiner...

On est dans une démarche de résilience, une adaptation de l'homme à son environnement... 

Aussi, d'après Marc Sahraoui, on compenserait ce manque de liens sociaux quotidiens, au magasin, au travail, dans la rue, par une surconsommation de communications, d'informations.

On prend des nouvelles, il y a le télétravail, internet... 

Et si ca s'aggravait ?

Le confinement est prévu pour 15 jours vraisemblablement renouvelables. Cette communication permanente est un peu notre mode de fonctionnement actuel.

Ce serait différent s'il y avait des coupures...
Il y a aussi déjà des rumeurs sur des approvisionnements... (les pâtes, le papier toilette, le doliprane, NDLR, qui ont fait l'objet de mouvements de foule)

Et après ? Qu'aura-t-on appris ?

Logiquement quand il y a un confort, on va vers la facilité. On reprendra nos habitudes.
Mais peut-être, justement, les liens de proximité qui auront été créés vont demeurer...

Des idées de lecture ?

Marc Sahraoui  nous donne rendez-vous l'été prochain sur un événement que son association organise, étrangement en résonnance avec ce que nous vivons.  Le festival "Les Reclusiennes" du 8 au 12 juillet (des ateliers, débats, spectacles, apéritifs littéraires) à Sainte-Foy-la-Grande, portera sur "Les humains et la terre : évolution des milieux et des pratiques à l’heure de l’Anthropocène". Des débat sur la capacité qu'a l'homme à s'adapter à différents impacts  (réchauffement climatique, dégradation accélérée de notre environnement, raréfaction des ressources) à relever des défis à venir.

Il nous propose donc de lire sur le sujet "Petit traité de résilience locale", de Agnès SinaÏ, Raphaël Stevens, Hugo Carton & Pablo Servigne Editions Charles Leopold Mayer.
Accès libre en téléchargement.
 

Fabienne Brugère, philosophe

Je crois que, du jour au lendemain, on a tous dû réorganiser sa vie, celle de nos proches. Il y avait aussi les consignes d'Etat à accepter, d'ailleurs plus ou moins bien diffusées ou acceptées selon les milieux...

La professeure de philosophie explique que pour une même information, parfois injonctions du gouvernement, les nouvelles n'ont pas été comprises de la même façon. Socialement, intellectuellement et selon le contexte socioéconomique.

Cette crise va révéler toutes les différences. On ne vit pas de la même façon le confinement dans un 150m² ou dans 15m²... La situation des sans-abris, par exemple, par manque aussi de bénévoles...
Les gens seuls aussi...

Et puis il y a des gens qui n'ont pas internet ou des lieux mal connectés.

"Révéler nos vulnérabilités"

J'ai beaucoup travaillé sur la vulnérabilité et le fait que nos régimes nous font "oublier" cette vulnérabilité au nom de la performance.
C'est une donnée anthropologique : nous sommes vulnérables face à ce virus, sans qu'on le sache (invisible)... mais finalement aussi dans nos modes de vie.

La liberté?

En ces temps de confinement, alors que, par définition, nos libertés, notre mobilité sont empêchées, contraintes, elle rebondit : c'est l'occasion de se poser la question :

Nos modes ne vie nous permettent-ils tant que cela d'être libres ? Le fait de travailler à outrance, tous ces déplacements ? Sont-ils tous si désirables?

Appartenir à une même humanité

Ces fameux déplacements, sont habituellement une chance pour se rapprocher des autres. Mais, en ce moment, on nous intime de garder nos distances... "Distanciation sociale, quel drôle de concept..." Et pourtant, en même temps on n'a jamais autant communiqué.

On prend des nouvelles par téléphone, les réseaux sociaux, on travaille en visio-conférence... On parle avec les voisins par les jardins... Aussi parce qu'on a peur. 

C'est cette même vulnérabilité que l'on partage avec nos semblables, le sentiment d'appartenir à une même humanité...

Et après ?

Durant la crise, je pense que nous allons changer nos comportements.
Après ? Nous reviendrons à nos habitudes. 

S'il n'y a pas un programme politique qui nous propose une autre façon de faire, un programme social et écologique... Par exemple, réaliser que certaines sphères de la société, comme la santé, n'ont pas besoin d'être rentables.

Bien-sûr, les petits liens qu'on aura créés, cette sympathie, cette solidarité, pourront avoir changés, mais ils ne prospèreront qu'avec le soutien de politiques publiques...

Quant à profiter de ce temps pour prendre du recul? Pourquoi pas ? Mais selon elle, on ne vit, encore une fois, pas tous les choses de la même façon : on ne "philosophe" que dans le confort...

Les gens ne vont pas être plus forts. Ils sortiront globalement plus fragilisés.

Des idées de lectures ?

Puis qu'on a le temps, Fabienne Brugère nous propose de relire des classiques. "A la recherche du temps perdu", de Marcel Proust justement pour cette idée de vulnérabilité. Ou plus socialement  la série de Zola "Les Rougon-Macquart"...

Elle pense qu'il faut peut-être éviter de lire sur le sujet qui nous préoccupe en ce moment :

Savoir renouer avec un imaginaire à soi, prendre de la distance. Aussi avec la musique... C'est important la notion d'imaginaire...



Brigitte Brugère est professeure de philosophie à Paris 8 (anciennement à l'Université Michel de Montaigne).
Elle est notamment l'auteure de "L'éthique du "Care"". Que-sais-je? PUF et de "La fin de l'hospitalité" (coauteure avec Guillaume le Blanc)-Ed Flammarion.

 
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