Le procès en appel d’un homme de 59 ans accusé d’avoir violé une étudiante dans un parking de Bordeaux en juillet 2021 s’ouvre ce lundi 16 décembre devant la Cour d’assises d’Angoulême. Il avait été condamné à 12 ans de réclusion criminelle en première instance.
Le 29 juillet 2021, Océane est interpellée dans la rue Sainte-Catherine de Bordeaux. En face d’elle, un homme de 56 ans joue de la guitare. Originaire de Mauritanie, ce sans domicile fixe est arrivé en France en 2001. Handicapé par une poliomyélite, l’homme en fauteuil roulant lui "paraît inoffensif", se remémore la jeune femme, habituée à organiser des maraudes. Sans se méfier, elle accepte de le suivre et se fait entraîner dans un parking souterrain.
Un homme déjà connu de la justice
"Il se faisait passer pour un gourou, un guérisseur. Il active les traumatismes des femmes pour les attirer, c'est très malin", décrit Océane, à qui il aurait proposé un rite de désenvoûtement. Dans l’obscurité du souterrain, il serait descendu de son fauteuil pour lui infliger un rapport sexuel sous la menace d’un couteau. Une jeune femme interpellée par la scène s'interpose avec courage. Océane porte plainte le lendemain, l'homme est interpellé.
Cette histoire, elle devra la raconter une énième fois la semaine prochaine. Le procès en appel de cet artiste de rue, son agresseur présumé, s’ouvre ce lundi 16 décembre à 9 heures devant la Cour d’assises d’Angoulême. Il y a presque un an jour pour jour, en première instance, la Cour criminelle de Bordeaux avait condamné le multirécidiviste à 12 ans de prison ferme avec interdiction de rester sur le territoire français.
À l'issue du premier procès, j'ai ressenti un soulagement. Quand j'ai appris qu'il avait fait appel, j'ai traversé une période très compliquée. C'était très dur d'imaginer que j'allais devoir revivre tout ça.
Océane
Océane se sent "prête" et "déterminée à le mettre définitivement hors d'état de nuire". Elle espère que la condamnation sera confirmée. "C'est la seule manière pour elle d'être libérée de cette histoire qui pèse sur ses épaules depuis quatre ans. Nous allons nous battre pour que la culpabilité soit reconnue", commente son avocate, Me Fabienne Gouteyron.
Témoignage inédit d'une autre victime
Si la jeune femme ne s'est jamais découragée, c'est justement pour "les autres victimes de viol ou de tentatives de viol". Le casier judiciaire de l'accusé, épais de neuf pages, comporte 24 mentions et une dizaine de condamnations, dont une pour agression sexuelle en 2018. Il avait alors été condamné à 18 mois de prison.
Je me sens chanceuse d'aller jusqu'au procès criminel contrairement aux autres victimes de viol ou d'agression qui n'en ont pas eu. J'irai à Angoulême en pensant à elles.
Océane
Depuis l'audience devant la Cour criminelle de Bordeaux, une nouvelle pièce s'est ajoutée au dossier : le témoignage écrit d'une autre jeune femme, Louise (le prénom a été modifié afin de garantir son anonymat, ndlr) qui se dit victime du même homme. En 2018, il l'aurait attirée sous un pont près de la gare Saint-Jean. Comme à Océane, il lui aurait dit qu'il était "un sorcier" pouvant la guérir du "démon" qui menaçait "l'étoile" en elle grâce à une "cérémonie d'exorcisme".
Au fur et à mesure qu'il parlait, il aurait quitté son pantalon jusqu'à se retrouver en caleçon devant Louise qui dit avoir été "effrayée" et "tétanisée". Le téléphone de la jeune femme a sonné, elle en a profité pour s'extirper en vitesse. Quelques mois plus tard, le compagnon de Louise a reconnu l'homme en lisant un article de presse relatant le témoignage d'Océane. "Elle n'a jamais osé porter plainte après cette tentative de viol. La médiatisation a permis d'identifier une nouvelle victime", s'émeut Océane.
Les associations féministes mobilisées
Une conférence de presse du Planning Familial de Gironde est prévue devant le tribunal, lundi à 8 heures, en soutien à Océane. Dans un communiqué, le collectif dénonce les classements sans suite, qui concernent 70 % des plaintes pour violences sexuelles. "Nous refusons l’impunité, alors qu’un viol aboutit à une condamnation dans seulement 1 % des cas. Ce multirécidiviste a pu agir grâce à un système qui n’a pas cru les premières victimes. Combien d’agressions auraient pu être évitées si la justice avait réagi plus tôt ?", questionne la co-présidente Annie Carraretto.
Du côté de la défense, la présence des associations féministes est perçue comme "une pression". Me Bénédicte Impérial, l'avocate de l'accusé, réagit : "Je me mets à la place d'une juridiction, c'est compliqué de prononcer un acquittement lorsque vous avez un mouvement associatif qui dénonce les violences sexistes et sexuelles et qui entend faire de ce procès un emblème. J'aimerais que cela se passe sereinement, que les jurés étudient les éléments à charge et n'oublient pas ceux à décharge".
L'avocate plaidera l'acquittement, assurant que son "client ne l'a pas touchée". En première instance, où il comparaissait libre, l'homme avait reçu une obligation de suivi socio-judiciaire pendant dix ans et une obligation de soins. Il avait également été interdit d'entrer en contact avec la victime et condamné à lui verser 20 000 euros de dommages et intérêts.
"Ce n'est plus aux victimes de baisser la tête"
Le procès à la Cour d'assises d'appel de Charente durera trois jours, de lundi 16 au mercredi 18 décembre. La même semaine que le verdict du procès des viols par soumission chimique de Mazan. Dans ce hasard du calendrier, Océane perçoit une synchronicité. "Comme Gisèle Pélicot, je ne demanderai pas le huis clos. Le fait de rendre ces procès publics est important. On a vu les agresseurs venir avec des masques. Avant, les victimes se cachaient derrière des lunettes noires. Ce n'est plus à elles de baisser la tête."