Féminicide à Bordeaux Saint-Augustin : la justice peut-elle aller plus vite pour éviter d'autres assassinats ?

L'ex-conjoint de Sandra P., poignardée mortellement, reste en garde à vue et devrait être déféré ce dimanche. Cette femme, mère d'une fillette de 4 ans, avait porté plainte deux fois, soutenue par des mains courantes de ses voisins... La justice a-t-elle vraiment les moyens de protéger ces femmes ?

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Ce samedi matin, devant le domicile de la victime, presque rien ne laissait paraître du drame qui s'est joué vendredi 2 juillet, si ce n'est quelques fleurs accrochées au portail.

Sandra, 31 ans, est morte poignardée à plusieurs reprises par son ex-conjoint, Mickaël F., 37 ans. L'homme a été interpellé à son domicile par le Raid alors qu'il s'y était retranché (voir article). Sa garde à vue a été prolongée et il devrait être déféré ce dimanche. Leur petite fille de 4 ans, absente au moment des faits, a été prise en charge psychologiquement et socialement.

C'est le deuxième féminicide en quelques jours à Bordeaux, le 58è en France cette année. Un décompte morbide qui donne mal au ventre car malgré les campagnes d'informations, d'aides, de mesures de protection, le système ne semble pas protéger ces femmes.

Deux plaintes enregistrées

La victime avait porté plainte et des mains courantes avaient été déposées par les voisins. Pour la justice, des décisions ont bien été prises et l'ex-conjoint devait comparaître en novembre prochain. Le temps judiciaire semble trop long face à des agresseurs très déterminés.

Les plaintes datent du 6 janvier 2021 et du 30 mars. C'est en fait justement, au mois de janvier qu'elle s'était séparée de son conjoint et avait emménagé dans sa maison rue Camena-d'Almeida.

Le vice-procureur de Bordeaux, Olivier Etienne, explique que la première plainte portait sur du harcèlement, des menaces, des comportements violents (datant de décembre 2020 et janvier 2021) mais pas de menaces . L'ex-conjoint est placé en garde à vue le 9 mars. La réponse pénale apportée est une obligation de suivi thérapeutique et d'effectuer un stage pour les auteurs de violences. Mais, à la suite de la seconde plainte, ce schéma est abandonné.

D'après la procureure Frédérique Porterie, c'est lors du déferrement de l'ex-conjoint, le 28 juin dernier, moins de quatre jours avant la mort de Sandra, que la première plainte a été jointe à la seconde. A ce stade, l'ex-conjoint était convoqué par procès-verbal avec placement sous contrôle judiciaire (CPPVCJ), suite à des "envois réitérés de messages malveillants émis par voie de communication électronique par conjoint", entre le 3 janvier et le 17 juin 2021.

A la suite de cette convocation, il lui a été stipulé l'interdiction "d'entrer en contact avec la victime, avec obligation de se soumettre à des soins et à en justifier", l'interdiction de posséder des armes et l'obligation de résider hors de la résidence du couple. Il faisait également l'objet d'une convocation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Bordeaux pour y être jugé le 16 novembre 2021. Malheureusement, il n'a jamais respecté ces mesures.

Manque de moyens

Pour Me Christine Maze, avocate au barreau de Bordeaux et spécialisée dans ces affaires familiales, la justice agit : "les dossiers que nous voyons sont de plus en plus poursuivis. Beaucoup d'audiences, beaucoup de personnes déférées. Mais à mon sens, il n'y pas assez de moyens!" 

Selon l'avocate, les magistrats ne peuvent pas fixer les dossiers plus rapidement, au plus proche des faits, par manque de moyens. Et puis en l'occurrence, dans le cas du meurtre de Sandra à Saint Augustin, les faits "tels qu'ils étaient reprochés" portaient sur des "communications malveillantes", qui ne suffisent pas à faire incarcérer quelqu'un... "Mais il faut les juger le plus rapidement possible !"

Comme elle l'explique, les audiences sont déjà "pleines à craquer" et ces affaires familiales sont "très particulières et demandent beaucoup d'énergie" de la part des avocats mais aussi des magistrats, du procureur... 

Selon Me Maze, il faudrait plus de magistrats et même des audiences presque spécialisées sur le sujet, "ça ne peut plus durer comme ça".

Il faudrait, ajoute-elle, des services spécialisés dans les commissariats, que les femmes puissent venir dénoncer et qu'il y ait une réponse rapide. "Il faut que le gouvernement prenne la mesure, on ne peut pas continuer comme ça!".

Un effet aggravant du confinement

Depuis près de 18 mois notamment à Bordeaux, on assiste à une explosion des faits de violences : "une hausse des violences familiales comme sur la voie publique", précise Olivier Etienne, mais également des conflits "avec arme". Ce qui veut dire que de plus en plus de dossiers graves nécessiteraient un traitement rapide par la justice. Devant le nombre il faut, dit-il, "effectuer une sélection" pour avoir déjà quand même "10 à 11 dossiers par audience". Ce qui rallonge d'autant la durée de traitement d'autres dossiers urgents... Et le cas de Sandra n'est malheureusement pas isolé. Son meurtrier était convoqué le 16 novembre, presque onze mois après la première plainte... Et, en attendant, elle continuait, d'après les dires des voisins, d'être harcelée quasi quotidiennement.

Tous les professionnels et associations qui travaillent auprès de ces victimes expliquent qu'il y a eu aussi un effet confinement. Car dans un premier temps, les victimes, femmes et enfants, étaient comme pris au piège, chez eux, avec leur agresseur. Me Maze confirme cette explosion des séparations après le confinement. Ces femmes avaient pris la décision de fuir leur conjoint violent pour tenter de reprendre leur vie en main. Mais, souvent, c'est cette concrétisation de la séparation qui a pu être le déclencheur, chez le conjoint violent, pour un passage à l'acte. Et, on l'a vu lors de c'est deux derniers drames, on a affaire, alors, à des gens dangereux et déterminés qui ne font pas grand cas de mesures d'éloignement.

Un parquet spécialisé comme en Espagne ?

Naïma Charaï, directrice de l’Association pour l’accueil des femmes en difficulté de la Gironde (A.P.A.F.E.D), souhaite qu'il y ait un "électrochoc", une mobilisation générale de l'Etat, la justice, des pouvoirs publics pour mettre fin à ces féminicides. Déjà 58 en six mois cette année alors qu'il y en a eu 90, encore trop, sur toute l'année dernière.

D'ailleurs, selon elle, les chiffres avaient été mal interprétés. "Les féminicides ont lieu lors des séparations et là, les femmes, pendant les deux confinements, elles ne se sont pas séparées: on a eu moins de féminicides".

"Là, on est sur des chiffres catastrophiques. C'est le deuxième en Gironde seulement cette année. Il faut absolument qu'il se passe quelque chose!"

Des questions encore plus douloureuses après l'assassinat de Chahinez, aujourd'hui Sandra : "Pourquoi n'avait-elle pas de téléphone grand danger ?", "Pourquoi ce monsieur n'avait de bracelet anti-rapprochement ?"

Ce dimanche, elle fera partie du rassemblement en hommage à Sandra et aussi pour "interpeller les pouvoirs publics".

Qu'on donne davantage de moyens, qu'on les forme, qu'on crée un parquet spécialisé comme cela se fait en Espagne.

Naïma Charaï

Un hommage à Sandra dimanche

Ce dimanche 4 juillet, notamment à l'initiative de ses voisins, un rassemblement est prévu à 16 heures pour rendre hommage à Sandra, devant sa maison, rue Camena-d'Almeida, dans le quartier Saint Augustin à Bordeaux.

Une fois encore, en souvenir aussi d'autres féminicides qui souvent reproduisent les mêmes schémas, les mêmes drames.

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