Huit mois jour pour jour après le meurtre de Chahinez Daoud, brûlée vive par son ex-mari à Mérignac, six agents de police sont convoqués en conseil de discipline ce mardi 4 janvier. Ils devront se justifier face aux défaillances pointées par les enquêtes administratives et judiciaires.
La police des polices ne les avait pas requis, mais le directeur général de la police nationale en personne les a exigés. Ce mardi 4 janvier, deux conseils de discipline se tiendront à Paris et Bordeaux pour tenter de faire la lumière sur les "dysfonctionnements" dans le suivi de Chahinez Daoud. Le 4 mai 2020, cette mère de trois enfants était brûlée vive dans sa rue à Mérignac par son ex-mari, contre qui elle avait porté plainte deux mois plus tôt.
Rapidement ouvertes, les enquêtes de l’IGA (Inspection Générale de l’Administration) et de l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) avaient mis en évidence une série de "défaillances" dans le traitement de cette affaire, à différents niveaux. “Pour les commissaires, cela relève du volet organisationnel. Pour les officiers, c’est plutôt de la stratégie d'enquête, et pour les brigadiers, il s’agit de la gestion des procédures”, détaille Eric Marrocq, secrétaire régional du syndicat Alliance Police Nationale.
S'il y a eu des fautes, il serait logique que des fonctionnaires soient sanctionnés pour cela.
Bruno Vincendon, secrétaire zonal adjoint Alternative Police CFDTFrance 3 Aquitaine
Six agents sont concernés : le commandant de la division ouest et son adjointe, le directeur départemental de la sécurité publique de Gironde ainsi que le commissaire de Mérignac seront entendus à Paris. Pendant ce temps, deux brigadiers seront auditionnés à Bordeaux. Une suite logique, au vu de l’atrocité du crime et de l’importance du dossier.
“On s’attendait au conseil de discipline, admet Bruno Vincendon, secrétaire d'Alternative Police CFDT Nationale en Nouvelle-Aquitaine. Nous sommes l’une des professions les plus encadrées, et ce genre de procédure n’est pas rare. S'il y a eu des fautes, il serait logique que des fonctionnaires soient sanctionnés pour cela.”
Un éventail de sanctions
Les sanctions, si elles sont prononcées, sont réparties en quatre groupes, des plus légères aux plus lourdes. Celles-ci peuvent aller d’un simple avertissement ou blâme à une révocation, en passant par un changement de service, une suspension avec ou sans solde, une rétrogradation ou encore une exclusion temporaire.
Contactés, les services de la police nationale à Paris expliquent toutefois que les avis des conseils de discipline, composés de représentants administratifs et syndicaux, restent “consultatifs”.
Pour une affaire de cette gravité, les décisions reviendront à la Direction des Ressources et des Compétences de la Police Nationale (DRCPN), au directeur général de la police nationale, voire au ministère de l’Intérieur.
Elles ne devraient cependant pas être rendues immédiatement après les auditions.
Alors que le meurtre de Chahinez Daoud avait ému tout le pays, et que trois féminicides ont déjà eu lieu en seulement deux jours en ce début d'année, les défenseurs des policiers convoqués craignent que le contexte joue en leur défaveur, et que leur cas serve d’exemple.
“C’est un risque, je ne le cache pas, avoue Eric Marrocq, choisi par les deux brigadiers de Bordeaux pour assurer leur défense, à la place d'un avocat. Nous espérons que cela ne pourra pas influer sur la décision du conseil de discipline. Les policiers sont des professionnels, encadrés par des textes et des règlements, et j’ai la prétention de dire que les deux fonctionnaires de Bordeaux ne peuvent pas endosser à eux seuls la responsabilité de l’échec de cette enquête.”
La justice oubliée ?
Toujours selon le secrétaire régional d’Alliance, la police n’est pas la seule en cause. Il poursuit : “Les sept premiers manquements relevés par la commission IGPN - IGA concernent l’institution justice. Or, le ministre de la Justice a décidé de ne pas donner des sanctions individuelles, et considère que c’est l’organisation de l’ensemble des services qui a peut-être conduit à un manque d’efficacité. Alors que de notre côté, les policiers vont devoir répondre de négligences personnelles. Il n’est pas normal que mes collègues soient les seuls à devoir s’expliquer sur cette dramatique affaire.”
Un avis partagé par l’avocat de la famille de Chahinez Daoud. "Les dysfonctionnements ne concernent pas simplement la Police Nationale, mais également les magistrats du Parquet et les services d'insertion et de probation, nous confiait en octobre maître Julien Plouton. Il y a dans ce dossier un manque sidérant de transmission des informations, de communication et de centralisation des informations, ce qui a conduit à ces manquements, à ces échecs et à l'absence d'interpellation de l'auteur des faits.”
L'interview de Maître Plouton >
Chahinez Daoud fut la 39e victime d’un féminicide en 2021. L’an passé, 113 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en France.