"Hors de question qu'on se laisse piétiner" : à Bordeaux, les ASH se mobilisent pour de meilleures conditions de travail

La mobilisation des Agents de service hospitalier de Gironde continue avec un piquet de grève ce jeudi 9 novembre devant la mairie de Bordeaux. Quelques ASH se sont réunis pour dénoncer mauvaises conditions de travail, bas salaires et pressions de la part de leur direction, le groupe Elior.

"Tous les jours, je me dis : Il faut que je change de travail." Si Diana prononce cette phrase en riant, comme pour dédramatiser la situation, elle est profondément fatiguée et en colère. Fatiguée par son travail d'ASH (agent de service hospitalier), en colère contre ses conditions de travail dégradées et son bas salaire, qui l'ont poussée à soutenir la grève lancée le 2 octobre dernier.

Arrivée de Colombie en 2001, Diana travaille à la clinique mutualiste de Bordeaux et est chargée de l'entretien et du nettoyage de chambres, de bureaux et de parties communes. Un travail de l'ombre, pourtant très important pour le bon fonctionnement des hôpitaux, car les ASH sont là pour assurer la sécurité sanitaire des patients.

"Le travail de quatre personnes en une"

Pourtant, les agents de plusieurs sites hospitaliers de Bordeaux et alentours (clinique mutualiste, Langon, Haut-Lêveque, Pellegrin) alertent depuis plus d'un mois sur leurs conditions de travail. Tous employés par le même sous-traitant, Elior, ils dénoncent une charge de travail trop importante, et une rémunération bien inférieure à leur activité effective.

Peu nombreuses à suivre la mobilisation ce jeudi 9 novembre, sans doute à cause de la pluie battante, les ASH se retrouvent dans un café à côté de l'hôtel de ville. À table en face de Diana, Marnie, agent au CHU Haut-Lévêque, raconte son quotidien, ses 7h de travail "où on doit parfois accomplir le travail de quatre personnes en une", et la "pression énorme pour tout terminer dans les temps".

Des fois, j’arrive au travail la boule au ventre, parce que je ne sais jamais comment la journée va se passer, s’il y aura des absents ou non.

Marnie, ASH au CHU Haut-Lévêque

à rédaction Web France 3 Aquitaine

"On peut avoir plusieurs horaires, 5h-midi, 13h-21h, ou des fois même 5h-16h... Ce sont de grosses journées, physiquement c’est difficile, déplore cette salariée d'Elior depuis 2019. Et quand il y a des absents, on nous demande de les remplacer, ça nous fait encore du travail en plus. Pourtant, à la fin du mois, on n'a rien de plus sur notre paie !"

Les ASH sont en effet rémunérées à peine plus qu'un SMIC, sans primes de risque, d'heures supplémentaires payées ou de reconnaissance du travail parfois abattu en double, triple ou quadruple. Diana est salariée depuis 2013 ; avec son ancienneté, elle touche 1500 euros nets par mois. "Quel luxe !" ironise, toujours en riant, cette Colombienne d'origine.

Faire grève ou boucler les fins de mois

Si elle soutient la grève depuis le début, cette ASH ne débraye que les jours où des piquets de grève sont annoncés. "Je fais un jour par ci, un jour par là, sinon je ne peux pas me le permettre, explique-t-elle. Financièrement, ça ne serait pas gérable ! Je suis toute seule, j’ai deux enfants à charge, je ne peux pas perdre mon salaire."

Diana a fait grève quatre jours depuis le 2 octobre, soit une perte de 300 euros à la fin du mois. Une somme déjà importante pour cette mère célibataire, qui essaye dès qu'elle peut d'envoyer de l'argent à sa famille en Colombie, "qui en a besoin aussi".

Quasiment tous mes collègues ne peuvent pas faire grève car c'est trop compliqué financièrement. Tout le monde n'a pas les moyens de lutter.

Diana, ASH à la clinique mutualiste

à rédaction Web France 3 Aquitaine

Les employés d'Elior sont en effet en majorité des femmes, souvent d'origine étrangère et en conditions précaires, avec des enfants à charge ou des titres de séjour à renouveler. "Ils profitent de la précarité, de la fragilité des personnes qu'ils emploient pour avoir la main dessus, pour leur imposer une sorte d'esclavage moderne", s'insurge Francesca, ASH à Langon et parmi les instigatrices de la grève, jointe par téléphone.

"De nombreuses personnes avec un titre de séjour ont eu envie de nous suivre, mais ont reculé ensuite devant la pression des dirigeants, dénonce celle qui est en grève depuis le 2 octobre, perdant plus d'un mois de salaire. On se bat pour nous, mais aussi pour elles. Moi, j'ai la chance d'avoir une carte d'identité française, et en France, on a un Code du travail, il est hors de question qu’on accepte une situation pareille."

Un risque pour les patients

En dehors de la charge de travail souvent colossale, les ASH ont aussi le sentiment d'être soumis à des risques constants au travail, sans que cela se traduise pour autant sur leur fiche de paie. "On travaille à l'hôpital, on est parfois en contact avec des agents infectieux, rappelle Francesca. Pourtant, ça n'est pas reconnu. Et sur mon site de Langon, à force de travailler en mode dégradé, les services étaient dégoûtants. Il y a un vrai risque d'attraper des maladies infectieuses, pour nous comme pour les patients."

"On nous demande d'aller toujours plus vite, d'en faire toujours plus, quasiment de bâcler notre travail, abonde Diana. Mais on agit aux côtés des patients, si on ne fait pas attention à ce qu'on fait, si on nettoie mal, ils peuvent tomber malades. Et ça, ça concerne tout le monde !"

Fatiguées, découragées par leurs conditions de travail, Diana comme Marnie continuent d'aller à l'hôpital tous les jours, préférant cela à la perte d'un salaire. Mais elles constatent quotidiennement les arrêts maladie, les abandons des CDD... "Les gens fuient devant la charge de travail, lâche Marnie. On a beaucoup de mal à trouver des remplaçants, et des fois, ils ne terminent même pas la journée !"

Si tu dis que tu as mal à un bras, ils vont te dire d'utiliser l'autre.

Benoît, CDD comme ASH pendant 10 mois à la clinique mutualiste

à rédaction Web France 3 Aquitaine

"Ils mettent la santé des patients en danger"

Chez Elior, "le turnover est très important", selon les dires de Benoît, resté en CDD pendant 10 mois à la clinique mutualiste. Dix mois qui ont suffi à dégoûter ce professionnel du nettoyage. "Ils n'y connaissent rien, ils nous demandent de faire des taches qui ne sont pas les nôtres. Ils mettent la santé des patients et des salariés en danger, je ne risque pas d'y retourner."

Pour tous ceux qui décident de rester, Francesca et les autres sont déterminés à poursuivre la mobilisation "jusqu'au bout". À la clinique mutualiste, quelques nouveaux postes ont été créés, déjà une petite victoire. Mais de vraies négociations sont prévues pour le 13 novembre, entre les syndicats et la direction.

"Je doute qu'on soit satisfaits à l'issue de ces discussions, mais on verra bien, temporise Francesca. De toute façon, peu importent les négociations, il est hors de question qu’on se laisse piétiner, ou qu’on baisse la tête. Ensemble, on va continuer à se battre." La direction d'Elior est prévenue.

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