"Il faut remettre l'humain au cœur du système" : le regard plein d'espoir sur le confinement de deux universitaires

“À un moment, tout s’est arrêté. Cette interruption a créé un état de sidération : on était incapable de penser”. Perte de repère ou création de nouvelles pratiques, Vanessa Oltra et Grégory Michel perçoivent le confinement comme un “passage vers la maturité”.

Et si ce confinement était un peu une seconde adolescence ? Pour Vanessa Oltra, maître de conférences en économie à l’Université de Bordeaux  et créatrice du festival FACTS, et Grégory Michel, professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’Institut des sciences criminelles et de la justice de l’Université de Bordeaux, cette période de confinement pourrait être l’opportunité de faire “grandir” nos sociétés.
 

Rite de passage

Depuis quelques semaines, l’expression “monde d’après” est apparue dans les discours des politiques et des médias, avec le sous-entendu qu’il y aurait un “monde d’avant”. Une idée que rejoignent les deux universitaires. “Nous sommes dans des limbes, entre deux états, deux mondes. Il y a une notion de processus dans ce que nous vivons. Actuellement, nous sommes dans l’assimilation de nouvelles compétences, de conduites. il ne faut donc pas être spectateur de ce moment”, explique Grégory Michel. 

Loin de la morosité actuelle, dans un article de The Conversation, les deux intellectuels s’appuient sur la théorie de la liminarité, un rite de passage vers un stade plus évolué, qui s’applique à toutes les échelles de la société. “On a l’impression pour l’instant d’être dans l'effondrement. Mais il faut penser à la phase d’opportunité qui vient après. Elle ne vient que si l’on se détache de nos anciens modes de fonctionnement, pratiques et activités. Et pour en arriver là, il faut passer par un entre-deux”, résume le professeur en psychologie clinique.

Pourtant, pas de précipitation. “Le déconfinement ne signe pas la fin du processus. Ce n’en est qu’une partie, prévient Grégory Michel. Nous sommes dans une société d’immédiateté où la mise en perspective est rare. Le changement dépendra donc de comment nous allons assimiler les choses.”

Mais difficile d’envisager le futur lorsque les incertitudes sont omniprésentes. Pour Vanessa Oltra, maître de conférence en économie, trois motivations sont essentielles pour enclencher ce processus. “Le champ lexical conditionne notre façon d’aborder un problème. Il faut désormais sortir du catastrophisme et chercher des solutions, en s’appuyant sur l’intelligence collective”, détaille Vanessa Oltra. La dernière condition est de redéfinir les priorités de la société.
 

Des institutions comme guides

A l’échelle individuelle, les changements d’habitudes, plus écologiques et plus solidaires émergent depuis plus d’un mois. De nouvelles routines que beaucoup souhaiteraient conserver après le confinement. “En définissant de nouvelles pratiques qui nous rendent plus heureux, on ne subit plus ce confinement, puisqu’on devient responsable du changement. Mais si la société ne change pas, cela va être très difficile d’instaurer ces nouvelles pratiques”, concède Grégory Michel. 
“Enchâssés” dans le système économique, les comportements et les modes de vie sont pourtant dépendants des Etats et des organisations internationales. “Il faut que les institutions politiques nationales et internationales se saisissent de ce rôle de guide, qu’elles changent elles aussi leurs fonctionnements. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, aucune ne sait où aller et sans elles, rien ne pourra vraiment changer”, argumente Vanessa Oltra.
 
L’économiste regrette notamment la faiblesse des coopérations internationales ainsi que le manque de prise en charge de l’Etat, “seul à pouvoir gérer cette crise”. “Il faut prendre des décisions radicales et durables pour que les changements persistent. Les initiatives locales existent depuis longtemps. Désormais, le danger, c’est que ce changement ne puisse pas s'opérer à cause d’un blocage institutionnel”, assure Vanessa Oltra. 

Un danger qui pourrait également mener les sociétés dans le sens inverse. “Il y a aussi le risque que ces institutions prennent le contrepied de ces initiatives. Rien aujourd’hui ne nous assure que le monde de demain sera meilleur. Il faut savoir tirer les enseignements de cette crise inédite, pour prendre une direction”, explique Grégory Michel.  

Remettre l’humain au centre

Pourtant, à l’échelle locale, les signes sont plus qu’encourageants. Des initiatives qui marquent également les directions vers lesquelles les sociétés souhaitent s’orienter.

On vit une sorte de solitude partagée où une véritable solidarité se crée.
Grégory Michel, professeur en psychologie clinique

Pour Vanessa Oltra, cette crise “invite les société à démasquer l’idéologie. Tout a été fait depuis des années au service de l’idéologie, politique entre autres, au prix de l’humain et de l’environnement.” 
“Premièrement, cette crise nous a rappelé que l’économie, si elle n’est pas réelle, rien ne fonctionne. C’est quelque chose qu’on avait oublié depuis plusieurs années”, détaille Vanessa Oltra.

L’économiste souligne aussi les bienfaits écologiques de ce confinement. “Cela fait cinquante ans qu’on bataille sur l’impact climatique de la société. Aujourd’hui, les émissions de CO2 ont baissé de 30%, on a des des preuves. Difficile désormais d’être climatosecptique”, sourit l’économiste.
“Il faut remettre l’humain au coeur du processus”, assurent les deux chercheurs. Pour mieux envisager le futur, les deux universitaires proposent de se plonger dans le passé. “Il faut apprendre de l’histoire. Suite à la crise de 2008, on pensait qu’on allait enfin changer notre système. Aujourd’hui, on reconnaît qu’on n’a rien appris de cette crise”, explique Vanessa Oltra.

Àl’inverse, en 1918, il a fallu la grippe espagnole pour que l’OMS soit créée.
Grégory Michel

Si les deux universitaires appellent à un changement de nos sociétés, ils ne prônent pas pour autant un retour en arrière. “On ne parle pas de démondialisation ou de repli sur soi. Ce n’est pas possible. Mais il faut inventer de nouvelles solidarités internationales, et c’est pour cela que nous appelons les intellectuels et les politiques à se pencher sur cette situation”, assure Vanessa Oltra. 

Reprendre le temps

Et si cette crise peut être le déclencheur d’un “monde d’après”, elle remet aussi en perspective notre relation au temps. “Depuis dix ans, les penseurs analysent notre relation au temps, et font l’éloge du ralentissement. Aujourd’hui, nous vivons une expérience collective qui nous poussent à redéfinir notre rapport au temps”, explique Vanessa Oltra. 

Pour l’économiste, cette crise sanitaire pointe les décisions de court-terme qu’ont pris les institutions depuis de nombreuses années. “Un des enseignements à tirer serait d’intégrer plus de prudence dans les choix, les discours pour avoir une vision à long terme. Cette pandémie, des chercheurs l’avaient anticipé depuis dix ans”, assure Vanessa Oltra.

A l’échelle individuelle, ce sont la perte de nos repères temporels qui poussent à la réflexion. “Le travail se fait à la maison, les tâches quotidiennes se confondent avec les heures de travail, il n’y a plus de repères dans nos journées”, énumère Grégory Michel. 

Loin d’être négatif, il rappelle qu’il existe en réalité trois relations au temps. “Il y a le temps biologique, c’est notre corps qui évolue et vieillit. Il y a le temps social et professionnel qui a accaparé toute notre attention et notre vie, et enfin, le temps personnel. Ce sont des moments de vides, que l’on occupe comme on le souhaite. Avec des vies à cent à l’heure, ces moments se sont raréfiés. C’est pour cela qu’en ce moment, alors qu’ils opèrent un retour en force, nous sommes perdus”, argumente Grégory Michel.

Des réflexions qui ont poussé les personnes à se tourner vers des activités manuelles, des retrouvailles numériques avec de vieilles connaissances, et utiliser ce temps libre pour se rendre heureux. “Nous avons paradoxalement choisi des activités qui demandent une vision à long terme : l’écologie, la famille, ce sont des valeurs fondamentales qui s’inscrivent dans un temps long”, souligne Grégory Michel.

Et si l’ennui a changé nos pratiques, elles ont aussi changé notre vision de nos chemins de vie. “Certaines choses nous paraissent secondaires. On se rend compte du temps qu’on se perd dans nos objectifs de réussite sociale et professionnelle, sans que celles-ci nous rendent particulièrement heureux”, détaille Grégory Michel, en s’appuyant sur les témoignages de ses patients. 

Les deux universitaires rappellent donc à chacun son rôle à jouer pendant ce confinement, qui à défaut d’être un moment douloureux, pourrait être celui d’un renouveau.

 
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