À l'occasion des 80 ans de la libération de Bordeaux, ce mercredi 28 août, Geneviève Renard revient sur ses années de résistance, alors qu'elle n'était qu'une jeune fille. Une époque douloureuse dont elle garde des séquelles physiques et psychologiques. Mais reste aussi l'amour d'un père qui s'est battu pour sa ville.
Avec du recul, Geneviève le reconnaît : "Il fallait du courage pour faire ce que l'on a fait." À l'occasion des 80 ans de la libération de Bordeaux, la résistante de 97 ans revient sur son histoire. Celle d'une petite fille dont la vie a été bouleversée, en juin 1940, par l'arrivée de milliers de soldats allemands dans sa ville natale. Des années de jeunesse volées, marquées par une lutte effrénée, mais aussi par l'amour et le courage d'un père, Ferdinand-René, dont elle est si fière.
"Lorsque les Allemands sont arrivés à Bordeaux, j'avais quatorze ans", raconte Geneviève Renard. Face à l'ennemi, son père lui avait ordonné, à elle et sa sœur, de rester confinée dans leur appartement situé quai des Chartrons. C'était un choc : "c'est à ce moment précis que je suis devenue adulte", confie Geneviève. Huit décennies plus tard, elle se remémore encore les larmes de ses parents. "Pour une petite fille, un père ne pleure jamais."
Son foyer, dernier point de relais à Bordeaux
Trois ans plus tard, en 1943, Geneviève a seize ans. Dans leur appartement, son père s'approche d'elle. "Il m'a présenté un homme comme un cousin canadien, se souvient-elle. Il était censé rester quelques jours ici, à Bordeaux, avant de rejoindre l'Espagne." Déjà à cette époque, Geneviève était une "rebelle". Elle a regardé son père, et lui a dit : "je sais que tu es résistant. Et je sais ce que sont les passeurs."
Au fil des jours, le foyer de Geneviève est devenu le refuge le plus sûr, à Bordeaux, pour tous les étrangers désireux de rejoindre l'Espagne depuis Paris. Tour à tour, des Polonais, Anglais, Américains, Canadiens et Belges ont marqué un arrêt au domicile familial. "Ils logeaient tous dans une des chambres de notre appartement, se souvient la retraitée. C'était une pièce noire, qui donnait sur la cour intérieure de l'immeuble. En cas de problème, ils pouvaient s'enfuir par la fenêtre de toit."
Geneviève se souvient particulièrement d'un certain Louis. Un soldat américain à la peau rouge écarlate, arrivé à Bordeaux après avoir parcouru un nombre incalculable de kilomètres à vélo. "Un jour, mon père me demande : As-tu vu Louis ? Il n'est pas dans l'appartement." Coup de frayeur pour la famille. Son père la missionne : elle prend sa bicyclette et passe au crible tous les recoins de Bordeaux. Puis voilà qu'elle le voit, place Gambetta, assis tranquillement à la terrasse d'un bistrot. Il fumait une cigarette.
Éduquée à la résistance
Cette même année, en 1943, Geneviève intègre un groupe de jeunes résistants. Comment, pour elle, ne pas oublier ces quelques jours, ceux qu'elle raconte, huit décennies plus tard, avec tant de difficulté. "À l'époque, on communiquait tous grâce à des postes de radio et il leur fallait des lampes, se souvient la retraitée. J'en ai eu, mais je ne vous dirais pas comment, ce n'est pas joli."
Ces lampes, Geneviève les a prises chez des particuliers, qui ont fini par déposer une plainte contre elle. Puis trois policiers français l'ont arrêtée, puis emmenée cour de Verdun, à Bordeaux. Le calvaire commence : "Ils se sont montrés très caressants avec moi, confie-t-elle aujourd'hui. Pendant deux jours et demi, ils m'ont tabassée." Des coups qui ne pardonnent pas. Geneviève a hérité de problèmes d'hémorragie, a dû subir des piqûres et s'est vue privée de donner la vie.
Une libération en demi-teinte
Dans la nuit du 27 août 1944, les derniers soldats allemands ont quitté Bordeaux. Le lendemain, la ville était calme, "c'était presque un jour comme un autre", confie Geneviève. Dans la rue, elle entend soudainement un énorme brouhaha. "Une jeune fille se trouvait là, seule au milieu d'une cohorte d'hommes, se remémore-t-elle. Elle venait d'être tondue et elle était toute nue." Dans l'un de ses albums photos, Geneviève porte un tablier. "Vous le voyez ? Eh bien, je ne l'ai plus. Je le portais, mais je l'ai enlevé pour couvrir cette jeune fille."
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"La Libération, j'en garde un très mauvais souvenir, confie Geneviève, parce que ce n'était pas fini. À Bordeaux, on dansait pendant que d'autres mourraient à la pointe de Grave." Engagée comme infirmière, elle est partie sur le front du Médoc pour sauver les soldats blessés sur le front. Le 18 avril 1945, Geneviève a dix-huit ans. Émue aux larmes, elle se souvient de "trois petits brancardiers" qui se sont avancés vers elle. "Ils m'ont offert des marguerites cueillies dans les prés", sourit la retraitée. Puis l'un d'eux, le petit Jacky, est mort dans ses bras. Bordeaux était libérée, mais des combats se jouaient encore.