Il était au pouvoir depuis vingt-quatre ans. Ce samedi 7 décembre, les Syriens, expatriés ou réfugiés en Gironde, ont appris la chute du régime de Bachar al-Assad et la fuite du dirigeant en Russie. Un moment historique entre joie, espoir et appréhension.
Ils dansent et chantent leur joie. Ce dimanche, à Bordeaux, une centaine de Syriens se sont retrouvés pour célébrer un moment qu’ils qualifient “d’historique”. Ce week-end, les forces rebelles de HTS ont définitivement renversé le régime de Bachar al-Assad, 14 ans après le début de la révolution syrienne et plus d’un demi-siècle de dictature, par al-Assad père et fils.
Des banderoles étaient déployées appelant à une Syrie “libre et unie”. “C’était un moment très émouvant”, sourit Maya Safadi, la présidente de Syrie Démocratie 33. Les gens avaient besoin de se retrouver pour célébrer ensemble après toute la souffrance endurée.”
Pour la première fois
Des scènes de liesse, observées depuis plusieurs jours en Syrie, mais aussi en Turquie ou au Liban, où sont réfugiés de nombreux Syriens. En France, les télévisions sont restées allumées des jours durant, pour suivre chaque minute des avancées des forces rebelles. “On ne dort pas, on est devant la télé jour et nuit. J'ai eu peur, mais quand j’ai vu que les rebelles n’étaient pas divisés, qu’il n'y avait pas beaucoup de violences, ça nous a rassuré”, explique Saed Raji qui a fondé l’association Chaam, en région bordelaise.
Des Syriens se sont réveillés pour la première fois de leur vie dans un monde où Bachar al-Assad n’est plus au pouvoir.
Maya Safadi,Présidente de Syrie Démocratie 33
Cette libération a en effet été saluée par de nombreux Syriens. “Elle a été très rapide, plus qu’on ne pouvait l’imaginer. Il y a eu très peu de morts. Tout le monde était prêt, en réalité, du nord au sud du pays”, détaille Maya Safadi. Une “victoire” qui n’efface pourtant pas les 500 000 syriens morts depuis le début de la révolution. “Nous avons eu un temps, ce dimanche, pour apporter nos pensées à tous ceux qui sont décédés”, souligne la responsable associative.
Retrouver les siens
En Turquie ou au Liban, certains songent déjà au retour. En France, la prudence de ceux qui observent de loin, reste de mise. “Un retour définitif, c’est un peu tôt. Certains envisagent cependant un voyage, pour pouvoir retrouver enfin leurs familles qu’ils n’ont pas vues depuis des années, explique Maya Safadi. Il vaut mieux attendre que l’aéroport rouvre correctement.”
Ce retour tant attendu, auprès des siens, symbolise avant tout les retrouvailles avec les terres, les maisons de leurs enfances. “Certains bâtiments ont été détruits, d’autres occupés par les forces de Bachar El Assad. Tout le monde n’a pas d’endroit à retrouver”, nuance la présidente de Syrie Démocratie 33.
Le retour au pays représente aussi des choix pour ceux, installés désormais depuis une décennie en Gironde. “Ceux qui ont des enfants ne pourront pas rentrer sur un coup de tête. Il faut déjà être certain de la stabilité et la sécurité du pays. Mais ils vont surtout devoir choisir. Si leurs enfants sont scolarisés ici, c’est un changement de langue, de culture, de vie”, rappelle Saed Raji.
Signaux positifs
Ce lundi encore, les émotions se bousculent et se mélangent dans la tête du Syrien. “C’est complexe. À la fois, je ressens une immense joie de savoir que nos souffrances touchent à leurs fins, mais j’ai aussi peur de l’inconnu face à tous ces défis et ces incertitudes quant à l’avenir”, reconnaît Saed Raji. Après 54 ans sous la coupe du régime de Hafez al-Assad puis de son fils Bachar al-Assad, le pays reste en effet totalement à reconstruire.
Si depuis plusieurs jours, certains se font l’écho de la peur du retour de l'État islamique dans le pays, les ressortissants préfèrent y voir l’espoir. “Lors des reprises des villes, quand on voit le traitement réservé aux chrétiens ou aux alaouites, ça nous rassure”, avance Saed Raji.
Il faut que la Syrie apprenne des erreurs des Printemps arabes.
Saed Raji,Président de Chaam
Lui, regrette d’ailleurs que certains tombent déjà dans les divisions et agitent les craintes d'un régime sous le joug de l'État islamique. “Ce ne sont pas des gens de Daech qui agitent des drapeaux noirs. Ce sont des jeunes qui ont fui la ville pour mieux revenir aujourd’hui. Ce sont des Syriens qui parlent notre langue, ce sont des membres de nos familles”, assure le président de Chaam.
Pour preuve, il avance la constitution d’un gouvernement où se mêlent “kurdes, chiites, chrétiens, sunnites” et même “un ancien Premier ministre de Bachar al-Assad”. “C’est un gouvernement de technocrates et ça rassure un peu”, reconnaît-il.
Ingérence étrangère
Un constat et un espoir que formule également la présidente de Syrie Démocratie 33. “Les groupes envoient des signaux positifs, avec la protection des minorités. Et puis, depuis 2011, ils sont dans les villes libérées et on voit bien qu’ils ont appris à s’adoucir pour travailler avec les groupes locaux et construire une société civile, explique-t-elle. On va rester vigilant pour que la Syrie ne passe pas de la dictature de Bachar al-Assad à celle de l’État islamique.”
C'est de la frustration que naissent les extrémismes. Maintenant que les Syriens ont recouvré leur liberté, il y a l’espoir de retrouver un pays démocratique et unifié.
Maya Safadi,Présidente de Syrie Démocratie 33
La présidente de l’association bordelaise s'inquiète surtout des ingérences étrangères. “Les Syriens refuseront de se voir voler leur liberté à nouveau. Mais si l’Arabie Saoudite intervient, avec des moyens, ce sera forcément plus difficile d’établir une démocratie en Syrie”, avance-t-elle, espérant voir, au contraire, durant ce nouveau système politique, la chute des groupes islamiques.