Incendie à la prison de Gradignan : la surpopulation carcérale en question après le décès d'un détenu

Ce drame relance le sujet épineux de la surpopulation carcérale. Il s'est produit, ce 1er juin un peu après 18h30, au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. Un détenu est mort et son co-détenu a pu être secouru mais a été très grièvement brûlé.

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Dans cette cellule, normalement prévue pour un détenu, ils étaient trois. A l'image de la surpopulation à la prison de Gradignan près de Bordeaux. 
Ce mercredi 1er juin, dans l'après-midi, l'un d'entre eux avait été déplacé dans une autre cellule. Au moment de l'incendie, vers 18h50, deux détenus étaient donc à l'intérieur. 

Quand les agents sont intervenus, après s'être équipés comme le veut le protocole, le détenu de 38 ans qu'ils ont pu secourir était déjà très gravement brûlé. L'autre homme était alors déjà décédé.

On ne connaît pas les causes du départ de feu ni les circonstances qui ont conduit  au drame.

Enquête et autopsie

Sébastien Baumert-Stortz, vice-procureur du parquet de Bordeaux, explique que "l'incendie s'est produit vers 18h50 dans une cellule occupée par deux détenus placées en détention provisoire, dans le cadre d'une enquête dans une affaire de viol en réunion. Le personnel est intervenu très vite".

Pour l'instant, l'enquête ne montre pas qu'il y a eu un manque de réactivité.

Sébastien Baumert-Stortz - vice-procureur

Source France 3 Aquitaine

Le départ de feu s'est produit au moment de la distribution des repas à quelques mètres de la cellule. "On s'en est rendu compte très rapidement " mais "le feu a pris très très vite", ajoute le vice-procureur parlant du personnel pénitentiaire.

Concernant les deux détenus, il précise que le pronostic vital est toujours engagé pour le détenu grièvement brûlé qui a été extrait de la cellule. C'est un Algérien de 38 ans. Quant à celui qui est décédé, il s'agit d'un Marocain de 20 ans.

L'enquête a été confiée à la sûreté départementale. Elle devra déterminer les circonstances de ce départ de feu et la cause de sa mort. Sébastien Baumert explique que c'est une enquête "en recherche de la mort et blessures graves". "L'origine du feu reste vraiment à déterminer. Toutes les pistes sont ouvertes. L'autopsie est en cours ainsi que des analyses toxicologiques".

Les syndicats dénoncent cette surpopulation carcérale depuis maintenant plusieurs années. Cela a fait l'objet de nombreuses grèves dans les établissements pénitentiaires, encore dernièrement. 

Sébastien Panazol, surveillant pénitentiaire au syndicat FO témoigne. 

Il y a énormément de ce qu'on appelle nous des "triplés". A la base, il doit y avoir une personne par cellule et là, ils sont trois : deux lits à disposition et un qui dort au sol.

Sébastien Panazol - surveillant pénitentiaire F0

Source France 3 Aquitaine


Le jour du drame, le troisième détenu avait changé de cellule "parce qu'il y avait un conflit entre eux"...

Concernant l'incendie, il explique que l'horaire de l'incendie n'est pas anodin : "c'est la fin du service du soir. Le repas a été distribué. C'est là que les agents ont fini leur service et font leur tour. Les détenus savent qu'ils ne sont pas disponibles".

Regardez le reportage de Gilles Coulon et Marc Lasbarrères réalisé ce jeudi 2 juin.

durée de la vidéo : 00h00mn49s
Un détenu de 20 ans est mort et son co-détenu grièvement brûlé. Ce drame relance le sujet épineux de la surpopulation carcérale. ©France 3 Aquitaine

Trop de détenus

Ce drame semble une nouvelle illustration de ce que dénoncent depuis des années les agents pénitentiaires. Des drames ou incidents à répétition montrent que la surpopulation, face à des effectifs limités, peut être source de situations anxiogènes, voire dramatiques.

Ici à Gradignan, le taux de densité est de 224 % contre 138,9% en moyenne dans les autres établissements en France. La prison n'est tout simplement pas conçue pour une telle surpopulation avec des détenus potentiellement dangereux pour leurs co-détenus, pour les agents pénitentiaires et pour eux-mêmes. En mai dernier, on a déploré deux suicides dans la même semaine.

Ce jeudi matin, des familles confiaient leur indignation sur les conditions de détention de leur proche. 

Ils sont trois par cellule. Il y en a qui dorment par terre. C'est lamentable !

Une proche d'un détenu

France 3 Aquitaine

La cellule est vieille. Elle est sale et pas entretenue. C'est scandaleux.

Une proche de détenu

France 3 Aquitaine

Un rapport accablant

Aujourd'hui, un rapport vient renforcer le discours de ces agents pénitentiaires comme de ces proches de détenus. 

Ce jeudi 2 juin,  Dominique Simonnot, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) a appelé, dans son rapport annuel ( de l'autorité  administrative indépendante) à desserrer " l'étau de la surpopulation" carcérale, l'un de ses chevaux de bataille pour que les prisons cessent de " fabriquer de la récidive".

Pourtant, d'après ce rapport, le parc pénitentiaire est passé de 50 714 places au (octobre 2007) à 60 654 places (octobre 2020) soit près de 10 000 places supplémentaires. Mais dans le même temps, la population carcérale ne cesse d’augmenter.

Le nombre de détenus atteignait 71 053 au 1er avril 2022 (contre 60 771 au 1er avril 2007). L’objectif global du Gouvernement est de créer 15 000 nouvelles places d’incarcération d’ici 2027, dont 7 000 d’ici fin 2022.

Mais pour l'heure, ce rapport rend compte de cette surpopulation dans nos prisons qui, outre l'aspect humanitaire, met en péril les perspectives de réinsertion.

Quel retour à la vie (normale) peut-on attendre de personnes qui, en prison, ont été entassées à trois dans 4,40 m2 d'espace vital, durant des mois, et souvent 22 heures sur 24, au milieu de rats, cafards et punaises de lit ?

Dominique Simonnot

Source : Agence France Presse

Selon les derniers chiffres officiels, le taux d'occupation des prisons françaises atteignait 117% au 1er mai, grimpant même à 138,9%  (plus de 200% à Bordeaux ) dans les maisons d'arrêt où sont incarcérés les détenus en attente de jugement - présumés innocents - et ceux condamnés à de courtes peines.

En raison de cette surpopulation, 1.850 prisonniers sont contraints de dormir sur des matelas posés à même le sol.

La surpopulation aggrave tout

La densité carcérale était repassée sous les 100% en 2020, à l'occasion de la crise sanitaire liée au Covid-19, durant laquelle des détenus avaient bénéficié de sorties anticipées. Mais "cela n'a pas duré. L'occasion de maintenir un peuplement des maisons d'arrêt acceptable a été manquée ", déplore le rapport.
Or " la surpopulation vicie absolument tout: les relations entre détenus, celles entre surveillants et détenus; l'accès aux soins, au travail, à la formation et même aux douches ou aux promenades est empêché. Faute de temps, faute de médecins,
de surveillants, de professeurs", estime Dominique Simonnot.


Aussi l'ancienne journaliste, qui a succédé à Adeline Hazan en octobre 2020, réaffirme-t-elle la nécessité de "développer" les peines alternatives à la prison, "contraignantes, encadrées et surtout tournées vers la réinsertion ".

Vers une régulation carcérale ?

Comme depuis de nombreuses années, la CGLPL préconise aussi " l'inscription dans la loi de la régulation carcérale", chaque entrée en cellule devant être " compensée par la sortie (sous contrôle) d'un autre le plus proche de sa fin de peine".


Au cours de l'année 2021, ses services ont visité 29 établissements pénitentiaires. Deux de ces visites, celles du centre de détention de Bédenac (Charente-Maritime) et du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses (Haute- Garonne), ont donné lieu " au constat d'atteintes graves aux droits fondamentaux des détenus " et à la publication de recommandations en urgence.


La CGLPL est chargée de défendre les droits fondamentaux dans les prisons, mais aussi les hôpitaux psychiatriques, les centres de rétention administrative, les centres éducatifs fermés et les locaux de garde à vue.


Dans ce rapport figurent également le contexte d'enfermement des enfants et adolescents comme celui des personnes en hôpitaux psychiatriques.

Concernant les hôpitaux psychiatriques, la contrôleure déplore que l'obligation de prévenir le juge des libertés et de la détention de toute mesure d'isolement et de contention afin qu'il en contrôle le bien-fondé, "continue d'y être contestée" au sein du corps médical, en raison du " surplus de formalités qu'il génère".
"Certes, mais (...) il est salutaire que les soins sans consentement (...) ne  restent pas uniquement un choix du corps médical et soient soumis à l'examen des  juges impartiaux", observe Dominique Simonnot, tout en reconnaissant la "crise  des moyens" et "l'épuisement des professionnels" de ce secteur.


Les " enfants et adolescents enfermés" sont un " autre sujet de sévère préoccupation" du CGLPL, qui pointe notamment une absence de " vision d'ensemble de leur parcours global" et une insuffisance des heures d'enseignement qui leur sont délivrées. 

Des recommandations non suivies

Comme l'année précédente, le rapport regrette aussi le manque de prise en compte par le gouvernement des recommandations des années passées. Il estime que les recommandations devraient faire "l'objet de plans d'action décidés  et contrôlés par les ministres". De la même façon, le gouvernement devrait "mettre en oeuvre toute mesure utile afin que les bonnes pratiques mentionnées dans les rapports de visite soient connues et imitées par les établissements comparables".

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