A Libourne, ce jeudi, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux assigne l'association "Alerte aux Toxiques" pour "dénigrement". Il fait référence à une publication de celle-ci remettant en cause le label Haute Qualité Environnementale sur certains crus.
C'est un nouvel épisode du bras de fer qui oppose, depuis des mois voire maintenant quelques années, l'association Alerte aux Toxiques et le monde du vin de Bordeaux. Cette fois-ci, l'interprofession a décidé de porter plainte contre l'association.
Une démarche juridique, au tribunal de grande instance de Libourne, qui a pris de l'ampleur médiatique. D'autres acteurs du monde du vin à Bordeaux, une trentaine de plaignants, s'est associée au CIVB avec en face, le monde des anti-pesticides, derrière Valérie Murat.
L'affaire devait être examinée par le tribunal de Libourne le 29 octobre et a dû être reportée ce jeudi 17 décembre.
Devant le tribunal de Libourne, une cinquantaine de personnes étaient venues à l'appel de la Confédération paysanne, exprimer leur soutien à l'association alors que les deux parties pénétraient dans l'enceinte du palais de justice.
L institution luxueuse du CIVB et ses 26 non moins luxueux plaignants réclament 100 000€ à une ASSO Loi 1901 qui ne vit que de ses cotisations et de ses dons sans AUCUNE subvention.https://t.co/xFzyZi7I0L
— Valérie Murat (@MuratValerie) December 17, 2020
Sur quoi porte l'affaire ?
Le 15 septembre dernier, l'association "Alerte aux toxiques" a publié des résultats d'analyse de 22 vins certifiés "Haute Valeur Environnementale".
D'après l'association et le laboratoire auquel elle a fait appel, ces 22 bouteilles estampillése HVE contenaients toutes des résidus de pesticides toxiques pour l'humain ou l'environnement.
Une publication que le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux dénonce comme étant un "dénigrement collectif" contre la filière.
Le CIVB a donc porté plainte contre l'association et sa porte-parole,Valérie Murat, réclamant notamment la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice.
→ Regardez le reportage de Jean-Pierre Stahl et Philippe Turpaud.
Un procès-bâillon?
Pour Valérie Murat, cette assignation au tribunal c'est une façon de "bâillonner" l'association, et en général toute voix discordante dans le monde du vin, qui ne dispose que de fonds propres ou de dons de sympathisants.
"Montrer que dans le HVE, il y a l'utilisation de pesticides les plus dangereux sur le marché (cancérigènes, perturbateurs endocriniens)(...) et contrairement à ce que voudrait faire croire ce label, ce sont des pesticides parmi les plus dangereux".
Pour Dominique Techer, de la Confédération paysanne : "C'est un procès-bâillon. On cherche à faire taire toute expression différente. Au-delà de Valérie Murat, pourquoi pas nous, confédération paysanne, syndicat? On va pas nous dire : "Vous faites du dénigrement.. "Qu'est-ce que ça veut dire?"
Diffamation ou dénigrement ?
La défense des vignerons (onze châteaux et dix organismes de gestion), entend rester sur cette ligne. Il y a bien dénigrement car il s'agit de critiquer des produits et non des personnes.
Pour Jean-Daniel Bretzner, avocat pour quatre châteaux : "si vous dites de quelqu'un qu'il commercialise un produit qui est susceptible de favoriser la mort... Oui, le préjudice est considérable et il est double : il est morale et il est financier potentiellement".
Me Bienvenue, avocat de la Fédération des vins de Bordeaux, rappelle que le laboratoire s'est désolidarisé de la démarche dans un communiqué, suite à la publication des résultats précisant que les doses retrouvées restaient infinitésimales.
D'après Bernard Farges, président du CIVB : "Quand on est entre 60 et 5 000 fois en-dessous les limites autorisées par la règlementation française, on est 60 à 5 000 fois en-dessous de la règle. Alors, dire que ces vins sont dangereux, c'est du dénigrement".
De son côté, la défense de l'association, Me Eric Morain, a d'abord demandé l'annulation de l'assignation, avant de plaider sur le fond, après les avocats de la filière.
Pour étayer sa demande d'annulation, Eric Morain réclame une nullité car il aurait fallu que le CIVB, selon lui, attaque pour "diffamation" et non "dénigrement". Il fait valoir la liberté d'expression (loi 1881) et précise que si la diffamation avait été retenue, il aurait été possible de débattre sur le sujet...
Sur le fond, justement, Eric Morain a plaidé pour plus de transparence : "depuis l'affaire de la vache folle, [les consommateurs] lisent les étiquettes, mais ce que vous ne lirez jamais, c'est la composition des vins sur l'étiquette, et c'est volontaire. Pourtant, c'est un sujet d'intérêt général, la préservation de la biodiversité de notre planète et de notre santé."
En interview à la sortie de l'audience, Me Eric Morain ajoute : "Depuis des dizaines d'années, les taux de pesticides et les taux d'intrants dans le vin ne cessent de diminuer. C'est bien qu'il y a une raison. Cette raison est liée à la santé humaine et à la préservation de la biodiversité. C'est simplement ce qu'a dit Valérie Murat".
Le jugement a été mis en délibéré au 25 février 2021.