Les étudiants et professionnels infirmiers étaient mobilisés le 12 mai 2023, journée internationale des infirmières. Faible rémunération, manque de personnel encadrant et conditions de travail difficile, bien souvent la réalité du métier est bien différente des attentes. Le nombre d'abandons en pleine formation augmente d'année en année et les réponses du Gouvernement ne satisfont pas.
"Si, il y a trois ans, quand j'ai intégré une formation infirmier, j'avais su ce qu'il m'attendait, je ne pense pas que j'aurais fait ce choix." En ce 12 mai, journée internationale des infirmiers et infirmières 2023, Soël Jaegle est amer. Étudiant en dernière année à l'Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) de Bordeaux et représentant étudiant, il alerte sur les conditions des étudiants. Le métier manque profondément de personnel, mais si la formation séduit toujours, ils sont nombreux à arrêter en cours de route. En cause, la pénibilité du métier et le manque de reconnaissance. À l'heure où le ministre de la Santé François Braun annonce vouloir refonder le métier et la formation infirmière, étudiants et professionnels infirmiers sont mobilisés pour tirer la sonnette d'alarme.
De plus en plus à jeter l'éponge
En dix ans, les étudiants en soins infirmiers qui abandonnent dès la première année ont plus que triplé. De 2011 à 2021, ils sont passés de 3 % à 10 % à jeter l'éponge dès leur entrée à l'Ifsi, selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). En tout, sur les trois ans de formation pour obtenir le diplôme d'État, 14 % ont arrêté concernant la promotion rentrée en 2018. "Il y a les étudiants qui arrêtent parce qu'ils sont dégoutés du métier, ceux qui ne peuvent plus payer leur logement ou leur formation quand elle n'est pas financée et puis ceux qui vont au bout en sachant qu'ils ne vont pas exercer derrière", énumère Soël Jaegle.
En cause, selon l'étudiant de l'Ifsi, les difficultés en stage notamment. À commencer par la rémunération : 36 euros par semaine de 35 heures en première année, 46 euros en deuxième année et 60 euros en troisième année. "Certains prennent des prêts pour payer les 7 000 euros de formation en continu parce que l'employeur ou pôle emploi ne financent pas. Mais payé à ce tarif-là, c'est compliqué", témoigne Soël Jaegle. Selon les chiffres de la Drees, 9 082 des 94 895 places en Ifsi n'avaient aucun financement en 2021.
"En plus de cela, les conditions d'accueil en stage sont très difficiles, continue l'étudiant en troisième année. Parfois, on n'est plus là pour apprendre, mais pour combler les trous du planning." Le manque de personnel se fait ressentir dans la profession, notamment depuis la pandémie de Covid-19 où beaucoup ont quitté la profession. "On l'observe à l'Ordre, beaucoup de personnel se font radier parce qu'ils se sont reconvertis", constate Bruno Delhomme, le président du Conseil régional de l'Ordre des infirmiers de Nouvelle-Aquitaine.
Les stages, symbole des difficultés des étudiants-infirmiers
Dans ces conditions, difficile de bien se former. Le personnel, voyant sa charge de travail augmenter, est plus occupé à prendre soin tant bien que mal des patients que d'accompagner les stagiaires. Selon Bruno Delhomme, "de moins en moins de services acceptent les stagiaires". "Ceux qui prenaient jusqu'à deux stagiaires simultanément, en prennent jusqu'à 6 ou 7 parfois", pointe le président du conseil régional de l'Ordre des infirmiers, tout en précisant que "ce n'est pas partout".
En fin de troisième année, avant d'entrer dans la vie active, il n'y a aucun étudiant, qui sait réaliser tous les actes techniques.
Soël Jaegle, étudiant infirmier de troisième année à Bordeaux
"Les équipes peuvent être vraiment maltraitantes parfois, assure Soël Jaegle. Cela dépend vraiment des personnes, mais cela fait ch… certains et ils nous le font savoir." L'étudiant relève même des comportements problématiques comme "l'interdiction pour les stagiaires de manger avec le reste de l'équipe". Mais le peu de stages par rapport au nombre d'étudiants laisse peu de choix. Quitte à, parfois, mettre son projet professionnel entre parenthèses. Soël souhaite devenir infirmier en urgences ou en ambulatoire, il n'a pas pu obtenir autre chose qu'un stage en psychiatrie pour sa dernière année.
Augmenter les places de formation, une fausse bonne idée ?
Face à cette situation et la volonté gouvernementale de former plus de personnel infirmier pour combler le manque de soignants, les Ifsi peinent à suivre. Le 26 avril dernier, lors de l'annonce de sa feuille de route pour les "cent jours d'apaisement", la Première ministre Elisabeth Borne annonçait la création de 2 000 places supplémentaires en Ifsi. Une mesure qui ne règlera rien, d'après Bruno Delhomme.
"Le nombre d’étudiants par formateurs ne cesse d’augmenter, ce qui engendre une détérioration des conditions d’accompagnement et d’encadrement. La charge de travail ne permet pas aux formateurs et professionnels de santé d’accompagner correctement les étudiants. Augmenter le nombre de places disponibles en formation ne sera jamais la réponse aux abandons de formation", alertait la Fnesi, le syndicat étudiant infirmier, dans une lettre ouverte au président de la République, Emmanuel Macron, en vue du 12 mai 2023.
Tant que les conditions de travail ne s'amélioreront pas, on ne réglera rien. Mais pour cela, il faut du budget.
Bruno Delhomme, président du Conseil régional de l'Ordre des infirmiers de Nouvelle-Aquitaine
Dans les Ifsi, les places ont déjà augmenté. À Bordeaux, Soël Jaegle, constate les mêmes problèmes créés par cette augmentation d'étudiants. Au-delà des enseignants, même les locaux n'arrivent pas à suivre et certains ont cours dans des préfabriqués. Des conditions difficiles pour apprendre. "Certains arrivent en troisième année sans savoir faire une prise de sang, révèle l'étudiant. Il n'y a aucun étudiant en fin de troisième année, qui sait réaliser tous les actes techniques. Donc, on apprend sur le tas et on fait ce qu'on peut."
Le gouvernement ne convainc pas
Un problème que le ministre de la Santé, François Braun, dit prendre très au sérieux. À l'occasion de la journée internationale des infirmières, celui-ci a annoncé vouloir "refonder la formation et le métier" dès 2024. Pour cela, il compte sur une consultation d'une trentaine de professionnels à partir du 11 mai dernier. Des annonces qui ne rassurent pas vraiment le président du Conseil régional de l'Ordre des infirmiers de Nouvelle-Aquitaine, Bruno Delhomme : "On est très inquiets, le système de santé part vraiment en vrille !"
Selon lui, le problème est clairement identifié depuis déjà quelque temps : le budget. "C'est un métier très difficile où il n'y a pas assez de reconnaissance par le salaire, enchaîne-t-il. Et au-delà de cela, c'est le budget des établissements qui ne permet pas de bonnes conditions de travail. Parfois, bien avant la fin de l'année, le budget de l'hôpital est épuisé et il faut faire avec."
Dans ces conditions, si certains n'abandonnent pas le métier, ils partent à l'étranger. La Suisse ou la Belgique offrent désormais de bien meilleures conditions de travail ou salariales que la France. S'il ne compte pas se reconvertir pour le moment, Soël Jaegle réfléchit à mettre le cap à l'étranger pour exercer son futur métier de la meilleure des manières. "Il y a un vrai épuisement professionnel dans tout le milieu de la santé et je crois que les autorités gouvernementales n'ont pas conscience à quel point", conclut Bruno Delhomme. Pour tenter de se faire entendre, selon la Fnesi, ils étaient environ 10 000 mobilisés le 12 mai.