Le monde de la restauration, qui peine à recruter, se tourne désormais vers les candidats étrangers. D'un côté, la fédération des métiers du secteur vient d'annoncer la signature d'un accord cadre avec la Tunisie pour faire venir des travailleurs saisonniers. De l'autre, certains employeurs tentent, avec difficultés, de régulariser des candidats volontaires, mais ne disposant pas de titre de séjour.
Le discours ne change pas depuis des mois. Le secteur de la restauration manque de main d'œuvre saisonnière. En ce début juillet, et alors que la saison touristique est sur les rails, certains restaurateurs sont encore contraints de travailler avec des horaires réduits, faute d'avoir réussi à recruter suffisamment de serveurs, commis ou cuisiniers.
Les raisons sont connues : désintérêt pour le secteur de restauration, réticence face aux horaires découpés et aux week-ends travaillés, ou encore loyers trop onéreux dans les secteurs touristiques, ne permettant pas aux travailleurs de se loger. Des arguments peu convaincants pour certains employeurs du secteur.
"On a revalorisé les salaires de façon indécente"
"Certes il y a des années, il y a eu des mauvaises pratiques dans le secteurs, et on a pas assez écouté les salariés. Mais aujourd'hui, on a revalorisé les salaires de façon indécente, rétorque Franck Chaumes, président de L'UMIH, (Union des métiers et industries de la restauration) en Gironde. Le smic hôtelier est déjà très haut (1 468,31 euros net pour 39 heures, quand le Smic classique s'élève à 1 304,64 net pour 35 heures, ndlr). Personne, à part dans les chaînes de restauration, ne travaille au Smic hôtelier, ils sont tous payés plus", assure-t-il.
Un plongeur chez nous est payé 1 700 euros net, une personne en salle est rémunérée 2 000 euros net... Il faut arrêter : on est la profession qui paie le plus par rapport aux études ! Il y a bien des brebis galeuses, mais elles sont minimes !
Franck Chaumes, président de l'UMIH GirondeFrance 3 Aquitaine
Recruter des saisonniers tunisiens
Pour autant, faute de candidats locaux, le secteur a donc décidé de se tourner vers l'étranger. Ainsi, l'UMIH a annoncé le 29 juin avoir signé un accord cadre avec la Tunisie pour former et embaucher ses ressortissants désireux de travailler en France.
"Cet accord a été signé avec l'Etat tunisien pour nous envoyer du personnel, qui disposera de permis pour travailler pendant une période définie, et qui sera ou non, renouvelé, explique Franck Chaumes. Cela ne sera pas opérationnel pour cet été, mais ça pourra démarrer pour les saisonniers de l'hiver prochain, puis pour l'été 2023. Il y a une masse de personnes là bas qui a une forte envie de venir travailler chez nous. C'est un peu dommage car on a quand même du monde chez nous mais bon...".
Des travailleurs étrangers déjà sur le territoire français
Au-delà de ces travailleurs saisonniers invités à venir travailler en France, se pose la question de ceux qui sont déjà sur place. Depuis dix-sept ans, Karine Bellecoste et son époux tiennent le restaurant italien Mona Lisa à Bayonne. Elle aussi raconte les difficultés de recrutement "depuis plus de cinq ans", et décrit des salariés qui disparaissent du jour au lendemain, et ne reviennent "même pas pour récupérer leur paye". "Il me manque toujours deux serveurs, et je ne les trouve pas", déplore-t-elle.
Alors quand le couple a été contacté par une association pour donner sa chance à un Ivoirien de 19 ans, il a sauté le pas. "Brahima était dans une situation difficile, sans famille, et ce sont ses tuteurs qui nous ont contactés pour nous demander s'il pouvait travailler pendant l'été, explique Karine, qui se souvient de l'entretien d'embauche : "Il ne savait rien faire mais il avait un magnifique sourire et il était super motivé. On l'a pris quand même, en tant qu'aide de cuisine. En une semaine, il a appris à faire tous les desserts, il sait travailler, il soulage mes gars en cuisine. C'est une belle rencontre!"
Régularisation difficile
Si Brahima était en règle au moment de son embauche, ce n'est pas le cas de tous les travailleurs. A Bordeaux, Franck Chaumes raconte le cas d'un de ses employés, algérien, "très très compétent", qui avait présenté de faux papiers lors du recrutement. "J'ai été obligé de m'en séparer quand nous nous en sommes aperçus", regrette-t-il.
Les démarches pour les demandes de régularisation prennent trop de temps. Lorsqu'on a besoin de quelqu'un, on en a besoin immédiatement, on ne peut pas se permettre de prendre le risque d'attendre.
Franck Chaumes, UMIH 33
A Bayonne, Karine Bellecoste avait également tenté de mener des démarches de régularisation pour un candidat étranger. "J'avais recruté en CDI un Marocain il y a quatre ans. Un gars très bien. Il y a un mois, j'ai aussi embauché son meilleur ami, également marocain, très bien aussi". La restauratrice souhaite alors embaucher en CDD le frère de l'un d'entre eux, en tant que serveur. Un poste payé 1 300 euros, pour 169 heures travaillées par mois.
Mais elle se heurte aux difficultés administratives. "J'ai fait toutes les demandes en février auprès de la préfecture en espérant avoir quelqu'un en avril. Ca prend énormément de temps, avec plein de papiers à remplir et des formulaires sur Internet. C'est très compliqué". La demande échoue, et la restauratrice, qui n'a pas eu le temps de renouveler ces démarches chronophages en pleine saison, a du reporter son projet d'embauche.
De plus en plus de demandes d'employeurs
La fédération Etorkinekin, qui recense les associations d'aide aux migrants assure être régulièrement contactée par des employeurs, de tous les secteurs, en recherche de personnel ou d'élèves en apprentissage. "C'est vraiment quelque chose de très nouveau pour nous, que d'être contactés dans ce cadre", s'étonne Gabrielle Gramont, membre d'Etorkinekin.
"Certaines entreprises arrêtent tout quand elles comprennent que les personnes dont nous nous occupons , sont sans-papiers. D'autres essaient de lancer des démarches de régularisation, mais c'est vrai que c'est assez difficile", reconnaît-elle.
Le casse-tête de la régularisation par le travail
La militante pointe du doigt des incohérences dans la législation concernant la régulation par le travail. Depuis la circulaire Valls, peuvent être régularisés des employés qui présentent un contrat de travail ou une promesse d'embauche, et qui vivent en France depuis plus de cinq ans. Ceux qui résident dans le pays depuis trois ans, doivent justifier avoir travaillé a minima 24 mois, dont 8 dans l'année précédent la demande de régularisation.
"C'est une véritable hypocrisie. Les patrons déclarent des gens qui n'ont pas de papiers, qui cotisent pour rien, et ne sont pas couverts en cas d'accident du travail", s'insurge Gabrielle Gramont. D'autant plus que les travailleurs en situation irrégulière sont particulièrement vulnérables, et potentiellement exposés à de nombreux abus et au non respect du code du travail.
De son côté, l'employeur qui déclare un travailleur sous une fausse identité, encourt des sanctions pouvant aller jusqu'à la prison. "Certains le font car ils ont besoin de personnel, ou parce qu'ils ont envie de soutenir leurs employés. Mais cela les place en situation d'illégalité", déplore Gabrielle Gramont.
Un blocage "incompréhensible"
Parce que la situation devient intenable, Gabrielle Gramont a lancé une groupe de réflexion autour de la régularisation par le travail, afin de sensibiliser à la question. "On travaille avec des syndicats de salariés et d'employeurs pour que la préfecture se saisisse du problème et qu'il y ait enfin des avancées.
Nous, on voudrait que, dès qu'il y a une promesse d'embauche ou un contrat de travail, une carte donnant autorisation de travailler soit automatiquement délivrée. Cela éviterait à l'employeur de devoir faire toutes ces démarches individuellement".
D'un côté, il y a des personnes condamnées à la clandestinité, à vivre dans la misère. De l'autre il y a un véritable besoin qui est exprimé par les employeurs, qui sont prêts à embaucher. C'est quand même assez difficile de comprendre ce blocage.
Gabrielle Gramont, EtorkinekinSource : France 3 Aquitaine
Selon Etorkinekin, quelques 300 entreprises du Pays basque sont actuellement en recherche de mains d'œuvre, tous secteurs confondus. Environ 13 000 postes sont à pourvoir, dont plus de 3 000 dans les métiers de la restauration.