Cinq pneumologues de Gironde ont adressé une lettre à l'Agence Régionale de Santé pour alerter sur les effets du manque de médecins spécialistes dans le département.
"Depuis dix ans, faute de jeunes praticiens, les cabinets de pneumologie de Gironde ferment les uns après les autres"... C'est ainsi que débute la lettre ouverte adressée à Benoît Elleboode, le directeur de l’Agence Régionale de Santé de Nouvelle Aquitaine.
Les cinq spécialistes qui signent cette lettre sont des membres de l’Association des Pneumologues Privés du Sud-Ouest (APPSO) mais aussi trois chefs de service des services hospitaliers de pneumologie de Gironde. Tous veulent émettre un message d'alerte sur "la situation actuelle de la pneumologie dans ce département".
Le Dr Emmanuel Monge est à l'origine du courrier. Il décrit la Gironde comme un territoire déserté par ces spécialistes. "Les pneumologues restants se concentrent sur Bordeaux, à souvent plus d’une heure de route de leurs patients. Leurs délais de consultation explosent et il faut compter aujourd’hui 6 à 8 mois d’attente pour une première consultation".
Le spécialiste, installé à Lormont en banlieue de Bordeaux, alerte sur les conséquences de ces délais, tout en insistant sur le fait que "les urgences sont toujours prises en charge". Le manque de pneumologues fait qu'on serait moins en capacité d'effectuer des "diagnostics précoces", déplore-t-il. Les patients ayant aujourd’hui une maladie qui n'est pas considérée comme sévère, risquent de la voir s'aggraver.
Ils risquent de finir aux urgences parce qu'ils n'ont pas eu accès à un spécialiste.
Dr Emmanuel Monge
Pénurie de pneumologues ?
"En Gironde, le nombre de pneumologues diminue depuis une dizaine d'années et ce n'est pas près de s'arranger". Cette pénurie est due, selon le Dr Monge, à trois causes essentielles.
Tout d'abord le manque de médecins lié au numerus clausus (nombre limité) de médecins formés. En cela, il estime que l'Agence Régionale de Santé n'a pas la main sur le numerus clausus, mais c'est elle qui dispose néanmoins du levier permettant de déterminer le nombre d'internes par spécialité. "Notre spécialité n'est pas isolée. On retrouve le même problème chez les dermatos, les neurologues, les psychiatres !", précise le Dr Monge.
La solution, elle est connue depuis 20 ans et elle n'a pas été appliquée c'est l'augmentation du numerus clausus, on en est tous conscients : l'augmentation du nombre de médecins !
Dr Emmanuel MongePneumologue
Le spécialiste avance une deuxième cause de cette pénurie : le changement des mentalités. Les jeunes pneumologues "ne travaillent pas autant que nos aînés qui faisaient 60-70 heures par semaine et étaient corvéables à merci !"
Enfin, si la demande de prises en charge qui augmente, c'est aussi du fait du vieillissement de la population et du développement de "maladies qui n'existaient pas, il y a 30-40 ans".
Parmi ces nouvelles maladies, l'exemple le plus criant est sans doute le syndrome d'apnée du sommeil. "Une maladie qui a été découverte il y a près de 40 ans avec des traitements vraiment efficaces depuis 20 ans " Aujourd'hui, trois millions de personnes souffrent de cette maladie, requièrent un traitement et un suivi adaptés. "Aujourd'hui, même nous, on a du mal à tous les suivre "
Accès aux soins difficile
Pour les signataires de cette lettre, les chiffres sont inquiétants. "En Gironde, le nombre de pneumologues libéraux diminue. Il est passé de 39 praticiens en 2020 à 33 en 2022. Aujourd’hui, 27 pneumologues exercent dans notre département".
Un constat similaire dans les départements limitrophes, qui, eux aussi, voient diminuer leur nombre de praticiens. Comme dans les Landes où de 12 pneumologues en 2020 ils sont plus que 5 en 2022. Dans les Pyrénées-Atlantiques, de 49 en 2020 à 31 en 2022. Quant à la Dordogne et au Lot-et-Garonne, ils sont restés stables.
À l'hôpital, la situation également est compliquée. On note une diminution de leur densité en Gironde. On y dénombre 1,5 pneumologue hospitalier pour 100 000 habitants. Alors que la moyenne en France est de 2,6 pour 100 000 habitants.
L'ARS parle de "ressenti"
"Les délais de rendez-vous c'est quelque chose qui ne se mesure pas", explique Bénédicte Motte, directrice départementale de la Gironde à l'ARS. "Ce sont plus des ressentis qui s'ajoutent. Et là, on a des ressentis des pneumologues girondins".
L'ARS met-elle en doute les délais de prise en charge ainsi que la pénurie de pneumologues dénoncés par le syndicat ? "J'ai besoin d'un poste de pilotage qui peut être une ESS, une équipe spécialisée de soin, pour me dire ce patient, il a besoin d'un rendez-vous en trois jours, celui-là, il peut attendre trois mois", affirme Bénédicte Motte. "Ce constat, je ne l'ai pas de façon consolidée au niveau de la Gironde" (...). Dans ce département, on a une densité de pneumologues qui s'améliore depuis 14 ans, je me base sur des chiffres de l'Ordre national des médecins".
On est au-dessus de la densité nationale, ce sont des faits établis.
Bénédicte MotteDirectrice départementale de la Gironde à l'ARS
"J'ai une expression d'un syndicat des pneumologues du sud ouest", conclut Bénédicte Motte. "Je ne les connais pas. Ils ne sont pas identifiés par l'ARS. Parc contre, il y a une expression d'un besoin. Donc il faut construire quelque chose. C'est pour cela qu'on leur a proposé de les rencontrer pour voir où est-ce que cela coince et quels sont les besoins auxquels ils n'arrivent pas à répondre".
Pour le syndicat des pneumologues du sud ouest, cette crise ne touche pas seulement les pneumologues. Selon lui, ce sont plus globalement les médecins spécialistes qui sont devenus une denrée rare.
(1) Les pneumologues signataires : Emmanuel Monge et Laurent Nguyen en libéral, Julie Macey (cheffe de service hôpital Haut-Lévêque, Pessac), Laurent Portel (chef de service hôpital Robert-Boulin, Libourne), Jean-Michel Peloni (chef de service hôpital Bagatelle, Talence).