Depuis plusieurs jours, les températures à Bordeaux descendent au-dessous de zéro pendant la nuit. Une situation extrêmement compliquée pour les centaines de personnes sans domicile fixe qui vivent dans la métropole. Les associations demandent à la préfète d'activer le "plan Grand froid".
Les traits tirés, mais le sourire aux lèvres. Loïc a passé la nuit dehors, sous une couverture, rue Vital Carles dans le centre de Bordeaux. Et ce, alors que les températures de la nuit descendaient à -2°C. Et ce n'est pas une première, pour ce trentenaire sans-abri, qui vit dans la rue depuis des années.
"J'ai l'habitude. Je me mets sous une couverture, j'essaie de bien manger le soir, un plat chaud … C'est le mental qui permet de tenir", estime-t-il.
Combien sont-ils, comme lui, à dormir dehors dans les rues de Bordeaux dans le froid hivernal ? Le nombre de sans-abris sur la métropole est difficile à estimer. Ils seraient plus de 2 500 sur l'agglomération bordelaise selon les associations. Un chiffre conséquent, qui inclut les personnes dans des squats et les bidonvilles.
Plus de 1 500 places d'accueil sur Bordeaux
La préfecture indique de son côté disposer de 1 791 places d'hébergement en urgence sur le département de la Gironde, dont celles déployées dans le cadre du plan hivernal et celles mobilisées "en cas de circonstance exceptionnelles," notamment en cas de grand froid .
Parmi ces places, 1 564 se situent sur Bordeaux et sa métropole (Bègles, Floirac, Pessac, Bassens). Selon la préfecture, aucune saturation de ces hébergements n'a été constatée : en ce début janvier, le taux d'occupation, réactualisé chaque jour, est de 93%.
"Les dispositifs de veille sociale (accueil de jours et maraudes) ont été renforcés afin d’aller vers les publics à la rue et les accompagner dans leur démarche d’insertion", précise la préfecture. Des dispositifs qui s'inscrivent dans le cadre du plan hivernal.
Le plan grand froid réclamé
Insuffisant pour les associations, qui demandent la mise en place d'un plan grand froid. Celui-ci permettrait la mise à disposition de nouvelles places d'hébergement d'urgence, dans des gymnases, des salles communales ou des locaux d'association.
Elles assurent avoir sollicité la préfète Fabienne Buccio, par l'intermédiaire du CCAS, le Centre communal d'action sociale de Bordeaux, pour demander son activation. Et s'être vues opposer un refus.
La préfecture indique de son côté avoir été saisie par une élue de Mérignac, mais n'a pas activé le plan.
"Le plan grand froid dépend de certains critères, indique la préfecture. Il dépend notamment des conditions climatiques et de la vigilance jaune grand froid de Météo France. Celle-ci est activée lorsque les températures ressenties sont de -10°C la nuit et sont de 0°C ou moins la nuit, pendant plusieurs jours." Des conditions qui n'étaient pas réunies ces derniers jours sur la région bordelaise.
Une pétition réunit une quarantaine d'associations
Un argument insuffisant pour les acteurs de terrain. Une pétition appelant la préfète à "mettre à l'abri les personnes laissées dans la rue" a été signée par une quarantaine d'associations, dont Wanted Community, Darwin solidarité, la LDH ou encore Médecins du Monde.
"Le temps est pourri. Les gens ont déjà dû subir le vent et la pluie de la tempête Bella en décembre, maintenant ils ont droit à des températures négatives la nuit. Vous imaginez ceux qui vivent ça dans leur tente au bord du lac ?", s'indigne Rachid Belhamri, responsable de l'association La Piraterie, également signataire du texte.
Les gens ont juste besoin d'un peu de repos, de chaleur et d'hygiène. Les salles et les logements vacants existent, il faut les ouvrir.
Un dispositif actuel insuffisant
A défaut de nouvelles places d'hébergement, quid des solutions existantes ? Loïc, qui dort dans les rues de Bordeaux, se refuse à appeler le 115. " C'est compliqué avec les animaux. Et puis dans un foyer, on va me demander de rentrer à telle heure… Ce n'est pas possible", poursuit le trentenaire, qui ne quitte jamais ses deux chiens.
Pour les associations, le dispositif existant n'est pas adapté aux différents profils de celles et ceux qui se retrouvent à la rue. "Les places disponibles sont essentiellement pour les personnes seules, indique Bernie Calatayud, militante et fondatrice du collectif Bienvenue, une association qui vient en aide aux réfugiés.
Notre problématique principale concerne les familles avec enfants, elles ont très peu de places. De même, un couple qui veut rester ensemble ne le pourra pas. Le plus souvent, l'homme est pris en charge dans une structure pour les hommes, la femme ira dans une autre.
Au-delà de la situation des sans-abri exilés, nombreux sont ceux qui ne peuvent bénéficier d'un hébergement d'urgence. "Si on regarde même parmi les personnes françaises qui sont à la rue, ceux qui ont des problèmes d'addiction, ou qui sont en marge de la société, on ne les prend pas", déplore Bernie Calatayud.
La militante dit trouver "normal" que des règles soient imposées dans ces collectivités, mais déplore que "rien ne soit mis en place pour ces personnes".
"Il va falloir les loger, sinon il y aura des morts"
"Il faudrait des aires d'accueil adaptées pour chaque public, avec un accueil de jour comme de nuit. Cela permettrait à des familles avec enfants de ne pas se retrouver dans des squats surpeuplés avec des personnes toxicomanes ou sous l'emprise de l'alcool", poursuit-elle.
Et pour pallier au manque de places disponibles, elle appelle à la réquisition de logements vides. "On nous dit qu'il y en a 22 000 sur Bordeaux. On voit bien que les différents plans ne fonctionnent pas.
Pourquoi ne pas les réquisitionner pour mettre les gens à l'abri en période de grand froid ? Il va bien falloir les loger, sinon il y aura des morts"