Quatre immeubles qui s'effondrent en juin, six autres évacués le 28 août dernier. Tous dans le centre historique de Bordeaux. Ils seraient peu ou pas du tout entretenus alors qu'ils sont bâtis en pierre girondine sur un sol instable. Un sujet préoccupant admet la mairie.
Ils vont pouvoir rentrer chez eux ce mardi soir 31 août. La dizaine d'habitants du 83 Cours Victor Hugo pourront, de nouveau, accéder à leur appartement. Comme une soixantaine d'autres riverains, ils avaient dû faire leurs valises et cartons, en urgence, vendredi dernier 27 août. L'immeuble voisin, le 85, faisant l'objet d'un arrêté de péril imminent.
"Il y a des fissures apparentes sur la façade, mais ce seraient les fondations du bâtiment qui posent problème" confiait vendredi Stéphane Pfeiffer, l'adjoint chargé du logement à la mairie de Bordeaux.
L'expert est passé hier, lundi. Il a confirmé la mise en péril de l'immeuble numéro 85 et le périmètre de sécurité. Seul le 83 a été sorti du dispositif.
Depuis quelques semaines, le scénario semble se répéter. Rue Planterose, quartier Saint-Michel, une quinzaine de riverains avait été évacuée le 7 juin. Onze jours plus tard, les immeubles 24 et 26 s’effondraient.
Le 28 juin, trois personnes ont été blessées rue de la Rousselle. Les habitants n’avaient pas eu le temps de quitter les lieux avant l’effondrement des façades du 19 et 21.
Depuis le mois de juin, trente-six immeubles ont été évacués pour mise en sécurité ou par précaution.
"Ca fait beaucoup en peu de temps", reconnaît Stéphane Pfeiffer. L’adjoint à la mairie de Bordeaux chargé du service public du logement et de l'habitat l’attribue à la médiatisation des effondrements de la rue Planterose et la Rousselle qui a sensibilisé les propriétaires et syndics qui signalent davantage comme pour le cours Victor Hugo.
Au-delà de la répétition des arrêtés municipaux, c’est leur géographie qui frappe, concentrée dans le Vieux Bordeaux comme le montre cette carte.
Historiquement, Bordeaux, ville d'eau, a été construite sur les rives de deux petits cours d'eau, affluents de la Garonne, la Devèze et le Peugue qui passent aujourd'hui sous le centre-ville dans des conduits souterrains invisibles.
La Garonne borde le vieux Bordeaux et contribue aussi à rendre le sol instable explique Denis Boulanger, architecte du patrimoine.
On sait que jusqu’au XVIIIe, voire début du XIXe siècle, on avait des fossés qui se remplissaient avec la marée. Le sol bordelais a toujours été un sol très instable et lié aux marées. C’est effectivement des quartiers très instables avec des sous-sols qui ne sont pas en très bon état et qui peuvent être la cause de ces dégradations.
Un sol argileux qui pourrait aussi réagir au dérèglement climatique, à l'alternance de fortes pluies et de période de sécheresse avance Stéphane Pfeiffer. La municipalité l'a vérifié, il n'y aurait pas d'effet sur le court terme. Mais sur le moyen et long terme, la question se pose et des études vont être lancées indique l'élu.
Bordeaux est aussi victime de sa fameuse pierre couleur beige, issue des carrières girondines de Frontenac, de Brétignac ou de Sireuil. Elle fait l'unité patrimoniale du centre historique classé au patrimoine mondial de l'Unesco, mais elle la fragilise aujourd'hui estime Denis Boulanger.
Bordeaux est une ville de pierre avec, on le sait tous, des immeubles qui ont été construits avec une pierre girondine qui n’est pas forcément de très bonne qualité. Ce sont des immeubles qui souvent manquent d’entretien et qui peuvent poser des problèmes de structure.
Le cabinet Avis d'Expert Bâtiment qui intervient en Nouvelle-Aquitaine, a effectué la visite technique à l'origine de l'évacuation, le 27 juin dernier, d'un immeuble quai des Chartrons.
C'est à l'issue d'une visite technique réalisée par le cabinet AEB, Philippe JEAN, que l'expert a alerté le propriétaire de l'immeuble et les services de la ville, sur le risque imminent d'effondrement de la corniche de l'immeuble. S'en est suivi l'évacuation de 3 immeubles. https://t.co/0fcVsdpkhM
— Avis Expert Bâtiment (@avis_expertbat) June 27, 2021
Expert chez AEB, Philippe Jean confirme une augmentation des demandes d'expertise. Il pointe du doigt un manque d'entretien qui accélère l'usure naturelle :
L'effondrement rue de la Rousselle aurait pu être évité. Il n'y a pas de fatalité. Il y a un manque de surveillance et donc par voie de conséquences, d'entretien. Il faut faire de la prévention.
Denis Boulanger abonde dans ce sens. Il invite les propriétaires à bien entretenir les infiltrations d'eau. Car "quand on a des infiltrations d’eau, on a la structure qui se désagrège". Il insiste sur le point d'attention à accorder aux fissures et à leur évolution :
Quand on voit apparaître des fissures, il faut s’en inquiéter. Tous les immeubles bordelais ont des fissures. C’est la rapidité avec laquelle ces fissures évoluent qui doit être l’élément déclenchant pour dire attention, mon immeuble est en péril. Rue de la Rousselle, on voyait le voisin à travers la fissure alors que deux mois avant, on ne voyait rien.
Les propriétaires parfois réticents
Encore faut-il que les propriétaires veuillent financer l'entretien. Rue de la Rousselle, la maire a dû se substituer à eux, parce qu'ils n'avaient pas respecté le délai de 10 jours prescrit par l’expert pour engager les travaux de sécurisation.
Dans ces immeubles en moins bon état, les loyers sont moins élevés. Les locataires ont des revenus modestes et font moins valoir leurs droits pour contraindre les propriétaires, note l'élu Stéphane Pfeiffer.
L'adjoint en charge du logement ajoute que, de leur côté, "les propriétaires n'ont pas toujours les moyens, parce qu'ils ont hérité du bien, se sont trop endettés au moment de l'achat sans prévoir un budget pour l'entretien qui est pourtant de leur responsabilité. Et dans le cadre de co-propriétaires, il suffit d'un ou deux opposés aux travaux pour les bloquer.
Identifier les immeubles insalubres
Pour la municipalité, l'enjeu est d'identifier ces habitats insalubres dont la vetusté n'est pas forcément visible de l'extérieur. Elle compte beaucoup sur les signalements qu'elle encourage.
"On sait qu’on a des immeubles entiers dans Bordeaux complétement dégradés. On a besoin de tout le monde pour faire des signalements", insiste Stéphane Pfeiffer. Le service dédié à l'habitat insalubre et dégradé emploie 13 personnes. Il a été étouffé de deux experts cet été et devrait voir encore son effectif renforcé.
La ville de Bordeaux veut aller plus loin et définir un périmètre d'habitat insalubre à partir de plusieurs critères (date de construction, de rénovation, type de population) au sein duquel elle effectuerait des visites. Plusieurs centaines d'immeubles pourraient ainsi être contrôlées.
D'autres pistes sont envisagées dont le recours à des entreprises qui prennent des photos par satellites tous les ans et en comparant les clichés peuvent montrer les points qui ont bougé.
Un permis de louer dès 2022
Mais le levier le plus efficace, croit savoir Stéphane Pfeiffer, c'est le permis de louer. Une mesure expérimentale adoptée par Bordeaux Métropole qui, dans des zones définies, obligera tout propriétaire qui veut louer un bien à se déclarer à la collectivité qui pourra alors le visiter.
S'il est jugé insalubre ou indigne à la location, alors le propriétaire devra faire des travaux avant de le louer. Un "outil puissant" résume l'élu, applicable au 1er janver 2022.