40% des moins de 34 ans ne seraient pas aller voter ce dimanche 10 avril pour le premier tour de l'élection présidentielle. L'abstention est le premier parti chez les jeunes, Jean-Luc Mélenchon est en deuxième position. Explications croisées d'une doctorante bordelaise et d'un professeur à Sciences Po à Bordeaux.
Les jeunes et leur relation à la politique, Amaïa Courty en a fait son sujet de thèse. Cette étudiante parle d'ailleurs "des jeunesses" tant "les inégalités sont grandes selon leur milieu d'origine, leur trajectoire sociale ou leur niveau de diplôme". Pour elle, le phénomène de l'abstention chez les moins de 34 ans n'est pas nouveau. Mais il n'avait jamais atteint un tel score.
Plus de 40% d'entre eux ne sont pas allés voter au premier tour de l'élection présidentielle, selon notre sondage* Ipsos-Sopra Steria pour Radio France, France Télévisions, France24/RFI/MCD, Public Sénat/LCP Assemblée Nationale et Le Parisien-Aujourd’hui en France publié dimanche 10 avril. 42% des 18-24 ans et 46% des 25-34 ans se sont abstenus.
En 2017, ils étaient environ 30%, soit dix points de moins.
L'abstention est le premier parti chez les jeunes
Amaïa Courty
Plus le jeune est diplômé, plus il vote. Amaïa Courty a mesuré un écart de 30 points entre les "Bac +3" et les bacheliers.
Non que la chose politique ne les intéresse, "Ils savent situer les enjeux actuels. L'environnement est hyper important et recouvre toutes les classes sociales chez les générations les plus récentes. Mais ils ne vont pas forcément adhérer à un parti politique". Ils ont leurs propres modes d'actions : le boycott ou au contraire l'achat volontaire, loin devant le partage sur les réseaux sociaux, la manifestation ou la réunion publique.
La génération : "on ne me la fait pas"
Le vote n'en fait pas partie. Contrairement aux générations précédentes, ils ne se retrouvent pas dans le vote de devoir. Ils sont de la génération "on ne me la fait pas". Dans leur livre "Extinction de vote", Vincent Tiberj, politologue de Sciences Po Bordeaux et Tristan Haute ont, notamment, analysé cette génération, bachelière à 80%, qui a des compétences, qui est capable de se renseigner, d'avoir un avis sur la question et qui pourra sanctionner un candidat pour ne pas avoir fait ce qu'il avait promis.
"C'est une génération très engagée, très intéressée par la chose politique" confirme Pierre-André Vaquin. L'enseignant vacataire à Sciences Po Bordeaux, parle d'"une crise de la représentativité", "d'une jeunesse qui peut se mobiliser mais qui a du mal à se retrouver dans l'offre politique".
Militant de l'ONG " a voté" qui veut défendre les droits civiques et le progrès démocratique , il estime que "le vote est une pratique, un symbole qui a perdu de son importance. Aller dans l'isoloir était un moment fort. Pour ces jeunes, ce n'est plus un moment républicain. "
Amaïa Courty estime que "le vote est un pli". "Quand on ne le prend pas tôt, il y a plus de risque qu'on ne le prenne jamais. Or le vote se transmet, poursuit-elle. Si, à table, on discute politique, il y a plus de chance que les enfants en fassent"
L'abstention s'est installée et démocratiquement cela pose problème
Amaïa CourtyFrance 3 Aquitaine
Pourtant, si l'abstention est le premier parti chez les jeunes, Jean-Luc Mélenchon a recueilli le plus de suffrages parmi les jeunes votants.
En 2017, rappelle Amaïa Courty, ils avaient préféré Emmanuel Macron, le plus jeune des candidats, qui se décrivait comme n'étant ni de droite ni de gauche. Un argument qui a fait mouche chez une génération qui avait du mal à se positionner.
Mais "durant la crise de la Covid, les jeunes ont eu le sentiment d'être laissés pour compte. Et il y a eu aussi la baisse de 5 euros de l'Allocation Personnalisée au Logement" analyse la doctorante.
Les jeunes ont été déçus. Cette fois, ils ont plébiscité le candidat de la France Insoumis. Avec plus de 31% des suffrages exprimés, il arrive loin devant Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
Agé de 70 ans, Jean-Luc Mélenchon est parti tôt en campagne et a fait un travail de terrain à destination des jeunesses. Il est aussi entouré de jeunes, remarque Amaïa Courty comme Adrien Quatennens, 31 ans ou encore Mathilde Panot, 33 ans, présidente du groupe de la France Insoumise à l'assemblée.
Enfin, il a su adopter les codes de cette génération branchée que ses hologrammes et ses prestations sur le réseau TikTok, où il rassemble presque deux millions d'abonnés, ont pu séduire.
Comment vont voter les jeunes aux législatives et aux autres élections ? "On ne peut pas le prévoir " avoue Amaïa Courty. Mais la jeune étudiante de 30 ans veut garder espoir et penser que cette lente montée de l'abstention est réversible. Elle préconise la prise en compte du vote blanc.
De son côté, le professeur Pierre-André Vaquin, lui, prône pour le retour de l'enseignement de l'éducation civique remplacée aujourd'hui par "l'enseignement moral et laïc" souvent délaissé au profit de l'histoire-géographie.