"Si on ne fait rien, ça va être terrible" : les services publics menacés par l'asphyxie financière, élus et associations appellent à la mobilisation

Étranglées par des recettes en chute et des dépenses en hausse, les collectivités territoriales sont déjà contraintes à des restrictions budgétaires. Le projet de loi de finance qui a conduit à la censure du gouvernement Barnier leur demandait encore plus d'économies. Ce 14 décembre, à Bordeaux, élus, acteurs de terrain et citoyens appellent à la mobilisation.

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"On a perdu presque 130 000 euros en une journée", soupire Muriel Pecassou. La directrice de la mission locale des Hauts de Garonne à Cenon, en Gironde, désespère de voir son budget fondre à vue d'œil. Au mois de juillet dernier, le même jour, l'Etat nous a appris qu'il diminuait de 14 % les subventions prévues en début d'année, et le département de 30 %. En 2024 nous avons donc déjà subi de fortes baisses dans nos subventions de fonctionnement", alerte-t-elle.

Il ne faut pas que ça continue parce que ça va être terrible.

Muriel Pecassou,

directrice mission locale des Hauts de Garonne

Comme toutes les missions locales, celle des Hauts de Garonne est financée par l'Etat et les collectivités locales. 130 000 euros de moins sur un budget global de 3 millions, ce n'est pas énorme, et la structure qui accompagne chaque année 3 500 jeunes a réussi à en contenir l'impact : "Ça limite quand même. Les salariés n'ont pas été touchés, mais on a un peu serré leur planning. Et ça a freiné certains projets : on a dû supprimer certains ateliers d'accès à la culture ou au sport. Il ne faut pas que ça continue parce que ça va être terrible", redoute Muriel Pecassou.

Les finances publiques dans le rouge

Sur le site du conseil départemental de la Gironde, un décompte de ce que l'Etat doit au département depuis le début de l'année s'égrène et augmente d'un euro à chaque seconde. Ce 13 décembre il s'élève à presque 256 millions d'euros.

En cause, les recettes de TVA qui se révèlent beaucoup moins élevées que prévu par l’État, et un tassement des ventes immobilières entraînant une baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), soit les deux principales ressources financières des départements.

Dans le même temps, le nombre de personnes fragiles s'accentue et les dépenses obligatoires liées au financement des aides aux personnes âgées ou en situation de handicap, au RSA et à la protection de l'enfance, sont en constante augmentation.

Pour rester à l'équilibre, le département de la Gironde a donc été contraint de procéder à des arbitrages en cours d'année : baisse des subventions promises à certaines associations, abandon de deux projets de construction de collège et report de l'entretien du réseau routier.

Appel à la mobilisation

Pour dénoncer cette asphyxie financière et ses conséquences délétères sur les services publics, le président du département de la Gironde Jean-Luc Gleyze appelle, avec le soutien de la région Nouvelle-Aquitaine, de la métropole et de la ville de Bordeaux et des associations des maires de Gironde, à une mobilisation citoyenne devant l'hôtel du département. Rendez-vous est pris ce samedi 14 décembre à 10h, "afin de porter haut et fort la défense de la vie des territoires et de la solidarité locale".

"Votre enfant handicapé aura moins d’aide, votre mamie paiera plus cher sa maison de retraite, nos routes et ponts se dégraderont, votre papi aura moins d’aide à domicile, vos collégiens paieront plus cher la cantine, nos pompiers pourront moins vous secourir", les craintes exprimées sont très concrètes.

Je ne veux pas être tenu pour responsable de la destruction de l'ecosystème.

Jean-Luc Gleyze,

Président du conseil départemental de la Gironde

Une première mobilisation pour alerter sur cette situation avait déjà eu lieu en 2023. "Ça s'est c'est beaucoup aggravé depuis, constate Jean-Luc Gleyze. Certaines structures sont déjà en cessation de paiement, et si rien n'est fait, tout le monde va se retrouver en souffrance par manque de moyen" alarme-t-il.

Ce sont les plus précarisés qui vont être le plus touchés, et encore plus précarisés. Il faut vraiment un travail de proximité, sinon ça explosera à un moment.

Muriel Pecassou

directrice de la mission locale des Hauts de Garonne

La situation fragile de la mission locale dirigée par Muriel Pecassou illustre bien les craintes formulées : santé, logement, mobilité, la mission qui est confiée à cette structure associative est un accompagnement global gratuit, destiné à tous les jeunes âgés de 16 à 25 ans sortis du système scolaire et éloignés de l'emploi. Elle a pour objectif de leur permettre d'accéder à un parcours professionnel. "On a besoin de ces financements pour leur donner l'impulsion et sécuriser leur parcours. S'ils diminuent, ce sont les plus précarisés qui vont être le plus touchés, et encore plus précarisés" explique la directrice.

Épargné pour l'instant par les baisses de subvention, le directeur de l'Accordeur Frédéric Fenech s'inquiète des menaces qui pèsent sur des structures comme la sienne. Fondé en 2003 à Saint-Denis-de-Pile, l'Accordeur soutient la création et la production de musiques actuelles. L'association propose concerts, cours de musique, studio d'enregistrement, et mène chaque année une quarantaine de projets de médiation culturelle à destination des publics les plus éloignés de la culture. "Historiquement le département est le principal partenaire de notre projet. Si la subvention venait à baisser, ça mettrait à mal la pérennité de la structure, qui emploie sept salariés et offre chaque année un accès à la culture à plus de 2 000 habitants de la communauté d'agglomération du Libournais", craint le directeur.

Tous deux seront présents ce samedi, aux côtés des élus et de représentants d'autres acteurs sociaux : "on se mobilise aux côtés du département parce qu'on sait qu'ils ne sont pas responsables de ce qui arrive. C'est un acteur incontournable qui intervient au quotidien auprès des plus précaires. Si on veut répondre aux problématiques actuelles, il faut vraiment un travail de proximité, sinon ça explosera à un moment", explique Muriel Pecassou.

Des propositions pour augmenter les recettes

Initialement cette mobilisation du 14 décembre devait se dérouler alors que les parlementaires étaient réunis en commission mixte paritaire, pour trouver un accord sur le projet de loi de finance 2025 du gouvernement Barnier. Mais la motion de censure est passée par là. Il n'y a plus de gouvernement Barnier. François Bayrou est tout juste nommé à Matignon et le projet de loi de finance de l'État pour 2025 est à reconstruire. Et c'est tant mieux pour les collectivités territoriales, à qui 5 milliards d'euros d'économies étaient demandés au titre de leur "participation à l’effort collectif de redressement des comptes publics".

Au lieu de brader les services publics, il faut aller chercher l'argent là où il est.

Jean-Luc Gleyze

Président du conseil départemental de la Gironde

"Tout le travail pour faire valoir la cause des départements et garantir l'écosystème qui est autour de nous reste à mener", note Jean-Luc Gleyze.
Le président du département se prépare donc à soumettre à nouveau des propositions qui permettraient d'augmenter les recettes des départements. La première, une augmentation de la CSG de 0,10 point, sans impacter les salariés mais en piochant dans la caisse dédiée au remboursement de la dette de la sécurité sociale, permettrait de récupérer 2 milliards d'euros. "Le précédent gouvernement l'a déjà fait, mais les 2,6 milliards récupérés n'ont pas été fléchés vers les départements", déplore-t-il.

Reconnaissant qu'un allongement des délais de remboursement de la dette de la sécurité sociale ne va pas dans le sens d'un assainissement des finances publiques, il propose : "allons chercher l'argent où il se trouve, chez les grandes fortunes de ce pays. Aujourd'hui, quand un grand groupe comme LVMH rachète un domaine viticole, il rachète des parts sociales, qui sont exonérées de frais de notaires. Instaurons des droits de mutation sur ces transactions !".

En attendant, le département de la Gironde a reporté, comme l'y autorise la loi, le vote de budget 2025 au 31 mars 2025, mais prévoit déjà de réduire son budget d'investissement, de 298  à 190 millions d'euros. "C'est 108 millions qu'on n'injectera pas dans l'économie girondine", déplore Jean-Luc Gleyze, qui redoute désormais les conséquences désastreuses sur les entreprises du département. 

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