À Bordeaux, près de 900 personnes vivent sans toit. Pourtant, loin des clichés, plus de la moitié d’entre elles travaillent.
Ils travaillent et pourtant dorment dehors. C’est le résultat de l’étude réalisée à l’issue de la première nuit de la Solidarité bordelaise : 896 personnes sont aujourd’hui sans abri à Bordeaux. "C'est une première, une avancée puisqu'on n'avait jamais eu de comptage auparavant" et on se rend compte que Bordeaux est une ville particulièrement touchée par le sans-abrisme", constate Harmonie Lecerf, adjointe au maire de Bordeaux en charge de la solidarité.
Cette l'étude, réalisée par l'INSEE, les chercheurs Emmanuel Langlois et Yamina Meziani ainsi que des services de la ville de Bordeaux se veut "une photographie" de la situation dans la métropole. "Ces éléments, analysés par les étudiants du master "Chargé d'études sociologiques" de l'université, vont permettre d'identifier des problématiques dans l'aide publique locale", explique Emmanuel Langlois, chercheur au Centre Emile Durkheim, en science politique et sociologie comparatives.
Des sans-abris en emploi
Dans les résultats de cette étude, une réalité s’affiche : les personnes sans abri sont loin de vivre de la mendicité. Cette méthode ne représente que 14 % de leurs revenus. En revanche, ils sont 29 % à exercer un emploi déclaré. Des emplois précaires auxquels s’ajoute une part de travail non-déclaré (19 %).
Dans les bidonvilles, les gens interrogés sont d'origine rom, bulgare ou géorgienne. Ils travaillent dans des emplois précaires comme les vendanges ou livreur à vélo. Ce sont des familles populaires, ceux qu'autrefois, on appelait "les pauvres".
Emmanuel Langlois, chercheur au Centre Emile Durkheim, en science politique et sociologie comparatives
Les prestations sociales, enfin, représentent 18 % des revenus de ces personnes. Une situation qui s’explique également par une grande part d’étrangers, d’origine européenne en majorité. Ils représentent 46 % des personnes interrogées.
Une santé hypothéquée
Si les trois-quarts des personnes interrogées déclarent être en bonne santé, plus de la moitié n’ont pas de couverture maladie. "On a un tranche d'âge qui est relativement jeune et lorsqu'on est en situation de migration, il faut être en bonne santé pour être en capacité de migrer", pointe Emmanuel Langlois.
Une situation qui prédomine dans les rues de Bordeaux, tandis que le taux baisse à 37 % dans les squats où la présence d’enfants conduit à des consultations plus fréquentes.
Si le suivi de leur santé semble sous contrôle, c’est dans les situations d’urgence que le bât blesse. Ils sont à peine la moitié à avoir un jour composé le 115. Le numéro d’urgence semble rarement utilisé par ces personnes, du fait principalement d'une barrière de la langue. "Les femmes ont plus recours au 115 et reçoivent plus souvent des aides pour des logements d'urgence. Ces chiffres disent que les femmes cherchent plus à se mettre à l'abri et sont plus mises à l'abri que les hommes", explique Emmanuel Langlois.
Certains confient cependant avoir déjà appelé le 115. Mais face à une absence de réponse ou à des réponses négatives, ils auraient fini par ne plus avoir recours à ce numéro.
Enfin, dernière étape du processus de prise en charge d’urgence, deux tiers des personnes sans abri n’ont jamais été pris en charge dans un hébergement d’urgence, principale réponse de l’Etat à leur situation. "On voit bien que les deux réponses institutionnelles pour lesquelles on fait le plus de financements, les hébergements d'urgence et le 115, sont aussi peu sollicités par les principaux concernés", s'étonne Emmanuel Langlois.
Ensemble loin des autres
Cet isolement n’est cependant pas total. Au contraire, la quasi-totalité des femmes et 62 % des hommes dorment à plusieurs. Des choix qui leur permet de recréer un réseau amical, mais qui les éloignent des dispositifs d’accueil, plus ciblés sur des personnes isolées. "On traite le sans-abrisme de façon individuelle alors qu'il y a plein de situations où on n'a pas d'individus isolés. Ce sont des groupes, des familles, des couples, des bandes d'amis pris dans des liens de solidarité. Le problème, c'est que l'offre institutionnelle aujourd'hui, est aveugle à tout ça", regrette Emmanuel Langlois.
En effet, dans la métropole, le sans-abrisme n’est pas lié à des phénomènes de passage. 40 % des personnes vivent dans la métropole bordelaise entre un et cinq ans. Un tiers d’entre eux sont présents depuis au moins cinq ans.
Une sédentarité qui détonne avec la difficulté de retrouver un logement après un passage dans la rue ou en squat.
Multiplier les solutions
Première édition nationale dans 26 villes, la Nuit de la Solidarité est un premier pas vers une meilleure prise en charge du sans-abrisme. "Nous ne sommes pas allés dans les chantiers, les parkings, ces méthodes méritent d'être améliorées", reconnaît Harmonie Lecerf, adjointe au maire, en charge de la solidarité.
Pourtant, la mairie envisage déjà des pistes pour apporter une meilleure réponse aux besoins des personnes sans abri.
Si le 115 répond aussi peu favorablement, c'est que les places sont encore insuffisantes. Mais il faut en parallèle mettre en place des accompagnements plus complets, avec notamment la prise en considération des troubles de la santé et mentaux.
Harmonie Lecerf, adjointe au maire en charge de la solidarité
La mairie travaille déjà sur de nouvelles directives, avec le CCAS ( Centre Communal d'Action Sociale ) en proposant notamment des mises à l'abri dans le patrimoine de la commune, qui inclurait une plus grande indépendance et autonomie des personnes prises en charge. Une travail autour de la résorption des bidonvilles et sur l'accompagnement des jeunes est également envisagé. Autant de pistes, qui seront confortées, dès l'année prochaine, avec une deuxième Nuit de la solidarité.