Depuis le passage du cyclone Chido le 14 décembre 2024, l'île de Mayotte est dévastée. Le bilan provisoire fait état de 172 morts et plus de 6 500 blessés. Eau, soins, abri, électricité, communication, les habitants manquent de tout. Des pompiers aquitains sont sur place depuis le début des secours métropolitains. Deux d'entre eux, de retour en Gironde, témoignent de leur mission sur place.
Quand il pose un pied à Mayotte, Etienne Barthélémy ne reconnaît plus cette île, où il a pourtant déjà séjourné. Ce capitaine des pompiers, arrivé de Gironde, se souvenait d'un paysage qui était très très beau, avant. Tout vert par sa végétation". Quand il arrive, le 18 décembre, la couleur prédominante est le "marron, tout est arraché, tout est par terre. Il n'y avait plus du tout de végétation, plus de feuilles".
Ensuite, en avançant dans l'île, le pompier fait face aux décombres, "des bâtiments en dur qui n'ont plus de toit, les bidonvilles, les "bangas" qui ont presque disparu... C'est ce qui est le plus impressionnant".
À 43 ans, le capitaine Etienne Barthélémy a déjà participé personnellement à des missions humanitaires notamment au Népal. Son profil était recherché puisqu'il connaissait un peu l'île pour y avoir séjourné près d'un mois. "On était trois dans ce cas-là. Ça nous a facilité pas mal de choses".
Le Capitaine Etienne Barthélémy est chef de centre à Carcans dans le Médoc, en Gironde. Il s'était porté volontaire au lendemain du passage du cyclone sur Mayotte. Parti le 17 décembre pour l'île de l'océan indien, il a participé, jusqu'au 31 décembre, à une mission d'appui de la Sécurité civile. Objectif : "coordonner l'ensemble des secours sur le territoire mahorais", tant les pompiers que les associations agréées.
Faciliter les secours
Le capitaine fait partie d'une équipe d'une dizaine de personnes à la sécurité civile dont des pompiers mahorais et des collègues envoyés depuis l'Hexagone début décembre. Tous sont "des militaires qui interviennent sur ces missions de sécurité civiles" , entraînés pour intervenir après des catastrophes naturelles.
Il s'agissait de "mettre en place la chaîne de commandement pour l'organisation de toutes les missions de sécurité civile qui comprenait la partie logistique et la partie opérationnelle". Tout était à faire. À commencer par une cartographie de l'île de Mayotte et "identifier les moyens qu'on allait devoir mettre en place face à la situation".
Eau et matériel
Organiser le fret sur l'île dévastée n'est pas une mince affaire, notamment à cause de son éloignement de l'Hexagone. "On était obligés de faire les transits par La Réunion. Pour que ça arrive le plus rapidement possible, tous les transports se faisaient par avion, soit par A 400M, soit en Dash".
L'ouverture des routes avait déjà été prise en charge par les équipes de la sécurité civile prépositionnées (une centaine de personnes) avant le cyclone. "L'enjeu était de libérer les voies de communication pour pouvoir acheminer le fret le plus vite possible et rétablir l'eau et de l'électricité sur l'île". Le fret, soit la nourriture et l'eau, acheminées par tonnes, destinées au personnel de secours et à la population.
Autre mission : dépêcher au plus vite 60 tonnes de matériel vers l'hôpital de campagne de "L'escrime", à faire transiter en avion.
Mais rien n'est simple après un cyclone. L'aéroport de Mayotte étant endommagé, "on utilise des avions de l'armée... On arrive sur Petite Terre et on doit transiter sur Grande Terre (voir carte) : ça se fait par des barges" ! Il n'y a que quelques kilomètres à parcourir, mais seuls deux bacs sont opérationnels.
"Chaque service veut faire passer son matériel en urgence", raconte le Capitaine Barthélémy. Il peut s'agir d'urgence médicale bien sûr, mais pas seulement : le rétablissement de l'électricité a également un caractère vital concernant la distribution de l'eau. "Tout se fait par des systèmes électriques". C'est la préfecture qui dictait les priorités au jour le jour. "On avait un préfet qui était avec nous sur la crise".
"Il faut toujours s'adapter", résume le pompier girondin, avec un programme établi le soir pour le lendemain à cause des changements possibles des plans de vols des avions. Aussi parce que d'autres effectifs de secours continuent d'arriver sur l'île. "Au plus fort, au bout d'une semaine et demie, on avait 900 personnes".
En gros en deux semaines, on a géré 400 ou 500 tonnes de fret, minimum.
Cap Etienne BarthélémySDIS 33 envoyé à Mayotte
De retour à Carcans, le pompier ne regrette pas du tout son implication dans cette mission, malgré la fatigue. "J'ai fait de très bonnes nuits en rentrant, sourit-il. Il m'a fallu deux-trois jours pour bien récupérer".
Etienne Barthélémy se dit satisfait du travail effectué avec son équipe. "C'est un territoire qui est très attachant, assure-t-il, mais il faut savoir aussi se préserver et penser également à notre vie de famille".
Au plus près des sinistrés
Pour le caporal-chef Anthony Nassein, pompier professionnel du centre de secours de Biganos, sur le Bassin d'Arcachon, cette mission mahoraise était une première expérience, qu'il décrit comme très enrichissante, "personnellement et professionnellement".
Sa mission est d'intervenir au plus près des sinistrés. Mais lui aussi reconnait avoir été saisi par l'image de l'île qu'il a sous les yeux à son arrivée, comme dépossédée de sa nature."Moi, je n'avais jamais vu Mayotte avant, raconte-t-il, mais c'est comme si les arbres étaient tous morts". Il décrit aussi des maisons de briques privées de leurs toits et les abris de fortune des plus précaires "par terre".
Parti le 17 décembre de Paris, lui et ses collègues volontaires pour cette mission de "PMA", comprenez "Poste Médical Avancé", ont été contraints de faire une escale plus longue que prévue à La Réunion avant de rejoindre Mayotte. Car le matériel qui leur était assigné, provenant des différents SDIS de France, n'était pas encore parvenu.
Des coupures infectées "dues aux tôles, aux clous"
Quand ils débarquent, le 22 décembre, à Pamanzi, sur Petite-Terre (l'île qui fait face à la capitale Mamoudzou), les pompiers installent leur campement dans un lycée partiellement dévasté. Toujours dans l'attente du matériel, ils s'organisent pourtant en petits groupes pour intervenir auprès des populations des bidonvilles."On allait voir directement les gens sinistrés leur demandant s'ils avaient des blessures". L'occasion d'échanger, de proposer, notamment aux enfants, "une bouteille d'eau, des pâtes de fruits, enfin ce qu'on avait", tempère le pompier girondin.
Le capitaine Rémy Malet était en charge de la gestion de ce groupe 60 hommes sur cette mission de PMA, venus de l'ouest et du sud-ouest de la France. Il s'agissait de créer "des petits hôpitaux de campagne". L'idée étant de "récupérer les victimes" pour un groupe d'hommes quand d'autres s'occupent du "tri selon l'état d'urgence"(absolue, relative, etc.)"des personnes, avant de les évacuer, si besoin, vers les hôpitaux.
"Nous, quand on arrive, sept jours après le cyclone, les gens des bidonvilles ont déjà recommencé à reconstruire, pour mettre leur famille à l'abri". En cette période des pluies à Mayotte, "beaucoup préféraient continuer de reconstruire leur maison avant de se faire soigner", note le caporal-chef Anthony.
Lui et ses collègues ont soigné beaucoup de blessures, "dues aux tôles, aux clous. La plupart marchent pieds nus, les enfants aussi". Des blessures qui s'aggravent et s'infectent, faute de soins rapides. A ces blessures s'ajoutent des malaises liés à la chaleur et la déshydratation.
À la fin de leur mission de deux semaines, les pompiers de ce détachement ont pu établir un bilan. Ils sont allés à la rencontre de plus de 3 700 personnes, ont réalisé près de 700 soins et procédé à l'évacuation de 34 personnes vers l'hôpital.
Se sentir "utile"
De retour chez lui, le caporal-chef garde en mémoire la solidarité avec les collègues et des instants de grâce auprès des sinistrés, surtout les enfants. "les plus jeunes nous touchent surtout quand on a des enfants du même âge". Il s'émerveille de leur capacité à rebondir, à composer pour aller de l'avant.
On leur donnait de l'eau, des pâtes de fruit. Malgré ce qu'ils ont vécu, même dans la misère et la détresse, ils gardent le sourire.
Caporal-Chef Anthony Nassein
Dans le milieu hospitalier, les métiers du secours, on sait toutefois que de telles missions peuvent parfois marquer des hommes et des femmes qui ont besoin d'aller bien pour aider les autres. Ce n'est pas le cas pour lui qui s'est, comme les autres, tout de même entretenu avec la psychologue du SDIS 33. "Moi, je vais bien", assure le pompier de Biganos qui, aujourd'hui, ne pense qu'à la prochaine mission. Qui sait ? Peut-être, une autre à Mayotte ? "Je me suis repositionné pour faire des relèves, s'il fallait repartir"...