Une usine visant à la transformation de cobalt et de nickel pour produire des batteries de voiture électrique, devrait être construite au bord de la Garonne, dans l'agglomération de Bordeaux. Le projet de l'entreprise bordelaise Electro Mobility Materials Europe (EMME) suscite la controverse, notamment auprès des organisations environnementales.
Un changement de paysage pourrait se profiler le long des rives de la Garonne. Une usine industrielle sur une superficie de 30 hectares pourrait sortir de terre sur le port de Grattequina, proche de la commune de Parempuyre, en Gironde. Le projet, d'un montant de plus d'1,5 milliard d'euros, serait dédié à la décarbonation de batteries de voitures électriques, via la transformation de nickel et de cobalt.
Site classé Seveso
Dès sa mise en service en 2028, "l’unité pourra convertir 20 000 tonnes de nickel et 1 500 tonnes de cobalt par an, ce qui en fera l’un des premiers sites spécialisés dans les applications batteries en Europe et en France", détaille EMME, dans un communiqué. Avec pour objectif, de produire suffisamment de cobalt et de nickel pour "couvrir l'équivalent de 20 à 30 % du marché français des voitures électriques".
Bien que le projet soit encore en phase de concertation, il soulève déjà des préoccupations parmi les organisations environnementales qui émettent des doutes sur la pertinence du lieu d'implantation choisi. "Compte tenu du réchauffement climatique, des zones de submersion marines, des inondations de plus en plus fréquentes et des quantités de pluie importantes qu'on a, la première inquiétude est de se dire, est-ce que vraiment, c'est un bon endroit pour construire une usine Seveso ?, s'interroge Florence Bougault, membre de la Sepanso Gironde, fédération d’associations de protection de la nature et de l’environnement. À un moment, quand on est dans des zones inondables, ce n'est pas pour rien."
Un risque d'inondation qu'EMME affirme anticiper par le biais de "mesures prises grâce à une modélisation numérique, afin de prévenir le risque et d’éviter les effets indirects de son aménagement sur le territoire".
Une usine Seveso en zone inondable, ça me paraît quelque chose d'inconvenable aujourd'hui. Je ne suis pas contre l'installation d'usine, mais je pense que ce n'est pas le bon endroit.
Florence BougaultMembre de la Sepanso Gironde
"On est aussi sur des zones de densification urbaine importante avec déjà des risques identifiés, car la Garonne supporte une centrale nucléaire et plusieurs sites Seveso. Est-ce qu'elle est en mesure de rajouter des risques supplémentaires ?", argue Florence Bougault.
"Cela nécessite une consultation massive de la population"
En effet, le site classé Seveso, serait projeté en plein cœur d'une parcelle végétalisé, à seulement quelques mètres des premières habitations. "J'ai le sentiment que beaucoup d'habitants n'étaient pas au courant, note Florence Bougault. J'estime que c'est un sujet qui devrait être débattu à un niveau plus large parce que c'est une implantation qui nécessite une consultation massive de la population." L'association vient d'adresser un courrier à la préfecture de la Gironde. Elle demande l'organisation d'une concertation indépendante auprès de la population et "un traitement l'ensemble du dossier en prenant en compte à la fois l'analyse socio-économique et les enjeux environnementaux".
De son côté, Antoine Beurrier, directeur général de la société bordelaise, se veut rassurant. "Le site n'est pas classé Seveso pour des raisons de risque d'explosion ou d'incendie. C'est simplement que des sulfates de nickel et des sulfates de cobalt ne doivent pas aller dans l'eau. Ça n'a rien d'exceptionnel", tempère-t-il.
Le plan du site est prévu et dessiné par des architectes et des experts de l'ingénierie pour faire face à ces risques.
Antoine BeurrierDirecteur Electro Mobility Materials Europe
300 emplois directs
Consciente de l'inquiétude de la population, l'administration du grand port de Bordeaux, propriétaire du site, insiste sur les intérêts économiques d'un projet d'une telle envergure qui promet la création de "300 emplois directs dont 60 % hautement qualifiés" avec la mobilisation, pour le chantier, de "1 000 emplois pendant deux ans (2025-2026)".
Pour le directeur Jean-Frédéric Laurent, cette usine s'inscrit "dans une démarche de réindustrialisation des industries de la décarbonation" et permettrait de mettre à profit, une infrastructure portuaire déjà existante. "Il y avait un appontement qui avait été créé il y a une dizaine d'années, malheureusement pour un projet qui n'a pas vu le jour, développe-t-il.
Cet appontement et ce terminal cherchaient une destination. Et puis c'est aussi un site qui avait besoin d'un accès maritime et donc comme il est sur un terrain portuaire à proximité d'un quai, l'emplacement a séduit les investisseurs."
On sent de l'inquiétude, car c'est un projet industriel. Il faudra répondre à ces interrogations, et rassurer de manière à avoir l'acceptabilité de ce projet.
Jean-Frédéric LaurentDirecteur du grand port de Bordeaux
"Pas convaincue"
Deux réunions publiques se sont déjà tenues au cours du mois d'avril, sans pour autant convaincre les organisations gouvernementales qui alertent sur la présence de "zones d'ombre". "Il manque beaucoup d'études qui n'ont pas été mises à disposition du public, insiste Florence Bougault de la Sepanso Gironde. On est sur une usine présentant un taux de toxicité important. Il n'y a aucun plan présenté sur la dangerosité réelle du produit et ce qui se passe en cas d'accident. Le risque zéro n'existe pas."
La concertation publique, encore très discutée, est prolongée jusqu'au 20 mai, prémisse d'un débat houleux ces prochains mois.