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VIDEO . "Sur les pas de celui qui a tué Trotsky", l'histoire de Ramon Mercader, un aventurier qui a presque tout raté

Militant, espion, prisonnier, exilé, Ramon Mercader est de ceux dont le destin est fait pour inspirer des romans ou des films. Pourtant, l’assassin de Trotsky vécut et mourut dans un anonymat presque total. Un documentaire inédit, réalisé par Marie-France Brière remonte le fil de son histoire et celle de sa famille qui a séjourné à Bordeaux.

L’assassinat politique n’est pas un meurtre comme les autres. Et celui de Léon Trotsky , l’ennemi intime de Staline, conserve quelque chose de baroque. En 1940, Trotsky est un exilé. Pourtant, c’est lui qui vingt-trois ans plus tôt propulsa les révolutionnaires bolchevicks à la tête de la Russie puis qui commanda l’Armée rouge.
Et c’est Ramon Mercader, lui aussi communiste, qui viendra mettre un terme à son existence le 20 août 1940. Le film de Marie-France Brière retrace sa vie hors du commun, de Bordeaux à Cuba en passant par l'URSS. C'est l'occasion de rencontres avec des personnalités d'aujourd'hui comme Alain Minc, car les familles étaient proches. Et bien d'autres discussions qui nous font avancer sur les pas de l'assassin d'un homme qui appartient à la grande Histoire. Voyons ce qui a pu l'amener à ce destin. 

Sur les pas de celui qui a tué Trotsky 

Lors de son arrestation, Ramon Mercader se prétend journaliste belge. Les autorités mexicaines se contentent d’une brève reconstitution du meurtre et d’un mobile sommaire. En creusant un peu plus, c’est pourtant un véritable complot politique aussi romanesque que pathétique qui aurait pu être mis au jour.  

En 1937, Il a fallu fuir après la victoire des fascistes.
La famille catalane de Ramon Mercader s’exile à Bordeaux. Les amitiés révolutionnaires y tiennent lieu d’asile. Républicains espagnols, étudiants communistes, syndicalistes ou réfugiés juifs d’Europe distillent l’esprit du front populaire dans les quartiers du port de la capitale girondine.

Il y a quelques mois encore, la famille Mercader tenait les barricades dans une Barcelone autogérée. Caridad, la mère de Ramon, comptait parmi les plus intransigeantes des passionarias antifascistes. Une militante armée et surtout dévouée aux exigences du petit père des peuples, le « grand Staline ».   
Et le jeune Ramon avait pris sa part parmi les jeunesses communistes. Assez pour taper dans l’œil des services secrets russes en Espagne.   

Alors, une fois la guerre terminée, naviguant entre Bordeaux et Paris, Ramon se met dans les pas de sa mère, au service de la Révolution. On comprend pourquoi, dans le documentaire, l’historien Grégorio Luri dit de cette famille qu’elle « est une synthèse romanesque du XXe siècle ».  


Le militant se fait apprenti espion sous la supervision des services secrets russes. Mission : infiltrer les cercles Trotskystes qui font de l’ombre au rayonnement du communisme stalinien. Depuis la fin des années vingt, Trotsky a été mis à l’écart du Parti communiste russe et contraint de s’exiler sous la menace de Joseph Staline, qui entend rester seul maître en Union soviétique. Ramon veut prendre part à la traque.   

La chasse aux Trotskystes 

Durant toutes les années trente, les grandes capitales européennes et sud-américaines abritent de minuscules cercles trotskistes, au fonctionnement quasi clandestin, restés fidèles à la parole du vieux maître et ex-commandant de l’Armée rouge. Ils œuvrent pour la Révolution permanente et contre la bureaucratisation du communisme.

C’est dans ce contexte que le NKVD, les services secrets russes, demandent à Ramon Mercader de tamponner une cible : Sylvia Ageloff, la secrétaire de Léon Trotsky. Le séduisant jeune homme sous le faux nom de Jacques Mornard, a pour mission de gagner le cœur de la jeune femme afin d’intégrer les groupes militants. Il y parvient avec brio, au point de décrocher une audience avec Trotsky lui-même. Destination, Mexico où le maître dissident vit un exil studieux entouré d’artistes bohèmes et de l’intrigante  Frida Khalo. Toujours sur les pas de l'espion, la réalisatrice du documentaire Marie-France Brière  mène l'enquête et nous emmène donc dans la capitale mexicaine, à la recherche des lieux, témoins de l'histoire. Des documents étonnants également. 

La grande Histoire s’accélère, la Seconde Guerre est sur le point d’éclater et en Russie, Staline termine de faire place nette à coup de grand procès de Moscou. On efface les révolutionnaires de la première heure de la photo de famille et on fait table rase de tout passé compromettant. L’activisme de Trostky au Mexique devient intolérable. Il doit y passer.

Au printemps 1940, un commando l’attaque à la mitraillette mais il échappe miraculeusement à la mort. Grâce à sa couverture, l'espion Ramon Mercader est désormais le seul à même de pouvoir l’approcher au plus près. Il décide de s’en charger. Il décide… ou est-ce plutôt sa mère, Caridad, présente depuis quelques semaines à Mexico et flanquée d’un officier de l’espionnage russe qui le pousse à décider ?   
De son côté, Trotsky ne se méfie pas. Il se prend même d’affection pour ce jeune journaliste belge qu’il envisage de recruter. Le matin du 20 août, ils se lancent dans la rédaction d’un article. Mercader se lève discrètement et se positionne derrière Trotsky alors assis à son bureau. Il s’empare d’un piolet dissimulé sous sa gabardine et le plante dans le crâne de Léon Trotsky.
Seulement, l’arme utilisée du mauvais côté mutile la victime qui a le temps d’alerter la garde. Maîtrisé, l’assassin est remis aux autorités. Trotsky, lui, ne passe pas la nuit.     
 

 Mais pourquoi tant de haine ?

Dans l’histoire des idées communistes russes, deux courants sont nés de stratégies divergentes dès la fin des années vingt. Mais aussi de rivalités personnelles. Après le coup d’Etat de 1917 qui fit triompher la Révolution en Russie, puis la mort de Lénine, Joseph Staline pris le pouvoir. Sa vision du communisme entend consolider la puissance soviétique dans le concert des nations tandis que le communisme de Trosky cherche à s’exporter en rejetant le phénomène de bureaucratisation. Poussé vers la sortie, Trotsky finit par être contraint à l’exil en 1929. 

C’est à l’occasion de la Guerre d’Espagne, quinze ans plus tard, en 1936, que les deux courants règlent leurs comptes. A priori, réunis sous la bannière commune du front populaire contre les troupes du conservateur Franco, Trotskistes et Staliniens préfèrent s’entretuer.  

A ce moment-là en Catalogne, les communistes haïssent férocement les trotskistes et les anarchistes à cause d’un épisode tumultueux. Le 1er mai 1937, ces derniers provoquent un soulèvement à Barcelone, ce que condamnent les communistes staliniens, privilégiant quant à eux le maintien de leurs hommes sur le front. 

Mais le soulèvement de Barcelone a tout de même lieu et les communistes se disent trahis. Sur ordre de Staline, ils se comportent alors avec les trotskistes et les anarchistes comme avec les fascistes, menant de véritables chasses à l’homme auxquelles succèdent des exécutions sommaires. « Pour le jeune communiste convaincu qu’était Ramon Mercader, il n’était pas difficile de présenter le leader des trotskistes comme l’ennemi juré de la classe ouvrière et de la République espagnole. » explique Luis Mercader le frère de Ramon dans un entretien donné au journal Trioud en 1990. Voilà pour la haine, passons désormais à la passion.

Dans les pas de sa mère 

La détermination légendaire de Ramon, qui le fit passer de militant à meurtrier, s’explique aussi par le lien passionnel qui l’unit à sa mère. Car si Caridad Mercader a élevé ses deux fils, Ramon et Luis le cadet, dans la religion du « Communisme », elle semble aussi avoir joué un rôle considérable dans le tragique destin de Ramon.

C’est elle qui a entraîné Ramon dans le groupe que dirigeait le général du NKVD Leonid Kotov. C’est elle qui attendait dans la voiture devant la maison de Trotsky pour emmener Ramon après le meurtre, d’après un itinéraire préalablement établi, en Californie, puis de là en bateau à Vladivostok et par le Transsibérien à Moscou

Luis Mercader

Lors de sa sortie de prison en 1960, la vraie identité de Ramon Mercader est révélée par le journal Sud-Ouest qui fera ses choux gras de cette histoire exotique.

Caridad est alors harcelée par les journalistes et par ses amis qui cherchent à percer le secret.  « Elle pouvait gueuler de façon tout à fait exceptionnelle en disant « C’est moi qui l’ai fait ! » quand elle avait été provoquée par un ami ou un proche de la famille" se souvient Jean-Michel Kantor dont les parents hébergeaient Caridad à Bordeaux puis à Paris. 

C’était une manière d’assumer le geste de son fils.

Jean-Michel Kantor

Source : "Ramon Mercader, sur les pas de celui qui a tué Trotsky

Moscou déception

Pour le moins libre, Ramon Mercader s’embarque pour Moscou où Staline est mort depuis longtemps et presque personne ne le connait. Son secret s’efface avec les générations et Ramon s’ennuie, incapable de supporter le mode de vie local, le froid des longues queues devant les magasins d’état.  
 
Nouvel exil vers des cieux plus cléments, Cuba. Là encore, il y réside avec une fausse identité sous l’œil bienveillant de la famille Castro.  

Ici, tout le monde ignorait qui était Mercader. Sa véritable identité était inconnue d’autant qu’elle était protégée par une forme de secret, de mystère et par la couverture que lui apportait les services secrets cubains.

Rafael Acosta de Arriba, historien cubain

Source : "Ramon Mercader, sur les pas de celui qui a tué Trotsky"

Une vie pour rien 

La mort de Trotsky, qui aurait pu marquer un tournant historique majeur, est finalement presque passée inaperçue aux yeux du grand public. « C’est un événement qui a eu un fort retentissement dans les medias et les funérailles de Trotsky ont attiré des milliers de Mexicains mais la Seconde Guerre Mondiale a balayé ce phénomène pour occuper l’actualité ».  

Pire, la disparition du dissident soviétique a pris un tour mythique et encouragé le développement des idées trotskystes qui se sont à la fois déployées sur le double front anticapitaliste et anti-stalinien.

Politiquement, la mort de Trotsky n’aurait donc servie à rien et le sacrifice d’une vie de Mercader non plus.


Dans ce documentaire qui recherche celles et ceux qui l'ont connu, le neveu de Ramon, Jean Dubouy, l’un des derniers à l’avoir rencontré à Cuba, se souvient :

Quand j’ai su que mon oncle était l’assassin de Trotsky, moi qui militait dans des groupes de cette obédience, je suis venu rencontrer ce « héro familial » pour mieux le comprendre. Je n’ai jamais vu ni entendu de regrets exprimés par Ramon Mercader 

Jean Dubouy - neveu de Ramon Mercader

Source : "Ramon Mercader, sur les pas de celui qui a tué Trotsky"

Pour en savoir plus sur cette histoire romanesque du XXe siècle, le film de Marie-France Brière et Bruno Lagoarde nous transporte dans un road movie insolite.

Trois questions à Marie-France Brière, réalisatrice du film « Ramon Mercader : sur les pas de celui qui a tué Trotsky » 

  • Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la figure de Ramon Mercader ? 

Je suis une latine, à la fois Française et Argentine. Or, l’affaire Mercader est une affaire latine car il est né à Barcelone, a commis son forfait à Mexico où il a été emprisonné durant 20 ans puis il est mort à Cuba, là où sa mère était née en 1892. 
Mercader est un pied nickelé. Il assassine Trostky au mauvais moment car c’est le début de la Seconde Guerre Mondiale, il utilise le piolet du mauvais côté et blesse sa victime de sorte qu’elle a le temps d’appeler, alors que dans le cas contraire, il aurait pu s’échapper. Mercader fait 20 ans de prison et, à sa sortie, presque tout le monde l’a oublié.
Dans le roman "L'homme qui aimait les chiens", il est présenté comme un mythe. En réalité, c’est l’inverse.   

  • Le lien de Ramon Mercader avec Bordeaux est ténu. Pourtant Bordeaux est bien présent dans votre film.  

Toute la famille Mercader s’est retrouvée à Bordeaux après la guerre civile espagnole. Les parents de Ramon fréquentaient alors les parents de l’intellectuel Alain Minc ou la famille Kantor 
Dans les années trente, Bordeaux a été la plateforme, le catalyseur de l’exil.

Le lendemain de sa libération en 1960, le quotidien Sud-Ouest à Bordeaux sort, pour la toute première fois, la véritable identité de Ramon Mercader et déballe toute l’histoire. Elle était jusque-là totalement inconnue du grand public.  

  • Votre enquête, qui vous amène à traverser de nombreux pays, est partagée à l’écran avec Bruno Lagoarde qui est aussi co-auteur et monteur du film. Comment est née cette collaboration ?  

Lors du montage d’un autre film avec Bruno, nous avons échangé à propos de "L'homme qui aimait les chiens" de Padura que je venais de relire en espagnol et lui en français. Ce roman est consacré à l’histoire de Mercader. Je lui ai proposé de retracer cette aventure. Il a dit oui et nous l’avons fait. Ce fut éreintant, parfois compliqué, mais les souvenirs sont fabuleux. La fin espérée du film se produit en plus ! Je vous laisse la découvrir.  

Le documentaire "Ramon Mercader, sur les pas de celui qui a tué Trotsky" est diffusé sur l'antenne régionale de France 3 Nouvelle-Aquitaine jeudi 13 octobre à 22H45 et disponible en replay sur France.tv. durant 30 jours.

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