Zloty : l’indomptable graffeur de 83 ans pionnier du street art

Le graffeur Zloty est une référence pour des générations d’artistes. Longtemps dans l’ombre, il sera, en 2023, l’invité de nombreuses expositions dédiées aux soixante ans du street art. Un mouvement artistique qui ne serait rien sans le combat de ce Rochelais qui projette sur les murs son histoire, et celle d’un pays, à coup d’aérosol.

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Le Rochelais est une référence pour des générations d’artistes. Longtemps dans l’ombre, il sera l’invité de nombreuses expositions dédiées aux 60 ans du street art cette année. Un mouvement artistique qui ne serait rien sans le combat de ce Rochelais qui projette sur les murs son histoire, et celle d’un pays, à coup d’aérosol. ©FTV

Le trait est net, mais Zloty préfère garder les bavures, ou plutôt les coulures. D’un geste sûr, il nous enchante de ses "Ephémères", dont les traits dégoulinent, tels des larmes. Gerard Zlotykamien, était de passage ce week-end au palais de Tokyo. Invité dans le cadre du "Lasco Project", il a graffé dans les coulisses du célèbre musée.

"C’est la dernière intervention secrète au palais de Tokyo", explique Hugo Vitrani, curateur et commissaire d'exposition au Palais de Tokyo."On voulait terminer avec lui. L’avantage c’est qu’ici cela va rester pour la vie parce que c’est une issue de secours, où il n’y a pas d’exposition et pas de projet de repeindre les murs. Donc c’est vraiment une intervention qui va durer dans le temps".

Sur ces murs qui s’effritent, l’univers de Zloty apparaît. Primitif, franc, minimaliste, son trait s’intègre à merveille à ce projet nommé "Lasco Project". L’œuvre de Zloty a ce je ne sais quoi, qui relève de l’art pariétal.

Les camps de concentration 

Gérard Zlotykamien est né juif en 1940 à Paris. Il vient d’une famille d’artisans, immigrés de Russie et d’Europe de l’Est. Son père est tapissier décorateur après avoir fait la célèbre école Boulle. Sa mère est la secrétaire particulière de l’éditeur Bernard Grasset.

L’enfant est âgé de 2 ans lorsque sa mère, sa grand-mère ainsi que ses oncles et tantes sont internés à Drancy.  Son père, mobilisé, a déjà été fait prisonnier. Le petit Gérard est envoyé à l’UGIF, l’Union Générale des Israélites de France. Zloty devient selon ses mots, "le plus jeune prisonnier de France ". C’est Grasset qui réussit à l’exfiltrer.
Recueilli dans une famille d’accueil peu recommandable, Gérard manquera de tout : il échappe à la mort, mais grandit maltraité. Contrairement au reste de la famille, les parents de Zloty survivent à la guerre. Ensemble, ils réintègrent leur appartement du 14e arrondissement de Paris, mais Gérard va mal. Il évoque un "non-désir d’exister", dit-il.

Rencontre avec Yves Klein 

Gérard Zlotykamien est bien souvent le dernier de la classe. Mais il aime marcher. Ses longues promenades lui font découvrir galeries et musées. Au même moment, sa mère lui propose des cours de judo avec un dénommé Yves Klein. L'artiste peintre passionné de judo vient de signer chez Grasset un ouvrage sur cette pratique. Gérard devient son plus jeune élève. Grâce à lui, il apprend l’essentiel.

Les premiers tableaux que j’ai faits, je m’entrainais à faire un geste continuellement, pour faire un trait précis.

Gérard Zlotykamien, dit Zloty

à France 3 Aquitaine

Comme au judo, il faut être précis et rapide, pour faire plier son adversaire. Où pour échapper à la police. Sa rencontre avec Klein signe un tournant. Zloty, grâce à cet art martial, apprend à s’exprimer.

Les débuts à la craie et à la poire à lavement

Adolescent, Gérard Zlotykamien est toujours aussi en colère. Révolté contre tout, il décide de quitter l’école et enchaine les petits boulots. Le soir, il écrit des poèmes et dessine. En 1958 il est exposé pour la première fois à la galerie Cimaise. En 1961, il rencontre Eliane, celle qui endossera le surnom de « Darling » pour ne plus jamais le quitter.

C’est à ses côtés dans les années 1960 que Gérard commence à peindre en extérieur. En 1963 précisément, et c'est pourquoi le street art fête ses 60 ans d’existence cette année.
Zloty, le précurseur commence par peindre ou graffer en extérieur, à la poire à lavement. Il s’en sert pour réaliser la fresque nommée « Ronde Macabre » qui sera présentée à la Troisième Biennale de Paris au palais de Tokyo en 1963. Avec cette poire, il projette la peinture sur les toiles ou sur les murs.

Il ne sait pas qu’il est en train de créer un mouvement qui deviendra le street-art. Il ne sait pas qu’il est le premier, mais en attendant, il le fait.

Gautier Jourdain, agent de Zloty

France 3 Aquitaine

"Aujourd’hui 60 ans plus tard, il est toujours là. C’est le mouvement artistique le plus universel qui existe ,constate l'agent. Le premier en France ? " Le premier au monde, s’il était américain, il aurait déjà un musée à son nom".

Mallette, costard et procès

C’est une photo qui a marqué des générations de street artistes. Diffusée dans le presse spécialisée, on y voit un homme en costume marron, mallette à la main, graffant le rideau de fer d’une boutique. Sur la devanture, est inscrit  « Graffiti, librairie du spectacle ». Cet homme, c’est Gérard Zlotykamein. Cette photo réalisée par Rosine Klatzmann date de 1984 et va marquer des générations de graffeurs.

S’habiller comme tous les jours pour passer inaperçu. Une technique qui ne lui a pas réussi à tous les coups. Gérard Zlotykamien passera de nombreuses nuits en garde à vue. Il essayera même deux procès en l'espace de cinq ans. Le premier pour des graffs réalisés en Allemagne à Ulm en 1979. Lors de l'audience, Zloty se défend : « J’effacerai mes œuvres quand ils me rendront les miens », plaide-t-il. Il écopera d’un non-lieu. Deuxième procès en 1984 pour des « Ephémères » réalisés sur les murs extérieurs de La Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques à Paris. Zloty est condamné à 600 francs d’amende avec sursis. Ses courriers adressés au ministre  de l’Intérieur, et à celui de la Culture n’y changeront rien.

Un style à nul autre pareil

C’est avec ses « Ephemères » que Zloty s’est fait connaître. Sortes de visages se démultipliant à l’infini. Personnages vulnérables reflets d’un système. Victimes de la Shoah ? Difficile à dire. Elles expriment indubitablement la violence. Cette même violence dans « L’Effacement ». Des œuvres exposées puis entièrement repeintes à l’aide d’un rouleau de peinture noire. Zloty rappelle ainsi que le génocide juif représente un projet d’effacement d’une population.
Violence encore avec cette représentation de « Petites filles nues », pour évoquer une photo de Nick Ut, prise en 1972 au Vietnam, après un bombardement au napalm. On y voit une petite fille courant et pleurant, nue, sur une route au milieu d’autres enfants. Image qui a fait le tour du monde.

Longtemps en dehors du marché de l’art et du système, Zloty n’a fait aucune concession. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’a été que tardivement reconnu par le monde de la culture, plus habitué à ce qu’on toque à sa porte. Aujourd’hui, difficile de lancer une exposition sur l’histoire du street art sans évoquer son nom. 

Une reconnaissance qui ne semble pas étonner celle qui fut son point d’ancrage au fil des décennies. "Je ne me suis pas embêtée, résume en souriant Eliane, son épouse. C’est vrai, il faut une épaule solide et de la patience. Mais il y a d’autres avantages. 

Je pourrais vous dire que je ne me suis jamais ennuyée avec lui, et ce n’est pas rien.

Eliane Zlotykamien, épouse de Zloty

à France 3 Aquitaine

Les œuvres de Zloty seront visibles dans l’exposition « Capitale(s) », à l’Hôtel de Ville de Paris, rétrospective consacrant les 60 ans du street art. En 2023, il sera présent dans de nombreuses expositions, certaines lui seront même entièrement consacrées. Ce sera le cas à l’automne prochain au musée des Beaux-Arts de Rennes.

 

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