Disputandum #1 : le glyphosate, peut-on vraiment l'interdire ?

C'est le pesticide le plus utilisé au monde, le plus médiatique aussi. De nombreux utilisateurs, devenus malades, dont l'agriculteur charentais Paul François, ont gagné des procès contre Monsanto, son créateur. Ce sujet d'actualité était débattu au Parlement récemment. Nous avons organisé un débat.

Le glyphosate est devenu le symbole de la lutte actuelle entre les tenants d'une agriculture productiviste, industrielle et les militants anti-pesticides. Pour ce premier numéro de Disputandum, notre émission de débat citoyen sur NoA (primo-diffusion, en direct le mercredi soir de 21h à 22h), nous avons invité : 

  • Nicole Bonnefoy, sénatrice de Charente, engagée en faveur des victimes des pesticides ; 
  • Michel Debiais, de l’UFC que Choisir de Poitiers, également animateur du réseau national environnement pour cette association ; 
  • Florent Boulin, céréalier à Aulnay, près de Loudun, dans la Vienne, utilisateur régulier du glyphosate et défenseur de ce produit ; 
  • Cyril Giraud, relais local (Gironde) de l’association Générations Futures.

La vidéo complète est disponible au pied de cet article. Mais d'abord, quelques éléments d'informations.

Le glyphosate, beaucoup d’entre vous connaissent cette molécule sous le nom commercial de Round Up. Mais cette substance est désormais dans le domaine public, cela veut dire que d’autres entreprises que son créateur Monsanto peuvent la fabriquer. Elle est actuellement déclinée dans 750 produits. C’est, depuis plusieurs années, et aujourd’hui encore, le produit phytosanitaire le plus utilisé. Tant par les particuliers que les agriculteurs ou jardiniers professionnels.
 

Une jurisprudence favorable aux victimes


L’un de ces jardiniers est devenu tristement célèbre cet été à San Franscico. Dewayne Johnson souffre d’un cancer en phase terminale, il a remporté son procès contre Monsanto. Le tribunal a estimé que le Round Up était responsable de son cancer. L’industriel a été condamné à lui verser 289 millions de dollars. La firme a fait appel. 8000 procédures de ce type seraient en cours, rien qu'aux Etats-Unis.

Autre actualité liée à ce produit précis, le décès début septembre de Fabian Tomasi. Cet ouvrier agricole argentin, exposé de longues années au glyphosate dont il remplissait des réservoirs à mains nues, est mort, à 53 ans. Il souffrait de multiples maladies et menait en parallèle un combat médiatique pour prouver la dangerosité des pesticides.

Les premiers travaux scientifiques sur ce sujet datent d'il y a plus de 50 ans et nous viennent des États-Unis. Rachel Carson, biologiste américaine, dans son ouvrage "Un Printemps silencieux", alertait déjà sur les dangers d’une utilisation massive et insouciante de produits chimiques, en raison d’effets cancérogènes pour l’homme et reprotoxiques pour les animaux. C'était en 1963. Ses travaux ont notamment permis d’aboutir à l’interdiction du DDT au début des années 70. Un délai court au regard de la longue et permanente polémique qui accompagne les nombreuses études menées sur le glyphosate et ses conséquences sur la santé. Le groupe Monsanto, aujourd'hui racheté par Bayer, conduit ses propres recherches et entretient autant que possible les doutes sur le sujet.
 

Quels arbitrages politiques ?


L'Europe a prolongé pour cinq ans l'autorisation commerciale du glyphosate. En France, mi-septembre, l'Assemblée Nationale a, une nouvelle fois, refusé d'inscrire dans la loi la date de l'interdiction du glyphosate, promise par Emmanuel Macron. Mais ministres de l'Agriculture et de l'Environnement actuels l'assurent, elle sera effective sous trois ans.

En parallèle, un amendement concernant les victimes des pesticides a été rejeté : il s'agissait de la création immédiate d'un fonds indemnisation. Seul son calendrier a été adopté, il doit être mis en place d'ici le 1er janvier 2020, si les décrets d'application sont adoptés.
La bataille sur cette question a été menée à l'Assemblée Nationale par Delphine Batho, au Sénat par Nicole Bonnefoy.
La sénatrice de Charente est sensibilisée à cette question depuis de nombreuses années à travers le parcours de Paul François. En 2004, dans son exploitation de Benac, alors qu'il se penche sur une cuve contenant du Lasso (produit Monsanto aujourd'hui interdit), il est sévèrement intoxiqué. Plusieurs jours de coma, une longue hospitalisation, un an d'arrêt de travail, et aujourd'hui encore des séquelles. C'est aussi le début d'un long combat judiciaire et associatif.
Il a remporté deux procès contre Monsanto. Le dernier jugement a été retoqué par la Cour de Cassation, un nouveau procès en appel est prévu pour février.
Son association Phyto-victimes a recensé près de 400 dossiers de victimes. Elle a aussi accompagné en justice une centaine d'agriculteurs pour obtenir la reconnaissance de leurs pathologies en maladie professionnelle.
 

Quelles maladies ?


Plus d’une centaine de substances actives contenues dans les pesticides européens seraient considérées comme des perturbateurs endocriniens (selon un rapport de l'INSERM, 2013).
Les produits phytosanitaires seraient par ailleurs responsables de nombreux troubles respiratoires et d’allergies, ou encore de troubles de la fertilité. Mais c’est surtout en ce qui concerne les maladies neurologiques et les cancers que les pesticides sont actuellement les plus critiqués.
Chez les agriculteurs exposés aux pesticides, le risque de contracter une maladie de Parkinson serait ainsi multiplié par 5,6 par rapport à des groupes non exposés.

Des hommes diminués dans leur capacité à tenir leur ferme, conscients de la dangerosité des produits, mais pas forcément au point de changer de modèle agricole. Ou des ouvriers agricoles, précaires, pas toujours en posture de négocier leurs conditions de travail. Une chercheuse en sociologie, Coline Salaris, a mené une enquête sur ce sujet des agriculteurs victimes de pesticides. 

Cyril Giraud, de l'association Générations Futures, évoque dans cet extrait les problèmes de santé de nombreux ouvriers viticoles.
 
 

Quelles contraintes ?


Si les agriculteurs des dernières générations sont plus sensibilisés et conscients de la dangerosité des produits chimiques qu'ils utilisent, ce modèle est toujours dominant. Comme l'analyse Coline Salaris dans son travail, plusieurs freins intérieurs à la profession se cumulent :  la prévention et la reconnaissance des maladies professionnelles est aux mains de la Mutualité Sociale Agricole ; l'emprise des laboratoires phytosanitaires et de certaines coopératives agricoles (chargées de la revente des produits) ; le ministère de l’Agriculture ; mais aussi les syndicats ou les chambres d’agriculture, principalement dirigées par la FNSEA qui défend l'agriculture conventionnelle.

Il y a aussi, tout simplement, le poids financier des exploitations telles qu'elles fonctionnent, avec des emprunts importants pour rembourser les machines, des prix de vente à tenir, du temps de travail à optimiser. C'est le quotidien de Florent Boulin, comme il le raconte dans l'extrait ci-dessous.
 

Dans ce contexte, les éventuelles victimes peuvent avoir le sentiment de trahir la profession. Souvent les femmes d'exploitants, un peu plus hors système, jouent un rôle déterminant pour faire ce pas de côté. Ce sont elles qui, par le biais de la comptabilité par exemple, listent les différents produits utilisés et construisent les dossiers en vue des actions en justice.
En Poitou-Charentes, depuis le premier dossier, en 2009, le tribunal des affaires sociales a reconnu le caractère professionnel des pathologies de plusieurs agriculteurs. Certains ont été accompagnés par la FNATH. Un travail de longue haleine. Depuis cette date, les études incriminant les pesticides se sont multipliées, mais l'inertie demeure.
 


Et l'environnement ?


Nous avons beaucoup parlé au printemps dernier de cette étude menée par le CNRS de Chizé dans les Deux-Sèvres autour de la disparition des oiseaux.
Évidemment, les produits chimiques qui passent dans le corps des utilisateurs entrent aussi dans les productions agricoles qu’ils sont censés protéger, et dans l’eau, dans les sols… dans l’air…

Atmo Nouvelle Aquitaine mène depuis bientôt 20 ans des mesures des résidus de pesticides dans l’air. Entre 70 et 90 substances pesticides jugées prioritaires sont recherchées. A compter de cette année, le glyphosate va être évalué.
Les mesures réalisées à l’échelle d’une année complète révèlent la présence dans l’air d’une vingtaine de molécules au minimum. Et encore aujourd’hui est détectée une molécule interdite depuis 1998, le lindane, insecticide…
Les concentrations sont plus fortes en milieu rural, mais l’air de nos villes est aussi concerné.

Ce thème a été évoqué, avec d'autres lors de notre débat, dont l'intégralité est disponible ci-dessous. 
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