A l'heure des vendanges, un constat : l'année 2018 n'a pas été de tout repos pour les viticulteurs du Bordelais. La pluie, la grêle, le dérèglement climatique et les débats autour des pesticides bousculent le vignoble qui doit faire face à ces enjeux majeurs pour son avenir.
Sylvie s'accroche, portée par son dynamisme et sa foi dans son métier, mais cette année 2018 a vraiment été une horreur, les années précédentes ont été dures aussi.
Comme le climat change, l'an dernier en 2017 on a eu zéro récolte, en 2013 on n'a pas fait de bouteille, cette année on ne va faire que 40 % de production...
A la tête de ses 10 hectares du château Vieux Mougnac, c'est l'heure des choix. Continuer, arrêter, diminuer la taille du domaine ?
Il va falloir se décider très vite car il y a la relève de sa fille derrière...
Voilà quelque temps que Sylvie Milhard-Bessard adapte son exploitation et ses pratiques. Toujours en bio, le papa a tracé la voie.
Des têtes de mort sur les bidons de produits phytosanitaires, mon père ne voulait pas s'empoisonner, ni ses clients ni sa famille...
Le fléau de 2018
Cette année 2018 donc, la terre est gorgée d'eau, il pleut sans cesse durant l'hiver dernier et au printemps. Il faut traiter à 18 reprises, en respectant le cahier des charges de l'agriculture biologique... L'ennemi, c'est le mildiou.
Les traitements sont lessivés par la pluie, l'addition s'allonge entre les produits et la main d'oeuvre. Et pourtant, Sylvie est persuadée qu'en dehors du bio, point de salut pour le Bordeaux. Selon elle, il y a urgence pour les vignerons à s'adapter à ces pratiques respectueuses de l'environnement.
"Une révolution ! Ca va aller vite. Il y a une page qui se tourne. Ça peut être une révolution quand on voit le nombre de personnes dans le vignoble qui doivent le faire... C'est inévitable, il faut se poser les questions maintenant et même il fallait se les poser avant."
Le consommateur demande du bio et tant mieux, là on ne pourra pas l'arrêter.
Sylvie Milhard-Bessard, château Vieux Mougnac, fait le constat des changements que vit sa profession :
Un combat de longue haleine
Il y a parfois de quoi baisser les bras. Marie-Lys Bibeyran, qui se bat depuis 10 ans contre l'utilisation des pesticides depuis son Médoc natal, regrette qu'il n'y ait pas d'évolution plus rapide.
On régresse même !
Marie-Lys Bibeyran fait allusion aux pratiques dans son territoire. Il y a peu encore, elle avait obtenu que les exploitations envoient un courrier aux habitants pour prévenir des traitements. Ainsi les riverains pouvaient fermer leur fenêtre au passage des tracteurs et de leurs traitements chimiques.
Mais il y a de la relâche comme elle le constate ces temps-ci...
Dix propriétaires l'ont fait, maintenant à peine trois...
Et pourtant, si de plus en plus de vignerons choisissent la voie de la culture en bio ou biodynamie, le mouvement est encore lent au goût de ceux qui portent ce combat, relayé notamment dans une première enquête de nos confrères de Cash Investigation.
L'heure n'est plus au doute sauf pour les lobbies, les fabricants de produits, ceux qui y ont un intérêt...
La nécessaire évolution, elle se fait aussi petit à petit via les ouvriers agricoles employés dans les vignes.
" Quand j'ai commencé en 2011, c'était impossible d'aborder le sujet avec un ouvrier agricole qui avait peur d'en parler. Maintenant, il y en a parmi le membre du collectif. A Listrac (Médoc), je connais un ouvrier qui vient d'être papa. Il a dit à son patron "J'arrête le traitement.". Il a eu un sacré courage. Il est affecté à d'autres tâches. "
Un temps d'adaptation réclamé par la filière
Le constat est partagé, il faut s'adapter. Les représentants du CIVB, les dirigeants de l'interprofession de la vigne, n'imaginent pas un abandon complet des produits chimiques.
Ça me semble dangereux.
explique Allan Sichel, le président du CIVB. Il préconise plutôt d'encourager les bonnes pratiques environnementales, à savoir "l'utilisation de produits moins toxiques, plus naturels". Et là, les changements climatiques déjà à l'oeuvre et observés par les viticulteurs vont encore faire évoluer le travail de la vigne. "On imagine des traitements de précision, mieux ciblés."
Le bio, il faut être convaincu, avoir une volonté de le faire, on ne peut pas l'imposer.
Car tous ne sont pas sensibles à la demande sociétale. Il faut mettre d'accord vignerons et négociants. L'enjeu est de taille car le vin génère beaucoup d'argent : 3,65 milliards d'euros en 2016 (chiffres CIVB), autant dire qu'il faut qu'il se vende bien et dans la continuité alors que les vins étrangers s'installent petit à petit sur les marchés.
On a la pleine conscience des enjeux climatiques et sociétaux mais il faut un temps d'adaptation pour entraîner tout le monde.
Les scientifiques au chevet du Bordeaux
Et cette pression toujours là : garder sa qualité, pour maintenir sa notoriété. C'est bien tout le travail engagé au sein de l'institut des sciences de la vigne et du vin qui regroupe 250 chercheurs, dans l'agglomération bordelaise. On y cherche et on y forme pour préparer l'avenir.
Nathalie Ollat, ingénieur de recherche à l'INRA au sein de cet institut, surpervise des études sur l'adaptation de différents cépages venus de toute la planète notamment. Pour résumer la démarche qui domine, en association avec les professionnels de la viticulture, voilà sa formule : " On garde le cadre géographique et on y introduit de l'innovation ".
L'un des chantiers d'étude consiste à observer 12 000 hectares autour de St-Emilion : relevé de température, selon relief, selon les vents... Comment se comporte la vigne ? Quels sont les meilleurs endroits pour cultiver sans subir les aléas ? Les scientifiques veulent savoir ce qui se passe pour mieux réagir.
Philippe Darriet lui aussi anticipe les évolutions à l'institut. Ce scientifique pilote les études sur le raisin une fois récolté, lorsqu'il va devenir vin. Autrement dit, ses recherches portent dans le domaine de l'oenologie.
C'est clair qu'on ne boira pas le même vin dans 40 ans, de même qu'il y a 40 on ne dégustait pas du tout les mêmes vins.
Il va falloir d'adapter à l'augmentation de la température moyenne donc conséquence avec à la clé une contrainte hydrique sur la vigne. Les études montrent l'impact sur la maturation des raisons en modifiant l'équilibre des arômes, la couleur des tanins. Important aussi l'impact sur la richesse en sucre qui va être plus importante et l'acidité plus faible. "Il y a des dimensions qui sont aujourd'hui favorables moins d'acidité, ça c'est bien pour la saveur et le goût du vin, et moins de caractère végétal c'est très intéressant. "
Et Philippe Darriet est aux premières loges pour présager ce qui se passera dans le chai.
Il faudra qu'on soit plus vigilant.. Qui dit raison de maturité plus avancée dit évolution du vin plus importante au cours de l'élevage et aussi en bouteille.
Pour Philippe Darriet, chercheur en oenologie, l'avenir est l'adaptation et la vigilance :
Tout le monde s'accorde pour dire que le vignoble ne sera plus jamais comme avant. Sylvie, la viticultrice à la croisée des chemins, pense que la taille du vignoble va diminuer. Il faut dire qu'il avait beaucoup augmenter ces dernières décennies pour répondre à une demande du marché.
Et puis, à l'heure des choix, les jeunes qui s'installent prennent d'autres options, c'est ce qu'elle observe :
Ce sont les jeunes qui feront bouger les choses, les jeunes n'ont pas envie d'empoisonner leurs enfants...