Entre sexualité consentie et prévention des risques d’agression, le sujet est désormais pris en compte par des professionnels qui doivent faire preuve de vigilance au quotidien. Décryptage sur ce sujet extrêmement sensible.
Le procès qui avait lieu ce jeudi 14 septembre à Tulle met en lumière une problématique connue des professionnels du grand âge. Dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), il faut pouvoir protéger un public vulnérable tout en permettant aux résidents de conserver leur liberté.
Vigilance envers les visiteurs
Pour éviter les agressions extérieures, la sécurité concerne d’abord l’accès aux établissements. Il n’y a pas de grilles à l’entrée d’un Ehpad, ni de surveillance par un vigile. Mais les allées et venues sont tout de même contrôlées. David Penneroux, directeur des Ehpad de Feytiat et du Palais-sur-Vienne, explique : "En journée, il y a toujours une personne à l’accueil. Quand il n’y a personne à l’accueil, le soir ou la nuit, les portes automatiques sont fermées, on sonne à l’extérieur et cela renvoie sur le portable d’une infirmière."
Si une intrusion se produit malgré tout, par exemple avec une fausse identité, c’est au personnel d’être attentif. Le Dr Olivia Merle, médecin coordinatrice de plusieurs Ehpad de Haute-Vienne, détaille : "Une personne qui entre dans l’établissement doit être connue. Quand c’est une personne nouvelle, avec un comportement particulier, le personnel est vigilant. Avec des visiteurs qu’on ne connaît pas, on demande une présentation dans la journée. Le fait de rester enfermé dans une chambre, ce n’est pas autorisé si on ne sait pas qui c’est."
Le personnel sensibilisé
Certaines agressions peuvent venir du personnel. Dans ce cas, c’est le travail d’équipe qui prime pour intervenir. Selon David Penneroux, "Quand on est témoin de violences, on a une obligation de la signaler, sinon on est mal traitant nous-même."
Dans un premier temps, le professionnel qui constate la violence en parle à ses collègues et au directeur, qui rencontre la personne et peut prendre des mesures disciplinaires. Si la situation est grave, la déclaration peut remonter à l’Agence Régionale de Santé ou au procureur de la République.
Véronique Demaison, directrice des Ehpad de Couzeix, Panazol et Nieul, ajoute : "On rappelle régulièrement au personnel tous les risques encourus. On les tient informés de ce qui peut leur arriver en cas de problème. Il faut protéger les résidents parce que ce sont des personnes vulnérables."
S’il n’y a pas de témoins, comment détecter des cas de violence ? La réponse n'est pas évidente, car les résidents sont âgés, pas forcément en capacité de s’exprimer, et parfois atteints de démence. Olivia Merle explique : "On le voit sur des réflexes de défense. Une personne qui a été agressée a un réflexe de défense, que ce soit pour des coups physiques ou un viol. On voit aussi un changement de comportement, par exemple quelqu’un d’enjoué qui se renferme. C’est le syndrome de glissement de la personne âgée. On est très vigilants." Véronique Demaison confirme : "On doit détecter un changement d'attitude chez un résident qui peut être perturbé, qui ne va plus s’alimenter."
Quel consentement entre résidents ?
Mais l’auteur de l’agression peut aussi être un résident. Dans ce cas, la situation peut paraître complexe, car la sexualité des personnes âgées est souvent perçue comme un sujet tabou. Pour Stephan Meyer, médecin en Ehpad, la règle est claire : "La sexualité dans les Ehpad est libre si elle est consentie."
Comment savoir s'il y a consentement ? "Le non-verbal existe. Je peux vous dire que quelqu’un qui a envie de se laisser approcher, même dément, ça se voit très vite."
Olivia Merle confirme : "Honnêtement, c’est très simple à reconnaitre. Quand c’est consenti, la personne va bien." Mais pour Véronique Demaison, le sujet demande une attention particulière : "Si on voit une relation avec une personne démente ou qui ne peut pas donner son consentement, on est très vigilant. La famille peut être associée à cette réflexion."
Seulement "30 % des violences déclarées"
Difficile de connaître la fréquence de ces situations.
La fédération "3977" contre les maltraitances recueille, à ce numéro, des déclarations de violences et de négligences contre les personnes fragiles. En 2021, les violences sexuelles subies par les personnes âgées représentaient moins de 3 % des violences déclarées, la grande majorité étant des négligences passives ou liées aux soins. En 2022, sur la France entière, l’association a compté 46 dossiers de maltraitances sexuelles en Ehpad sur 8 500 dossiers ouverts. Sa représentante analyse : "C’est quand même une omerta par rapport à ce genre de violence. On estime qu’en France, il n’y a que 5 % des maltraitances qui sont signalées."
Même sentiment chez Olivia Merle qui avance un autre chiffre. Selon elle, seules 30 % des violences sexuelles en Ehpad sont déclarées, pas forcément pour les raisons qu’on imagine : "Une personne qui a toute sa tête et qui est agressée n’en parlera peut-être pas. Pour cacher son agression, parce qu’elle a honte."
Il faut également gérer des attitudes liées aux pathologies des résidents, qui s’éloignent des conventions sociales : "8 % des résidents ont une désinhibition sexuelle avec des comportements… inadaptés. Quand ce sont des hommes, il peut y avoir des agressions. Quand ce trouble est diagnostiqué, on le voit évidemment très vite. Ça pouvait être sous-jacent dans la vie de la personne."
Vers la fin d’un tabou ?
La sexualité consentie en Ehpad n’est pas, en soi, un problème : elle fait partie de la vie. Véronique Demaison raconte : "On est dans une collectivité avec des êtres humains qui ont eu une vie, et qui ont encore des désirs et des attentes. Ils ont besoin de partager des choses, de la tendresse aussi, des relations humaines." Olivia Merle en témoigne également : "On sait qu’il y a des relations sexuelles à l’Ehpad, même pour des personnes mariées à l’extérieur."
La vigilance face aux agressions sexuelles ne doit pas empêcher la vie de suivre son cours. Pour Olivia Merle, le médecin doit ainsi pouvoir garder du recul : "Si on ouvre la porte d’une chambre et que deux résidents partagent le même lit, on peut aussi simplement refermer discrètement. Nous devons savoir analyser les comportements pour repérer si un rapport est consenti ou pas, mais il y a un droit à l’intimité qui ne concerne pas forcément les personnes extérieures, ou même les familles."