Comment se porte le premier employeur privé de Limoges en ces temps de crise sanitaire ? Plutôt rare dans les médias, le Directeur Général de Legrand, spécialiste mondial des infrastructures électriques et numériques du bâtiment, nous a accordés un entretien.
Le groupe Legrand compte 38 000 salariés dans le monde (90 pays), 5000 en France dont 2200 travaillent en Limousin et notamment au siège social à Limoges.
Entretien avec le Directeur Général Benoît Coquart.
Une réorganisation du travail
Face à cette crise sanitaire mondiale d’ampleur inédite, nous nous sommes mobilisés afin d’assurer en priorité la santé et la sécurité de nos collaborateurs tout en respectant nos engagements envers l’ensemble des parties prenantes.
Si l'on peut éviter autant que faire se peut d'utiliser les dispositifs de report des charges, de prêt garanti par l'Etat, ou de chômage partiel. Nous ne l'avons pas fait car souhaitions préserver la rémunération des salariés et un groupe comme le nôtre qui est en bonne santé n'a pas à faire appel à ce dispositif.
Nous avons demandé des efforts aux salariés, dans le cadre d'un accord signé par trois syndicats sur quatre (CFDT, CFE-CGC, FO), nous avons mis en place des semaines mixtes, avec par exemple deux jours de congés et trois jours travaillés".
Pas de hausse des dividendes versés aux actionnaires
"La hausse de 6% des dividendes a été annulée. Lors de notre assemblée générale des actionnaires prévue en visio-conférence le 27 mai 2020, notre proposition de dividende au titre de l’exercice 2019 sera ramenée à 1,34€, soit le même niveau que l’année précédente, contre 1,42€ initialement proposé.
Je précise qu'il est possible de faire du chômage partiel et de verser des dividendes : d'ailleurs, si cela avait été une question de survie, nous aurions suspendu nos dividendes, mais je considère qu'avoir des actionnaires solides, satisfaits et fidèles, c'est une force. La situation économique des entreprises qui ne versent pas de dividendes (NDLR : Airbus, Bouygues ou Renault) n'est pas la même que la nôtre."
Un gel des embauches et des augmentations maintenues
"En 2009, la crise avait été grave avec près de 3% de PIB en moins pour la France, aujourd'hui des chiffres officiels annoncent que cela pourrait être 3 fois pire, avec une récession très forte.
NDLR : A la question de savoir s'il y aura des licenciements, pas de réponse.
Nous allons prendre des mesures d'adaptation à la crise avec un gel des embauches, la réduction du nombre d'intérimaires et de CDD et la baisse de certains budgets comme la communication, elle se feront dans le respect du modèle social de Legrand.
Ma rémunération annuelle totale (à savoir 700 000 euros bruts auxquels s'ajoutent 700 000 euros sous forme de bonus) va être réduite de - 25% et la rémunération fixe au titre de 2020 de l’équipe de Direction sera gelée.
Par ailleurs, nous avons décidé de maintenir l'augmentation générale d'avril ainsi que les mesures individuelles pour les salariés, pour un montant total de 2,8 %".
Un contexte très dégradé
"Dans de nombreux pays, la mi-mars a été un vrai coup d'arrêt, mais on a clairement vu des stratégies de confinement différentes entre l'Europe du sud où les baisses de vente ont été fortes et l'Europe du nord où certains pays ont continué à faire de la croissance.
Nos ventes sont en retrait de - 7,4% au premier trimestre 2020. Elles ont toutefois progressé dans un nombre limité de pays, comme en Allemagne ou encore aux Pays-Bas.
Nos objectifs de chiffre annuels qui sont d'habitude annoncés en février ont été suspendus le 26 mars 2020."
Un net recul en avril
"Le recul des ventes s’est confirmé au cours du mois d’avril 2020, avec une baisse sur le mois seul de - 41%. C'est un chiffre global, et l'on peut dire qu'en France, cette baisse est encore plus importante.
Nous anticipons un retrait marqué de l’activité au deuxième trimestre. Sous réserve d'une évolution favorable de la situation sanitaire mondiale, le deuxième semestre de l’année devrait montrer une amélioration séquentielle.
Nous avons travaillé afin d'assurer une continuité de service à destination de nos clients dont l’activité est essentielle au fonctionnement de l’économie : hôpitaux, data centers, usines ou même chantiers qui n'étaient pas forcément à l'arrêt dans tous les pays. Nous avons même livré des pièces de respirateurs en France ou fait don de systèmes de vidéoconférence à des maisons de retraite aux Pays-Bas.
Nous avons également annoncé la création d’un fonds solidaire dédié aux maisons médicalisées pour personnes âgées, comme les EHPAD en France, en venant en aide aux patients et aux personnels travaillant dans ces établissements.
Au 5 mai 2020, la quasi-totalité des centres logistiques de Legrand sont d'ailleurs ouverts et les services de support aux clients sont opérationnels dans la plupart des implantations du groupe.
La stratégie vue par les syndicats
Pour Michel Robert, délégué CFDT depuis 12 ans chez Legrand et signataire de l'accord du 2 avril 2020 sur la reprise du travail, si les salariés sont rassurés sur la situation sanitaire, cela reste angoissant pour le côté économique. "Les chiffres sont bons, certes, mais il faudra surtout voir avril et mai, ça dépendra de la reprise du bâtiment. Ce qui est important pour nous, c'est que cet accord a permis de fixer un nombre maximum de jours imposés dans un contexte législatif évolutif, donc on a sécurisé jusqu'à un maximum de 10 jours négatifs, pas de menace sur l'emploi, un minimum garanti de 90% du salaire.L'enjeu était énorme pour nous au moment des négociations, émotionnellement, psychologiquement, on n'avait jamais vécu ça : certains salariés ont paniqué au début, avec des comportements irrationnels parfois. Concernant les dividendes versés, la direction prend ses responsabilités, tant qu'aucun emploi n'est supprimé..."
Lionel Guy est délégué CGT, le seul syndicat qui n'a pas signé l'accord du 2 avril sur la reprise du travail chez Legrand. Il est aussi membre de la commission de santé, sécurité et conditions de travail (ex-CHSCT). Pour lui, de nombreux problèmes demeurent dans l'entreprise, comme le fait que certains salariés n'ont toujours pas repris le travail depuis le 17 mars. "Certains sont à moins 100 heures, s'alarme-t-il, quand je fais les inspections je vois bien que de nombreux services n'ont pas rouvert. Le but de la direction, c'est de nous faire vider tous les compteurs : RTT, CET (compte-épargne-temps), certains ont déjà empiété sur les congés de 2021".
Selon le délégué syndical, "verser des dividendes en cette période, c'est désastreux pour l'image de Legrand. Que M. Coquart baisse sa rémunération de 25 %, c'est bien, disons que je ne m'inquiète pas pour lui, mais je m'attendais à des engagements plus forts de sa part. Quand il dit qu'il n'y aura pas de licenciement, j'y crois, bien sûr, mais c'est parce qu'on est déjà à flux tendus, avec une moyenne d'âge élevée chez les salariés..."