Alors que le nombre de cas signalés augmente au niveau national, les plaintes enregistrées en Haute-Vienne sont en légère baisse. Des chiffres qui ne doivent sans doute pas révéler la réalité. Difficile d'en parler pendant le confinement. Les pharmacies deviennent un relais possible.
Le nombre de signalements de violences familiales a bondi de plus de 30 % au niveau national durant les premières semaines de confinement. Un constat que ne font pas les autorités en Haute-Vienne. Peu de plaintes sont enregistrées au commissariat de Limoges et en zone gendarmerie. Il existe des interventions et des comparutions immédiates, mais elles sont même en baisse par rapport à l'avant confinement. Les autorités ne baissent pas en revanche la garde, au contraire. Car des plaintes qui n'augmentent pas, voire qui baissent, ne disent pas que les faits de violence, eux, n'existent pas.
Des faits non révélés ?
Le procureur de la République du tribunal judiciaire de Limoges, Jean-Philippe Rivaud, se dit inquiet. Cette diminution du nombre de plaintes enregistrées au commissariat de police de Limoges et en zone gendarmerie peut ne pas révéler la réalité du terrain.
L'association France Victimes 87 reçoit en effet trois à quatre appels téléphoniques par jour de femmes qui font le pas de se confier. La semaine dernière, 40 appels portaient sur des violences conjugales, des situations suivies et des situations nouvelles. Cette semaine en trois jours, 4. Pour ces quatre situations, quatre plaintes ont été déposées, soit en ligne, soit par téléphone auprès du commissariat et ensuite elles se sont déplacées pour signer cette plainte.
"Pour l'une de ces situations, une femme et ses trois enfants ont souhaité quitté le domicile conjugal. Ils ont été pris en charge et un hébergement leur a été trouvé par l'ARSL. Nous constatons quand même que de plus en plus de femmes vont jusqu'à la plainte" précise Catherine Boisseau, psychologue à France Victimes 87, mais elle ne veut pas parler d'augmentation, c'est juste concentré pendant cette période.
D'autres femmes abandonnent le dépôt de plainte devant certaines considérations : ce que vont penser des membres de la famille, les difficultés économiques... Des freins déjà compréhensibles en temps normal, encore plus en cette période inédite : le conjoint qui accepterait de quitter le domicile conjugal ne peut se rendre ni en hôtel, ni chez des amis... où aller ? La réponse a la même évidence pour toute femme qui déciderait de quitter son mari ou concubin violent si elle ne veut pas de place en hébergement social.
Le Procureur de la République a ainsi demandé ce lundi à l'ensemble des effectifs policiers et gendarmes en patrouille sur la Haute-Vienne de se montrer particulièrement vigilants. Il y a en effet d'un côté, les situations familiales compliquées déjà connues et suivies par les services, et de l'autre, des violences qui pourraient apparaître dans des familles en lien direct avec la situation de confinement.
Un rythme de vie perturbé, plus d'occupations extérieures par le travail ou le sport, plus de longues sorties en famille le week-end pour décompresser, la tension peut monter, individuellement et collectivement. Ces trois semaines, où la cellule familiale se retrouve concentrée 24h/24, peuvent aujourd'hui conduire à l'éclatement d'humeurs pouvant dégénérer au domicile. "Ce sont des violences physiques ou psychiques pouvant s'exercer sur la femme et les enfants, soit directement ou indirectement, car des enfants témoins de violences sur leur maman par leur papa sont aussi des victimes" souligne le procureur de la République de Limoges.
Voici par exemple une situation constatée par un internaute mercredi 1er avril vers 22h rue du collège à Limoges, et rapportée ainsi :
"j'ai vu de ma fenêtre une petite fille de 10 ans à peine, courant nu-pieds en pleine rue, en pleurs, terrorisée. Elle criait. Elle a tenté d’arrêter une voiture. J'ai entendu "au secours, mon papa frappe maman, il l’a jetée dans l’escalier". J'ai vu la police municipale, nationale et la BAC arriver en moins de deux minutes sur les lieux. Au troisième étage de l'immeuble, l’homme a expliqué qu’il s’était disputé avec sa compagne. J'ai vu la dame sortir de l’immeuble avec son autre enfant dans les bras. Elle est monté dans sa voiture avec ses deux enfants. Elle a dit qu'elle partait à la campagne chez de la famille. Le Policier nous a dit qu'elle ne portait pas plainte."
Une attention renforcée
Le procureur de la République de Limoges a ainsi pris quelques dispositions supplémentaires eu égard à cette situation de confinement. Il vient de renforcer les liens entre l'association France Victimes 87 et les services de police et de gendarmerie, en leur demandant de se communiquer les cas signalés via une adresse mail et un numéro de téléphone dédiés à ce sujet.
La réactivité est à leurs yeux une première réponse, mais il ne faudrait pas penser que l'intervention d'un tiers, policier, gendarme ou psychologue, puisse mettre fin à une situation de violence.
"C'est toujours du cas par cas et toujours une stratégie à étudier avant" souligne Eric Gigou, directeur de la DDSP de la Creuse. "Nous savons, hélas par expérience, que dans les situations de violences intra-familiales et conjugales, nous avons souvent à faire à des hommes qui nient, qui peuvent être extrêmement retors, malins, qui savent cacher leur vraie nature et cacher la nature même des violences. Or, sans preuve matérielle ou d'aveux, toute procédure pour poursuivre a peu de chances d'aboutir. Hors flagrant délit, il faut donc investiguer et prendre du temps pour "monter" le dossier".
Un relais pour en parler dans les pharmacies
Le Procureur de la République, Jean-Philippe Rivaud, vient également de se rapprocher du Conseil de l'Ordre des pharmaciens d'officines de la Haute-Vienne pour mettre en place les directives du Ministère de l'Intérieur et de l'Ordre national des pharmaciens.
Les pharmacies deviennent en effet des lieux d'alerte. Leur proximité sur le territoire, leurs horaires d'ouverture, parfois 24h/24 et 7j/7 font des officines des points d'appui possibles pour recueillir la parole d'une victime ou d'un témoin et pour alerter les forces de l’ordre.
Il s'agit d'une situation inédite, bien accueillie par les pharmaciens. Soucieux de répondre au mieux à cette nouvelle mission, la profession s'est inquiétée des modalités de sa mise en place. Des affiches ont été mises à leur disposition pour une visibilité dès leur hall d'accueil. Les pharmaciens sont également invités à aménager un bureau d'accueil, pour recevoir la personne qui souhaiterait parler d'une situation d'urgence en toute discrétion. En aucune manière, il ne leur est demandé d'intervenir ou de procéder à une audition comme pourrait le faire un gendarme ou un policier, mais simplement de remplir une fiche de renseignements élémentaires pour procéder, si la personne l'accepte et uniquement si la personne l'accepte, à un signalement auprès des autorités.
Fiche réflexe des Pharmacies pour les violences intra-familiales
En pratique, certaines ne pourront être ce relais, n'ayant pas, par exemple, suffisamment de personnel présent ou ayant fermé leur accès au public, en ne proposant plus qu'un contact "passe-plat" à l'extérieur de la pharmacie.
En Haute-Vienne, deux pharmaciens membres du Conseil de l'Ordre ont été désignés référents sur le sujet, et feront ainsi remonter le nombre de situations ainsi signalées auprès des services de police ou de gendarmerie.
Un fait de société préoccupant, mais un sentiment d'impuissance
Informer sur le caractère inacceptable des violences au sein de la famille est la mission quotidienne des CIDFF, les Centres d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles. Il en existe dans chaque département.
Les campagnes de sensibilisation se succèdent, plus ou moins importantes selon les intentions gouvernementales.
Maryse Dubois, Présidente du CIDFF 87 à Limoges, le reconnait cependant "nous aurons beau multiplier les affiches et les campagnes d'information, créer tous les 3919 qu'on veut, tant qu'on ne s'intéressera pas frontalement à l'égalité homme-femme dès l'éducation des plus jeunes, au regard aussi des hommes sur la place de ces violences au sein de la société, on verra les années passer en constatant que les choses ne changent pas vraiment".
Pour l'heure, la première réponse données aux femmes aujourd'hui en détresse est au moins de se manifester, de quelque manière que ce soit, pour se faire connaître et faire connaître la situation qu'elle vit à cause de son conjoint. Un accompagnement et une stratégie pourront alors lui être proposés pour qu'elle soit protégée, elle et ses enfants.
"Les mesures d'éloignement de l'homme violent existent. 20 000 nuités d'hôtel sont à la disposition en France des autorités pour éloigner le conjoint du domicile familial. Mais il est vrai que, par facilité, c'est encore trop la femme et les enfants qui doivent partir se mettre à l'abri, parfois dans un foyer lorsqu'il y en a qui peuvent les recevoir, et c'est inacceptable en soi, c'est au conjoint violent de partir" poursuit Maryse Dubois.
Des téléphones grand danger sont également confiés à l'association France Victimes 87, qui les donne aux femmes concernées par ce danger. Actuellement, 5 sont ainsi mis à la disposition de femmes dont les situations répondent aux critères d'attribution en Haute-Vienne. Elles peuvent à tout moment lancer une alerte qui déclencherait immédiatement l'intervention de policiers ou de gendarmes.
Eloignement et confinement
Sauf que naturellement en période de confinement, tout se complique, y compris dans la prévention des violences.
Catherine, une internaute, nous a par exemple confié les difficultés qu'elle a rencontrées en souhaitant mettre un terme à sa relation conjugale de 18 mois.
"Mon conjoint et moi-même vivons sous le même toit mais c'est en fait une maison qui m'appartient. Notre relation n'allait pas très bien avant le confinement mais elle s'est depuis très vite dégradée. Notre communauté de vie n'est plus possible, je crains que cela dégénère. Il est d'accord pour s'en aller, des amis sont prêts à l'accueillir en Bretagne. Un ami policier m'a conseillé de me renseigner auprès de ma mairie qui aurait pu faire un papier officiel de séparation mais quand je les ai appelés, ils sont tombés des nues. La personne que j'ai eue à la mairie m'a promis de me rappeler une fois qu'elle se serait renseignée, mais c'est en réalité la gendarmerie qui m'a rappellée, me demandant d'attendre la fin du confinement, car ce cas de figure ne rentrait pas dans les cas de l'attestation de sortie".
Renseignement pris auprès des autorités judiciaires, il est, dans ce cas, possible de déposer une main courante dans un commissariat ou auprès d'une brigade de gendarmerie pour signaler la fin de la vie commune et les adresses respectives des conjoints. Muni de la copie de cette maincourante ou de son numéro/date, le conjoint peut justifier ensuite son déplacement "au titre d'un motif familial impérieux."
Le délit de non assistance à personne en danger
Rappelons qu'une personne témoin de faits de violences qui s'abstiendrait de le signaler peut être poursuivie pour délit de non assistance à personne en danger. Cette infraction est sanctionné par une peine maximale de 5 ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende, outre les peines complémentaires de l'article 223-16 du code pénal.Il faut qu'une personne soit en péril et que ce péril ait un caractère grave et immédiat. Il y a délit si l'abstention de porter secours est volontaire alors que l'assistance était possible, sans risque pour la personne qui donne cette assistance. Il est important de retenir que l'infraction sanctionne le comportement, par inaction ou inertie, plus que le résultat de cette assistance.