Le docteur Dominique Cailloce est responsable du SAMU 87 à Limoges. Pendant cette crise du Coronavirus, il nous livre régulièrement son ressenti, raconte comment son équipe et le personnel du CHU gèrent cette situation d’urgence inédite.
Pour ce 3eme entretien, le docteur Dominique Cailloce revient sur l'impressionnante logistique des transferts de patients atteints du Covid-19 depuis les hôpitaux saturés des régions les plus touchées et sur l'importance du respect du confinement. Il s'interroge aussi sur ce que nous réserve les mois à venir et la nécessité de cultiver l'espoir.
L’impressionnant travail d’organisation pour le transfert de patients
"On a une équipe renforcée qui est partie jeudi après-midi [9 avril 2020]sur Paris. Ils ont passé la nuit sur place et se sont levé à 4h du matin pour commencer à prendre en charge des patients dans le service de réanimation d’un hôpital en Seine-Saint-Denis. Ils ont quitté Paris en fin de matinée et sont arrivés sur Poitiers à 12h53. Là on était sur place pour les attendre, il y avait plus de 200 personnes. Avec des associations présentes pour aider au brancardage à la sortie des patients du train, des sapeurs-pompiers, la gendarmerie pour sécuriser le site."
C’est une organisation qui commence à devenir un peu rodée, ça reste très impressionnant, imaginez plus d’une vingtaine d’ambulance sur le quai. Les transferts sont effectués en un temps record, les derniers patients sont sortis du train 30 minutes après son arrivée.
"C’était très bien organisé par nos confrères du SAMU 86, nous avons pris en charge 3 patients, dirigés dans notre hôpital à Limoges avec un convoi d’ambulances sécurisé sur tout le trajet par la gendarmerie. Avec notre hélicoptère et celui de nos collègues de Poitiers, 2 autres patients ont été acheminés à Brive. Ça demande énormément de préparation d’autant qu’on est prévenu au dernier moment, ce n’est pas une organisation de transfert habituelle. Une cellule nationale coordonne tout cela et gère cette répartition."
Les 1ers patients transférés venaient de Colmar, 3 rotations à l’aide d’un avion civil aménagé pour la circonstance. Puis nous avons eu 2 autres patients, arrivés par train jusqu’à Poitiers, et maintenant ces 3 patients de la région parisienne. Pour l’avenir et d’autres transferts, il faut se poser la question d’un transport par avion militaire qui pourrait se poser à Limoges car c’est une mobilisation d’équipes incroyable, que ce soit au niveau du SAMU avec les assistants de régulation médicale et les médecins régulateurs ou que ça soit au niveau du SMUR avec les ambulanciers, les infirmiers, les médecins.
C’est une organisation qu’il faut que l’on déploie en quelques heures, tout en assurant nos missions au quotidien, donc ça demande un investissement personnel important. Les équipes sont remarquables, je le souligne. Quand vous êtes prévenu au dernier moment, il faut des capacités de réactivité et on les a, tout le monde est volontaire. Mais il faut organiser tout ça, faire du rappel de personnel.
On voit les transferts les patients qui arrivent sur le quai de la gare mais ce qu’on ne voit pas c’est toute la préparation matérielle que cela nécessite, toute la logistique, tout le matériel de réanimation qui pèse plusieurs dizaines de kilos. Et après ça ne s’arrête pas à l’arrivée d’un patient dans le service de réanimation, il y a ensuite la désinfection des ambulances, des hélicoptères, c’est un travail qui se prolonge au-delà de la mission. On sait faire ça, mais c’est le délai de préparation qui est très court pour toutes les équipes hospitalières et extra-hospitalières. Dans l’urgence c’est un gros travail de préparation.
Les soins aux patients sortis de réanimation
Parmi les premiers patients de Colmar que nous avons accueilli, plusieurs sont sortis. Ils sont en Creuse, à Ste-Feyre, dans une unité spécialisée en pneumologie où il y a un ancien réanimateur du CHU. Ils sont en réadaptation, c’est la 2eme phase. Si tout se passe bien ils rentreront directement chez eux. Mais cela dépend de chacun, de la capacité des personnes à bien réagir, à supporter cette période longue en réanimation.Ces patients, on dit qu’on les "curarise", on leur administre des produits d’anesthésie pour les empêcher de respirer naturellement et laisser les machines, les respirateurs, s’occuper entièrement de leur respiration. C’est bien différent d’une anesthésie pour une opération qui peut durer quelques minutes et jusqu’à quelques heures maximum, là ça va durer des jours et ça entraîne aussi des complications, ce n’est pas anodin.
Le réveil se fait progressivement, les réanimateurs maîtrisent parfaitement ces technique. Il faut contrôler leur état respiratoire et l’état musculaire général, car tout a été paralysé pendant plusieurs jours et donc il y a une réadaptation nécessaire.
Quand l’exceptionnel devient la norme
On continue notre travail, les mesures exceptionnelles qui ont été prises s’inscrive un peu maintenant dans une routine, avec les urgences conventionnelles et les urgences COVID sur 2 circuits séparés. Le Samu est renforcé par des équipes d’étudiants et d’internes, le Smur a également augmenté ses capacités. Ce sont des équipes motivées, ensemble on a en quelque sorte pris l’habitude de ces mesures exceptionnelles, mais en espérant que cela ne se prolonge pas durant des mois et des mois parce que l’énergie des gens peut s’épuiser.Pour le moment, ce que l’on vit augmente la cohésion dans les équipes parce qu’on a tous le même but : prendre en charge de façon correcte les patients atteints du Covid et continuer de prendre en charge de façon correcte les autres patients, ceux que nous prenons en charge d’habitude.
Sur ces urgences classiques, ça reste très calme. Il y a une reprise légère dans la prise en charge des infarctus, un petit peu de traumatologie, mais cela reste bien en-deçà de ce qu’on connaît habituellement. Ca reste une inquiétude de savoir si les patients n’osent pas appeler de peur de déranger ou s’ils craignent d’être au contact du Covid en se rendant à l’hôpital, ce n’est pourtant pas le cas car les circuits sont bien identifiés.
Pour contenir l’épidémie, ne pas baisser la garde au niveau du confinement
On a cette chance d’avoir pu bénéficier pleinement des mesures de confinement prise au niveau national par rapport aux régions qui étaient déjà en difficulté. On a parlé de tsunami puis on a parlé de vagues, moi j’ai parlé de marée montante. Nous sommes toujours dans cette marée montante. Ce n’est pas une explosion, mais ont reste très attentif.Actuellement, en Limousin, on regarde particulièrement les EHPAD car ce sont des patients à risque. On a aussi des personnels, les soignants et les autres, qui sont atteints. Cela va être difficile et parfois très difficile pour eux. Une attention extrême est porté à aux établissements médico-sociaux, et il ne faut pas baisser la garde. Je remarque que quand je vais au CHU et quand je sors du CHU, il y a un peu plus de circulation : il faut absolument respecter les mesures de confinement car c’est ce qui permet d’éviter la propagation.
Je n’ai pas à me prononcer sur la durée du confinement j’ai simplement à dire que le confinement est absolument nécessaire. Ne pas le respecter, c’est mettre en danger sa santé et celle des autres, en particulier la santé de personnes fragiles. Les mesures barrières sont essentielles.
Il ne faut pas baisser la garde maintenant et il faudra pas baisser la garde demain. Je comprends que pour plein de personnes ce soit extraordinairement difficile à vivre. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir une maison, un jardin, ceux qui sont en appartement, à plusieurs, avec les enfants. C’est vrai c’est difficile, d’autant que ce sont les vacances de printemps, il fait beau, mais il faut vraiment avoir l’esprit qu’il faut absolument ne pas baisser la garde.
Ne pas baisser la garde, c’est vrai aussi pour nous, pour les soignants et tous ceux qui travaillent dans les établissements hospitaliers. On fait très attention, mais il peut y avoir des relâchements lors des pauses, quand on va prendre un café. Vous enlevez votre masque et c’est là aussi où on peut voir les transmissions, tout le personnel doit avoir en tête qu’il ne faut pas baisser la garde, le virus ne prend pas de pause.
Un avenir impossible à définir
Moi, ce qui me rend relativement optimiste, c’est qu’on ne subit un tsunami, et je n’ai rien qui me rende pessimiste. Simplement : demain est une inconnue. Si on prend des exemples d’épidémies, il y a toujours eu plusieurs vagues, donc qu’est-ce que sera l’été ? Que seront l’automne et l’hiver prochain ? Comment va se comporter ce virus ? Pour le moment on n’en sait rien, dans un sens ou dans un autre, on ne peut pas se projeter.
Je rappellerai quand même, c’était à la fin des années 60, j’avais moi-même une dizaine d’années, il y a eu l’épidémie de grippe venue de Hong-Kong. Elle avait fait quand même entre 30 et 40 000 morts. Je ne sais pas si beaucoup de gens s’en souviennent. Alors est-ce dans 30 ans on se souviendra de l’épisode de covid-19 ? Je ne sais pas non plus.
Tout va très vite dans notre société et ça va tellement vite que les gens ne se retournent pas sur le passé, pourtant il faut prendre en compte le passé pour se projeter sur l’avenir. Avec ce Covid 19, on n’a pas de passé, on a donc du mal à tirer des conclusions pour préparer l’avenir. Mais on n’a jamais vécu de mesures de confinements comme celles-ci, et ce sera important de s’en souvenir parce que cela sera peut-être amené à se répéter.
Se protéger ensemble contre les épidémies
Je pense aussi que le citoyen lambda, à l’automne prochain, il sera peut-être vacciné contre la grippe, que les gens prendront conscience que les vaccins sont utiles. Sans faire de plans sur la comète, je pense que s’il y a un vaccin qui sort pour le coronavirus, ça va être une ruée et se sera une bonne chose
On a tellement entendu de choses sur les vaccins, les anti-vaccins, de choses stupides, que enfin les gens vont peut-être comprendre que la manière d’éviter une maladie c’est la vaccination. Avec le respect de règles d’hygiène et si on fait ça pour la grippe, on aurait une épidémie beaucoup moins forte que d’habitude et on protégerait nos parents, nos enfants, la population