Chaque année, 7000 familles en France sont confrontées à la douleur de perdre un enfant pendant la grossesse ou juste après l'accouchement. A Limoges, une association s'est créée récemment pour aider les parents, notamment à travers des groupes de paroles, à surmonter cette épreuve.
Le 15 octobre est une date particulière pour certaines familles. C'est la journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal.
Pour la première fois cette année, les familles de Limoges et alentours ont pu se recueillir dans un espace spécialement aménagé au jardin du souvenir, à l'arrière du crématorium de Landouge.
Deux oeuvres y ont été installées : un arbre en porcelaine qui porte des guirlandes d'étoiles et de coeurs, et une fusée en bois où les familles peuvent déposer rubans et messages.
Un espace dédié, qui participe à la reconnaissance du deuil périnatal, encore trop souvent considéré comme un sujet tabou.
"Les parents qui vivent ce deuil ont projeté toute une vie dans cet enfant, ils le portent au plus profond d'eux-mêmes, et à partir du moment où l'enfant décède, son existence est comme rayée de la carte, balayée d'un revers de la main, il est minimisé, c'est quasi un non-événement, il disparait des conversations familiales, de l'entourage, de la société, il disparait des formalités administratives. Et pour autant, le parent a son enfant dans son coeur et n'est pas reconnu comme tel", explique Anne Roussely-Tardien, maman - comme elle se présente - de deux enfants : "une grande fille qui a 8 ans et un petit garçon qui aurait eu 5 ans".
En parler pour faire vivre l'enfant disparu
Ce petit garçon, Sacha, a inspiré le nom de l'association "Sach'Anges"créée en février 2020 par Anne Roussely-Tardien et d'autres parents confrontés au deuil périnatal.
Une fois par mois, les parents qui le souhaitent se retrouvent à l'Espace Familles de Limoges, pour un groupe de paroles animé par une psychologue de l'Hôpital Mère-Enfant.
"Ce thème du deuil périnatal fait partie intégrante de la parentalité. C'est une épreuve qui arrive dans la vie d'un parent, et il est tout à fait normal que ce sujet puisse être traité dans notre espace ouvert à toutes les familles", explique Céline Broussaud, responsable Petite enfance des PEP87, gestionnaire de l'espace familles.
Ce jour-là, elles sont quatre à échanger sur cette expérience douloureuse commune. La gène de leurs interlocuteurs quand elles parlent de l'enfant décédé, la transparence sur l'histoire familiale avec leurs autres enfants, la perte de confiance en elles et leur corps... Beaucoup de sujets sont abordés très librement.
"Quand ça m'est arrivé, je me suis sentie très seule", raconte Christelle, qui a perdu sa fille aînée dix jours après un accouchement déclenché en urgence, "La mort d'un enfant, on n'ose pas en parler, c'est très tabou, on ne veut pas l'imposer aux autres, alors qu'on a envie d'en parler, car on besoin de faire exister l'enfant qui n'est pas là."
Participer à ce groupe de paroles, avec d'autres mamans qui partagent cette même douleur intime, l'a beaucoup aidée.
Un deuil particulier
Psychologue à l'Hôpital Mère Enfant, où elle intervient également sur cette thématique, Véronique Matl souligne le caractère particulier du deuil périnatal : "C'est un événement imprévisible, associé à un lien affectif très fort entre le parent et l'enfant à naître, ce qui amène une charge émotionnelle très importante. C'est traumatique aussi parce que ce n'est pas reconnu, ou peu, par l'entourage, la société. Parfois, l'enfant n'est pas sorti de l'hôpital, et l'entourage ne l'a pas connu. Les parents ont alors l'impression de vivre quelque chose d'irréel, car il n'y a pas de trace".
Pour Maria, qui a perdu l'aîné de ses trois fils il y a 9 ans, après trois semaines en soins intensifs, la douleur ne s'estompe pas. Aujourd'hui encore, elle dit vivre des moments difficiles à chaque date anniversaire de la naissance de Gaëtan, et avoir besoin de partir en famille loin des regards gênés et des mots parfois maladroits. "Certaines personnes ne comprennent pas qu'on ne remplace pas un enfant. C'est un sujet tellement tabou dans la société que les gens ont des mots qui peuvent parfois faire mal, comme "Il n'a pas vécu, c'est pas grave, tu en auras d'autres..." Jamais on ne dit à quelqu'un qui a perdu un époux ou une épouse qu'il en trouvera un autre !"
Le deuil périnatal soulève beaucoup de questions éthiques et juridiques. A quel moment le foetus disparu peut-il avoir un statut, une existence administrative ? Pourquoi n'existe-t-il aucun mot pour désigner les parents confrontés à cette épreuve, comme on parle des "orphelins" ou des "veufs" ?
L'absence de terme spécifique ne fait que nier un peu plus l'événement traumatique qui structurera désormais leur vie.
Comme beaucoup nous l'ont dit : "On ne fait jamais le deuil d'un enfant, mais on doit vivre avec toute sa vie"...