C'est le onzième carnet de bord de la création de Dom Juan ou le Festin de pierre. Ce nouveau spectacle est proposé par le théâtre de l'Union et l'académie supérieure professionnelle de théâtre du Limousin. Cette adaptation originale du mythe de Dom Juan est présentée jusqu'au 29 mars.
Voici le onzième carnet de bord proposé par l'académie de l'Union à Limoges. Ces carnets nous proposent l'histoire d'une création, celle de Dom Juan ou le Festin de pierre. Cette pièce est la nouvelle création de Jean Lambert-wild, le directeur du Théâtre de l'Union de Limoges et de Lorrenzo Malaguerra.
Ce spectacle revisite le mythe de Dom Juan. Sur scène jusqu'au 29 mars 2019, quatre des dix-sept jeunes comédiennes et comédiens de l’Ecole Supérieure Professionnelle de Théâtre- l’Académie de l’Union joueront également tour à tour et en alternance Don Elvire, Charlotte, Don Carlos et le Mendiant
Carnet de bord #11
Notre projet appelle une esthétique puissante, un cadre matériel qui amplifie les enjeux que nous souhaitons aborder. Nous contenter de représenter les lieux suggérés dans la pièce de Molière ou dans les autres versions de l'histoire ne saurait suffire. Le décor doit évoquer chez les spectateurs cet univers suffoquant, tropical et mortifère, dans lequel nous avons choisi de plonger Don Juan et les protagonistes du mythe. Il faut également qu'il manifeste l'aristocratie, l'élégance, le goût du luxe de notre « grand seigneur méchant homme », fussent-ils moribonds.
L'idée d'un télescopage entre éléments et symbolismes hétéroclites fait alors son chemin. Du Dom Juan d'origine, Jean Lambert-wild choisit de conserver le palais, autrement dit la demeure du Maître, mais aussi une forêt (dans laquelle se déroule l'Acte II chez Molière), même si la nôtre évoquera davantage une jungle.
Loin d'être simplement représentés, ces deux éléments scénographiques sont au contraire mis au service de notre lecture, qu'ils ont pour charge de matérialiser.
Rongé par la forêt, comme incendié, presque entièrement effondré, le palais de Don Juan devient une ruine que la forêt grignote, à l'image de son propriétaire rongé par la maladie. Mais ces décombres gardent les traces d'une splendeur ancienne, qu'incarne, tout en verticalité, un improbable escalier aux marches en porcelaine de Limoges, dont on se prend à imaginer qu'un jour il montait jusqu'à ce Ciel si souvent évoqué dans la pièce...
Quant à la forêt, loin d'être représentée de façon naturaliste, elle est une évocation baroque, psychédélique, conçue par Stéphane Blanquet et réalisée en tapisserie d'Aubusson. La prouesse technique est indéniable (190 m2 de tenture fabriquée à l'aide d'un double métier numérique) mais permet surtout un improbable mélange entre les riches tapisseries qu'on pourrait s'attendre à voir dans le palais de Dom Juan, et la jungle qui, dans notre adaptation, l'enserre. Où est l'intérieur, où est l'extérieur ? Où est la culture, où est la nature ? Où donc sont les limites ?... Le décor fait écho, et de façon purement sensible, à certaines questions essentielles soulevées par la pièce.
Le décor matérialise donc la mort, une noblesse au bord du précipice, une nature qui reprend ses droits, une verticalité qui se dérobe, mais il offre aussi à Gramblanc un cadre exubérant où il pourra donner libre cours à ses facéties et ses sautes d'humeur.
La tapisserie d'Aubusson a également la vertu d'offrir aux lumières une surface presque magique. L’éclairagiste Renaud Lagier s'en est délecté, jouant de changements de couleurs qui font apparaître des plans insoupçonnés, modifient radicalement les couleurs et les sensations de matière, créant un univers à la croisée du rêve, de la bande dessinée et des situations évoquées par Molière.
Un autre plan s'y ajoute, celui des paysages sonores réinventés chaque jour par Jean-Luc Therminarias, eux aussi palpables et labyrinthiques, mélanges de chants d'oiseaux ou de cris animaux modifiés et de nappes sonores synthétiques, de bruits empruntés à la réalité mais rendus méconnaissables, ou de sonorités évocatrices à peine perceptibles.
Ce sont ainsi les comédiens, autant que les spectateurs, qui sont plongés dans un monde protéiforme, inquiétant et ludique, oppressant mais toujours changeant, dans lequel tout semble à la fois vivant et menacé de disparaître à chaque instant.
Par Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra et Marc Goldberg